Intervention de François de Mazières

Séance en hémicycle du 24 septembre 2012 à 16h00
Mobilisation du foncier public en faveur du logement et renforcement des obligations de production de logement social — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Mazières :

En relevant de 20 à 25 % le seuil minimum de logements sociaux et en l'assortissant d'un quintuplement du montant des sanctions, votre projet de loi impose à de nombreuses communes des charges véritablement insupportables, et va totalement à l'encontre du principe de libre administration des collectivités territoriales. Vous le reconnaissez, d'ailleurs, puisque vous fixez le plafond des pénalités à 10 % des dépenses de fonctionnement d'une commune dans certains cas. Quand on connaît les très faibles marges de manoeuvre actuelles des communes, à qui les conséquences de la crise imposent de nouvelles charges, un tel niveau d'obligation est tout simplement irréaliste.

A travers nos amendements, nous vous demandons d'écouter la voix des maires. Ce sont des élus responsables. De partout, nous entendons des collègues de toutes tendances qui ont fait leurs calculs, et qui sont affolés par l'annonce de ces mesures.

Vos nouvelles modalités de rattrapage, qui s'appliquent sur le stock de logements existants et non sur les flux de logements nouveaux, créent des effets de seuil extrêmement violents pour certaines communes. Alors que la loi actuelle repose sur un principe de convergence progressive, votre projet de loi instaure des dates butoirs : le rattrapage du retard est porté au minimum à 25 % pour la période 2014-2016, à 33 % pour la période 2017-2019, etc. Cette chronologie n'intègre absolument pas les échéances électorales et les possibles changements de gouvernance au sein des exécutifs locaux. Ainsi, comment pouvez-vous prévoir que le nouveau dispositif de sanctions s'appliquera dès le 1er janvier 2014, alors que celui-ci repose sur l'évaluation de l'effort des communes sur une période de trois ans qui s'achèvera, pour la quatrième période triennale en cours, à la fin de l'année 2013 ? La cohérence de votre raisonnement nécessiterait au minimum de reporter le calcul de ces nouvelles sanctions à la fin de la prochaine période triennale, c'est-à-dire au 1er janvier 2017. Certes, vous prévoyez la possibilité d'une évaluation sur la seule année 2013, mais cette proposition est parfaitement incongrue quand on connaît la longueur des délais pour lancer un projet de construction. Pourquoi durcir à ce point les conditions actuelles, s'il n'est pas possible de les faire appliquer ? Je crains que vous n'ayez recherché des effets d'annonce.

Deuxième observation : dans de nombreuses villes, vos mesures risquent d'aller exactement à l'encontre de tous les efforts réalisés par les municipalités qui mènent une politique volontariste de mixité sociale dans tous les quartiers. J'en sais quelque chose ! En infligeant des sanctions financières très élevées à des villes qui ne disposent pas souvent d'un foncier, le Gouvernement ne laisse aux maires aucune autre alternative que de densifier les quartiers sociaux existants ou de construire un pourcentage très élevé de logements sociaux sur les rares parcelles qui pourraient être libérées. Or nous connaissons tous les effets négatifs de trop fortes concentrations de logements sociaux.

Je voudrais m'arrêter un instant sur la mise à disposition de terrains de l'Etat et de certains établissements publics en faveur du logement social. Nous tenons d'abord à souligner que ce n'est pas franchement une nouveauté. Le dispositif actuel est prévu par la loi du 18 janvier 2005 ; la décote est fixée par décret et peut atteindre jusqu'à 35 % si le terrain est situé dans une zone où le marché est tendu.

La nouveauté réside dans la possibilité d'une gratuité à 100 % et l'annonce de la mise à disposition immédiate d'une première liste de terrains. On sait malheureusement ce qui est arrivé : la liste que vous avez diffusée est un tissu d'erreurs. Pour ma ville, deux terrains déjà achetés par la commune y figuraient. Je ne cite pas cet exemple pour souligner une bévue, qui vous a conduit à retirer très vite cette liste, mais parce qu'il soulève plusieurs questions. Serons-nous remboursés des terrains que nous avons acquis ces derniers mois pour la partie construite en logements sociaux ? Votre projet est-il de nous inciter à créer des quartiers totalement consacrés à des logements sociaux ? Comment allez-vous inciter des ministères à vendre s'ils n'en attendent aucun retour ? Monsieur le ministre, vous le savez : si les différents ministères ne récupèrent rien de la vente de leurs terrains, ils ne seront pas incités à les aliéner. Au fond, nous craignons que vous ne freiniez le processus en cours.

