Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du 22 mai 2013 à 15h00
Projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Véran, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales :

La commission des affaires sociales s'est saisie pour avis de l'article 22 du projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche soumis aujourd'hui à notre discussion

Son enjeu est essentiel car il traite du recrutement et de la formation de nos futurs professionnels de santé. Plus généralement, son objectif est d'assurer la réussite de tous les étudiants qui s'engagent dans ces cursus longs et difficiles. Il s'agit en effet de permettre aux universités d'expérimenter, pour une durée maximale de six ans, de nouveaux modes de réorientation des étudiants en difficulté et d'intégration dans les études de santé via des passerelles précoces, après d'autres cursus.

Comme vous le savez, la loi du 7 juillet 2009 a instauré la première année commune aux études de santé, la PACES. Cette loi est née d'un constat unanime : la sélection en médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique engendrait trop d'échecs et de frustration, de stress permanent et de temps perdu pour de très nombreux étudiants. Un constat d'échec d'autant plus regrettable que le niveau des bacheliers accédant à ces filières est souvent excellent, comme l'atteste la proportion élevée des étudiants ayant obtenu une mention au baccalauréat, sans compter le nombre important d'étudiants qui se découvrent une appétence particulière pour le travail universitaire en intégrant la faculté.

La loi de 2009 poursuivait plusieurs objectifs : ouvrir aux étudiants un nombre élargi de débouchés et une orientation adaptée, pour réduire le taux d'échec en première année, décloisonner les études de santé et forger une culture scientifique commune aux professions médicales et pharmaceutiques, et enfin diversifier le recrutement des futurs professionnels de santé.

Or les premiers bilans font apparaître que la mise en place de la PACES n'a pas permis de rendre cette année d'études réellement formatrice ni d'améliorer le taux d'échec massif constaté aux épreuves de sélection qui la terminent.

En premier lieu, le principal objectif de la PACES, qui était de remédier au gâchis humain, n'est pas atteint. Nul ne le conteste.

Nombreux sont ceux qui craignaient une augmentation importante du nombre d'étudiants en première année d'études de santé. En réalité, c'est l'inverse qui s'est produit puisque l'on a constaté une diminution de l'ordre de 4 % du nombre des inscrits. Les taux de réussite demeurent très faibles. En médecine, le taux de réussite national avoisine les 20 %. Il plafonne à 10 % dans les filières odontologie et maïeutique et il est de 27 % pour la filière pharmacie.

Selon la commission pédagogique nationale des études de santé, en 2010-2011 seuls 15 % des primants et 39 % des redoublants ont réussi à intégrer une filière santé à l'issue de la PACES. Par ailleurs, on sait que 61 % des étudiants échouent à l'issue de deux présentations aux concours. Écoutez bien : près de deux étudiants sur trois qui effectuent deux années pleines n'obtiennent aucun débouché dans les filières santé ! Cette année d'entrée dans l'université, qui devrait être un moment d'enthousiasme et d'épanouissement au sortir des études secondaires, est toujours vécue, et pour cause, comme une épreuve redoutable, d'autant que les voies de sortie pour ceux qui échouent sont encore trop limitées. Or la PACES n'a pas permis d'apporter de réponse à ce problème.

C'est pour remédier à ce gâchis humain et dans l'objectif plus général d'améliorer la réussite de tous les étudiants dans le supérieur que le premier volet de l'article 22 prévoit la possibilité d'une orientation des étudiants de la PACES à l'issue d'épreuves portant sur les enseignements dispensés au début de cette première année.

Le principe même d'une réorientation en cours ou à la fin de l'année n'est pas en soi nouveau. Il a été établi en 2009. Mais, à ce jour, il n'a bénéficié qu'à très peu d'étudiants, car il est resté optionnel. Seulement 639 candidats ont été réorientés à la fin du premier semestre, 5 000 en fin d'année, avec un maximum théorique de 15 % qui n'a jamais atteint. Surtout, ces étudiants n'ont pas pu systématiquement intégrer une autre filière en cours d'année. Les épreuves de réorientation interviennent trop tardivement pour que les étudiants en difficulté puissent s'inscrire utilement dans un autre cursus. En outre, le contenu du programme du premier semestre est extrêmement lourd et le temps consacré aux révisions réduit, ce qui limite les possibilités de réussite des étudiants.

Il s'agit donc, par ce projet de loi, d'améliorer l'efficacité de la réorientation en avançant le calendrier des épreuves et en adaptant leur contenu.

La commission des affaires sociales, à l'unanimité, a amendé le texte gouvernemental pour préciser le champ de cette expérimentation. Les réorientations auront lieu à l'issue d'épreuves portant sur le programme universitaire de l'année en cours, à l'issue d'une période minimale d'enseignement de huit semaines. Seuls les étudiants considérés, sur la base de ces épreuves, comme n'étant pas susceptibles d'être classés en rang utile à l'issue de la première année pourront être réorientés dans une autre filière et l'université aura obligation d'assurer leur inscription dès l'année universitaire en cours. Il s'agit ainsi de prévenir en amont la sélection par l'échec, hélas encore trop présente en première année d'études de santé.

