Intervention de Daniel Fasquelle

Séance en hémicycle du 23 mai 2013 à 9h30
Projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche — Article 2

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle :

Pour ma part, je pense que l'on mélange en permanence deux débats. Le premier est celui de l'attractivité de nos universités vis-à-vis des étudiants étrangers ; le second est celui de l'enseignement des langues aux étudiants français.

Nos échanges sont très intéressants à cet égard : nous partons toujours de l'attractivité pour en venir à la capacité de nos étudiants à maîtriser les langues. Je voudrais que nous séparions ces deux débats. Si nous les lions comme vous le faites, cela va conduire à ce qui s'est passé dans certaines universités d'Europe du nord et en Allemagne : faire basculer entièrement en anglais des licences et surtout des masters. C'est déjà le cas à Strasbourg notamment où dix matières sont enseignées totalement ou partiellement en anglais. Dans les universités allemandes, dans celles des Pays-Bas, ce sont maintenant plus de la moitié des masters – la totalité à l'université de Maastricht – qui sont enseignés en anglais. Voilà vers quoi nous allons !

Que l'on ne nous dise pas que c'est tout à fait exceptionnel, que cela ne concernera que les étudiants étrangers ou certains programmes. En réalité, on le sait très bien, les universités ont conclu de très nombreuses conventions dans le monde. Souvent, elles ne sont pas actives, mais elles existent, et elles pourraient être invoquées pour faire basculer des masters en anglais. Et puis, il suffit d'invoquer le programme européen Erasmus pour, tout simplement, pouvoir ouvrir n'importe quel cours en anglais, faire basculer n'importe quel cours en anglais.

Si la question, pertinente, de l'ouverture à l'international de nos universités, de leur attractivité est un point de départ, le point d'arrivée sera donc le basculement de masters entiers, d'universités entières, dans l'anglais. C'est ça, la vérité !

Cela nous expose à trois dangers.

Tout d'abord, tous les pays qui l'avaient fait regrettent aujourd'hui ce choix, parce qu'il a forcément des conséquences sur le niveau de l'enseignement. Comment voulez-vous qu'on enseigne d'une façon aussi précise dans une autre langue que dans sa propre langue ? Comment voulez-vous que l'on soit aussi pédagogue ? Et, puisque l'on parle d'inégalités entre les étudiants, nous allons en créer une, entre ceux qui, maîtrisant la langue, pourront recevoir la totalité du contenu de l'enseignement, et ceux qui n'en seront pas capables.

D'ailleurs, de grands pays comme l'Allemagne et la Chine sont en train de revenir sur l'enseignement en anglais dans leurs universités. Je vous invite à lire une recommandation, qui date du mois de novembre 2011, de l'équivalent allemand de notre conférence des présidents d'université. Cette instance dit : « Stop ! Revenons à l'enseignement en allemand, et faisons en sorte de promouvoir non pas le tout-anglais mais le multilinguisme. »

C'est précisément cela, le vrai sujet ! Il ne faut pas caricaturer les positions des uns et des autres, et je ne prétends pas qu'il ne faut pas enseigner l'anglais dans nos universités, je ne prétends pas qu'il ne faut pas apprendre l'anglais à nos étudiants, bien évidemment. Je me bats en revanche contre cette idée qu'il n'y aurait d'avenir, pour l'université française, que dans le tout-anglais, que dans le basculement de masters en anglais.

J'en viens à une autre conséquence, et il faut aborder ce sujet de manière dépassionnée. Quand on adopte un texte, il faut considérer le texte lui-même et le signal que l'on envoie. En l'occurrence, quel est celui-ci ? D'un côté, la France se veut le défenseur de l'exception culturelle, du multilinguisme et du multiculturalisme, mais, de l'autre, nous renonçons nous-mêmes au caractère universel de notre langue et au multilinguisme. Nous-mêmes, nous cédons à cette mode du tout-anglais. C'est extrêmement grave, et c'est d'ailleurs ainsi que les choses sont perçues dans une grande partie du monde. Notre débat de ce matin n'est pas suivi qu'en France, il l'est aussi à l'étranger, et il désespère ceux qui se battent en faveur de la francophonie ou du français dans le monde. Oser nous dire qu'on va défendre la francophonie en anglais, très franchement, ce n'est pas très sérieux, ce n'est pas très crédible.

Il y a aussi la question, tout simplement, de l'avenir de la langue, dont Michel Serres a vraiment très bien parlé. Aujourd'hui, dans nos universités, on va enseigner, on va chercher, on va réfléchir uniquement en langue anglaise. C'est extrêmement grave, car cela signifie que des domaines entiers, techniques, scientifiques, ne seront plus pensés que dans une autre langue que la nôtre. Nous n'aurons plus les mots en français ! Cela a d'ailleurs déjà commencé dans un certain nombre de domaines. J'appelle votre attention sur ce point.

On peut bien évidemment publier en anglais – on peut aussi publier en français ; il y a quand même encore un certain nombre de publications en français, mais elles disparaîtront peut à peu si on ne les défend pas – mais gardons, en tout cas, le français comme langue d'enseignement et comme langue de travail, sauf dans le cadre d'accords exceptionnels, de conventions très particulières. Doyen pendant dix ans de la faculté de droit de Boulogne-sur-Mer, j'ai créé un master transmanche à l'université du Kent à Canterbury, j'ai établi une coopération avec le Boston College aux États-Unis, j'ai fait venir des professeurs anglais et américains et il y a eu des cours en anglais dans mon université, mais c'était dans un cadre extrêmement ciblé, et il y avait des cours français et des cours anglais.

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