Voilà pourquoi nous proposons de plafonner la décote à 50 %, et non à 100 %. Nous proposons également de passer par un bail emphytéotique. À un moment où l'argent public est rare, il convient de ne pas gaspiller les ressources de l'Etat. Par ailleurs, en prévoyant une renégociation au terme d'un bail de quarante ou cinquante ans, l'Etat pourra obtenir de nouveaux engagements de rénovation, et éventuellement ne pas reconduire les mauvais gestionnaires. Cela s'appelle de la bonne gestion.

Troisième observation : annoncer un relèvement du seuil minimum de logements sociaux de 20 à 25 % n'a de sens que si, parallèlement, l'Etat abonde en conséquence les crédits accordés au financement du logement social. L'étude d'impact évalue à 2,7 milliards d'euros annuels le budget qui devrait être redéployé sur la période 2014-2016. Nous attendons le budget 2013 !

Quatrième observation : votre projet de loi nous semble mal rendre compte de la montée en puissance de l'intercommunalité. Alors que les pénalités étaient jusqu'à présent allouées aux EPCI compétents en matière d'habitat, la limitation envisagée de ces pénalités aux seuls et rares EPCI ayant pris la compétence de l'attribution des aides à la pierre diminue considérablement la portée de cette disposition. Vous ne prenez pas non plus en compte la notion de bassin de vie. Or une commune peut, en construisant sur la frontière de son territoire, repousser en réalité la charge des équipements collectifs sur la commune voisine. J'ai en tête un certain nombre d'exemples : je pourrais les citer puisque nous appartenons à des communes assez proches.

Cinquième observation : la véritable urgence est pour nous la relance de toutes les formes de logement. Vous le savez, et les professionnels du secteur vous le confirmeront : l'appareil productif du secteur de la construction du logement social est en mesure de réaliser environ 90 000 logements par an. Les collectivités devront donc recourir aux promoteurs privés, et financer seules les équipements publics complémentaires.

Nous aimerions que vous développiez un parcours résidentiel, dans le locatif comme dans l'accession à la propriété. Il nous faut ainsi produire davantage de logements intermédiaires. Or votre projet de loi limite désormais à 30 % la part de logements financés en prêts locatifs sociaux, alors que ceux-ci peuvent répondre à un besoin des communes en logements spécifiques. Mieux encore : là où le foncier est cher, c'est en s'appuyant sur des PLS que l'on peut financer des PLUS ou des PLAI.

Nous vous rejoignons quand vous affirmez qu'il faut accorder une attention aux plus démunis. Mais nous aurions préféré qu'au lieu de tout vouloir encadrer et sanctionner, vous eussiez adopté la méthode de l'incitation pour s'adapter aux possibilités offertes par le marché du logement. Pourquoi ne pas considérer qu'un PLAI vaut deux logements dans le décompte de la loi SRU ? Cela permettrait de passer de l'esprit de sanction à l'esprit d'incitation, de la logique du bâton et de la défiance à l'encontre des maires à celle du soutien et de l'aiguillon.

Enfin, ne cachons pas la réalité. Pour relancer rapidement le logement, il faut impérativement soutenir fiscalement sa production, comme le prévoyait l'ancien dispositif Scellier. L'annonce récente de nouvelles déductions fiscales à destination des investisseurs achetant des logements neufs pour louer irait dans ce sens. Mais nous entendons tout de suite la voix des professionnels qui nous demandent comment il est possible de parvenir à la rentabilité nécessaire si ces aides sont réservées à la construction de logements dont les loyers sont inférieurs de 20 % au prix du marché ! Une nouvelle fois, n'est-ce pas une mesure en trompe-l'oeil ? Evitons les débats idéologiques. Concentrons-nous sur l'essentiel : la relance du logement – et du logement social – que les Français appellent de leurs voeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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