Intervention de Éric Ciotti

Réunion du 29 mai 2013 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Ciotti, rapporteur :

Je veux dire aux collègues de la majorité que je regrette leur opposition de principe à ce texte. Tous les orateurs ont reconnu, quelle que soit leur appartenance politique, la pertinence et l'importance de ce débat, et certains son acuité. Que nous en tirions des conclusions différentes, cela n'est guère étonnant ; en revanche, comme Guy Geoffroy, je trouve que certains propos n'ont pas lieu d'être dans un débat de cette importance. Il ne s'agit pas de légiférer sous le coup de l'émotion, ni d'adopter une loi de circonstance.

J'ai rappelé les conclusions du rapport Stasi de 2003 et l'avis du Haut Conseil à l'intégration : le débat est lancé depuis plus de dix ans, et certains faits traduisent une multiplication des problèmes. Certes, ceux-ci restent marginaux, mais les représentants des chefs d'entreprise nous ont alertés sur leur recrudescence. Je regrette que vous cherchiez à les minorer, et je doute que l'on arrive à les régler par le seul dialogue. Il en faut, de même qu'il faut faire confiance aux partenaires sociaux, mais croire que le seul dialogue permettra de résoudre tous les problèmes dénote, je le crains, une certaine naïveté.

Plusieurs députés du groupe socialiste étaient présents hier, quand nous avons auditionné Mme Baleato, la directrice de la crèche « Baby Loup ». Ce qu'elle décrit est terrifiant ! La crèche va être obligée de quitter le territoire où elle est implantée, à la suite d'une pression communautaire. Mme Baleato nous a lancé un appel : « Nous avons besoin que la République nous relégitime, a-t-elle dit, car l'arrêt de la Cour de cassation a ouvert la voie au communautarisme. » Depuis cet arrêt, le personnel de la crèche et elle-même font l'objet de menaces et d'attaques contre leurs véhicules.

En ouvrant au début des années 1990 une crèche associative, sur un territoire où coexistaient soixante nationalités, cette réfugiée politique originaire du Chili avait pourtant permis aux femmes du quartier de s'intégrer et de devenir salariées. Cette idée extraordinaire est sur le point d'être détruite ; dans quelques mois s'installera à sa place une crèche confessionnelle. Mme Baleato a mentionné des faits inquiétants : certains parents sont en conflit ouvert avec les responsables de la crèche parce qu'ils exigent que leurs enfants soient réveillés pour prier ou qu'ils portent le voile ! Je n'invente rien : ces propos ont été tenus hier, vous pourrez le vérifier dans le rapport.

Voilà qui suffit à prouver qu'il est opportun de légiférer. Certes, nous pourrions attendre la réponse de l'Observatoire, mais M. Bianco, que nous avons auditionné, nous a dit que celui-ci ne s'était pas encore pleinement saisi de la question et que son avis n'interviendrait pas avant la fin de l'année. Le président de la République lui-même a souligné qu'il y avait urgence, et l'actuel ministre de l'intérieur a voulu, sous la précédente législature, déposer une proposition de loi sur le sujet. C'est désormais au législateur de prendre ses responsabilités.

Le choix du vecteur juridique est un autre débat. Le Sénat a proposé un texte qui va dans le sens préconisé par Arnaud Richard, en étendant la notion de service public à tout le secteur de la petite enfance. En effet, madame Bechtel, l'arrêt de la Cour de cassation ne confère pas à la structure Baby Loup un caractère de service public : il considère au contraire que, si Baby Loup accomplit une mission d'intérêt général, elle ne peut pas être assimilée à un service public, en conséquence de quoi le principe de neutralité ne peut pas s'appliquer à elle.

Pour ce qui ne relève pas du service public, il existe actuellement un vide juridique, en partie compensé par la jurisprudence, mais qu'il nous faut combler. Contrairement à ce que vous prétendez, madame Capdevielle, nous avons défini des critères – les relations avec le public et le bon fonctionnement de l'entreprise – et nous avons précisé que les restrictions devaient être justifiées par la nature de la fonction et proportionnées au but recherché. Nous entrons donc parfaitement dans le cadre de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de l'arrêt « Eweida contre le Royaume-Uni », dans lequel la Cour européenne a considéré que la mesure de mise à pied de l'employée de British Airways ayant arboré une petite croix sur son uniforme, justifiée pour la compagnie aérienne par son image de marque, était « disproportionnée ».

D'autre part, nous avons opté pour un dispositif pragmatique, qui laisse une liberté de choix aux chefs d'entreprise et aux partenaires sociaux. Enfin, nous avons accordé une portée générale au texte pour éviter d'avoir à légiférer de nouveau si un cas similaire se produisait dans un établissement d'hébergement pour les personnes âgées ou dans une clinique. Il faut que les problèmes auxquels le secteur privé peut être confronté soient réglés au cas par cas, de façon pragmatique, apaisée et consensuelle. Il n'y a là aucune volonté de stigmatisation ! Je vous invite à rencontrer Mme Baleato : vous mesurerez mieux combien il est urgent pour la République de combattre ces formes de communautarisme.

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