Un arrêté, élaboré en concertation avec les doyens et les représentants des étudiants, limite actuellement la proportion de ces réorientations à 15 % des inscrits. Ces 15 % semblent de l'avis général une proportion juste, car sont visés les étudiants ayant perdu toute chance de faire partie en fin d'année du numerus clausus.

Mais la réorientation doit aussi pouvoir bénéficier aux étudiants qui, à l'issue des premières épreuves, ont statistiquement trop peu de chances d'intégrer les études de santé en fin d'année et qui seraient désireux de bénéficier de passerelles en cours d'année. La commission des affaires sociales a donc voulu qu'au-delà des 15 %, une réorientation facultative puisse être proposée – non imposée – aux étudiants par les universités, qui assurent là aussi l'inscription dès l'année universitaire en cours.

Cet article s'inscrit donc résolument dans l'objectif de la réussite étudiante, fil rouge de ce projet de loi.

Le deuxième apport de l'article 22 consiste en l'ouverture de passerelles permettant d'intégrer des études de santé sans être passé par la PACES auparavant.

Pourquoi développer ces passerelles ? Il faut adapter la formation de nos futurs professionnels de santé aux besoins de la population. Comme l'a rappelé le Premier ministre lorsqu'il est venu à Grenoble présenter au mois de février dernier la stratégie nationale de santé, c'est dorénavant à partir du parcours de la personne, du patient, de la personne âgée ou handicapée que doit s'organiser le système de santé, pour supprimer peu à peu les ruptures dans la prise en charge, provoquées par les cloisonnements.

Si toute la formation initiale des futurs professionnels de santé doit s'adapter à cette nouvelle donne, leur mode de recrutement gagnerait sans doute à s'en inspirer. Il faut diversifier les profils.

Or, les épreuves de sélection font une place prépondérante aux matières scientifiques, parfois au détriment de disciplines plus susceptibles de sensibiliser l'étudiant à la dimension humaine des métiers de la santé. Peu d'étudiants titulaires d'un baccalauréat non scientifique sont admis en deuxième année : 1 % seulement en médecine.

Pourtant, les sciences humaines et sociales, ainsi que les questions de santé publique, paraissent tout aussi utiles à la formation d'un praticien. En outre, peu de place est laissée à une deuxième chance pour les bacheliers qui n'ont pas réalisé de bonnes études secondaires, mais potentiellement capables d'augmenter la qualité et la quantité de leur travail en intégrant la faculté.

À ce propos, une réflexion devrait être menée sur le niveau d'information dont disposent les lycéens qui envisagent une inscription en PACES, concernant notamment la difficulté de la sélection. Des actions pourraient être conduites dans ce domaine.

Enfin, si la loi de 2009 a élargi les passerelles entrantes, cette option n'est accessible qu'aux étudiants titulaires a minima d'un master, alors que les études montrent que les catégories les plus modestes ont moins de chance d'accéder à ce niveau.

C'est pourquoi il est proposé d'ouvrir la possibilité à des étudiants titulaires d'une licence d'intégrer en deuxième ou troisième année des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou maïeutiques. Ces étudiants seront recrutés sur dossier et entretien et devront se mettre à niveau dans certaines matières, car il n'est évidemment pas question de renoncer à l'excellence du niveau scientifique de ces études.

La commission des affaires sociales a même élargi le champ de cette expérimentation aux projets de licence Santé généraliste à spécialisation progressive : l'entrée dans les études de santé pourrait se faire non à l'issue d'une licence, mais au cours de la première, deuxième ou troisième année d'un cursus commun, comme cela existe au Canada. Cette organisation originale, que certaines universités envisagent pour la rentrée 2014, présente l'avantage de regrouper des étudiants d'horizons différents et de lutter contre la seule logique de bachotage, car l'évaluation et la formation sont dissociées, tout en conservant le principe d'une sélection pour les métiers soumis à numerus clausus.

Enfin, j'ajoute qu'un amendement voté en commission introduit après l'article 22 la possibilité d'expérimenter une première année commune à plusieurs professions paramédicales, après concertation avec les organisations représentatives. Cet amendement a été voté unanimement.

Au final, l'article 22 de ce projet de loi s'inscrit dans une logique simple : il s'agit, d'abord et avant tout, d'éviter que cette année ne soit vécue, au pire comme un traumatisme, au mieux comme une perte de temps, par une écrasante majorité d'étudiants. Ensuite, il s'agit de faire en sorte que des étudiants qui ont fait la preuve de leur niveau et de leur motivation puissent intégrer les études de santé par d'autres voies que la PACES.

Plus fondamentalement, cet article explore des voies innovantes pour lutter contre deux phénomènes qui gangrènent notre système universitaire : la sélection par l'échec, qui est le revers de la massification de l'enseignement supérieur, et l'absence de deuxième chance pour ceux qui échouent prématurément. D'aucuns diraient que l'absence de sélection à l'université est la cause de ces dysfonctionnements. Nous répondons qu'elle est une fausse réponse à un vrai problème que seuls l'accompagnement, l'orientation et la responsabilisation des étudiants peuvent résoudre.

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