Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 22 mai 2013 à 21h30
Projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Je reconnais également, madame la ministre, que l’accréditation des établissements peut contribuer à alléger les lourdeurs administratives et renforcer l’autonomie pédagogique des établissements. Il est toutefois essentiel que cette accréditation se fasse dans le cadre de diplômes qui restent nationaux, uniquement délivrés par des universités, et qu’elle soit réalisée de manière transparente grâce au travail du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cependant, je ne partage pas la philosophie d’ensemble de ce texte. Nous débattons aujourd’hui d’une loi d’orientation. Chaque mot compte ; or les mots "compétitivité", "transfert", "innovation" et tout le champ sémantique de l’entreprise sont mentionnés à maintes reprises. C’est un choix de politique ministérielle que de remplacer "science" par "innovation", et "portée scientifique" par "impact économique". C’est également votre choix d’omettre toute allusion à la liberté scientifique, la créativité, l’originalité et la curiosité. Le savoir n’est pas une marchandise : la connaissance donnée n’est pas perdue par celui qui la donne. La connaissance scientifique est faite pour être partagée sans limite. C’est ainsi qu’elle peut augmenter, au bénéfice de toute l’humanité. Des dérives, telles que le brevetage du génome humain, les brevets logiciels ou l’interdiction faite aux agriculteurs de cultiver leurs propres semences, sont légion. II faut faire cesser ces abus. Comme le dit Christophe Blondel, physicien au CNRS : « Nous sommes perdus si nous oublions que les fruits de la connaissance sont à tous et que la science n’est à personne. » Dans ce projet de loi, vous n’avez pas touché aux créations des précédents gouvernements, aux Idex, aux Labex, à l’ANR. Ils ont créé une compétition entre les établissements, entre les laboratoires, entre les équipes, au lieu de renforcer les coopérations transversales. Ils ont divisé et transformé les chercheurs en rédacteurs d’interminables dossiers de subventions, quasiment des mendiants. Les conclusions des assises faisaient pourtant état de demandes clairement formulées qui auraient permis d’ouvrir la voie à une véritable réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche. On y trouvait une remise en cause du fonctionnement de l’AERES et une réforme en profondeur de l’ANR, donnant enfin aux laboratoires la possibilité de travailler dans des conditions sereines. Je suis convaincue que le mode de gouvernance des communautés d’universités et d’établissements prévu dans ce projet de loi représente un grave recul de la démocratie universitaire. Nous pourrions en effet aboutir à des conseils d’administration composés de représentants élus, certes, mais au suffrage indirect. De plus, par la création de ces communautés, des établissements privés pourront être accrédités indirectement à délivrer des diplômes nationaux. Est-ce vraiment ce que nous souhaitons ? Par contre, le projet de loi innove en imposant à l’enseignement supérieur les missions de transfert vers le monde économique. Cette mission n’a jamais fait l’objet d’un débat national et n’est pas apparue comme un sujet prépondérant au cours des assises. Or ce transfert ne fait pas l’unanimité auprès de la communauté universitaire et je suis profondément opposée à la philosophie qui le sous-tend. Je suis, bien entendu, consciente que ce transfert technologique est important pour nos entreprises et qu’il peut éventuellement avoir sa place dans la partie "Recherche" de ce projet de loi consacrée à la recherche. Mais pourquoi en faire l’une des missions principales de l’enseignement supérieur ? Aujourd’hui, madame la ministre, à travers ce projet de loi, vous vous adressez également aux étudiants en sciences politiques, en sociologie, en histoire, en géographie. Vous leur dites en substance : « Nous soutiendrons vos recherches si elles intéressent le marché, si elles permettent de comprendre les demandes des clients. » Et pourtant, ces étudiants analysent et font avancer la société, en répondant aux interrogations de nos concitoyens. Ils forment même le gros du bataillon de nos collaborateurs. Alors, madame la ministre, je vous laisse aller leur dire que leurs études n’intéressent pas le Gouvernement. Mais vous irez le leur dire sans les écologistes. Disons-le clairement : si, depuis un an, certains projets gouvernementaux ont pu susciter insatisfactions ou doutes chez les écologistes, cette réforme universitaire nous inspire, en l’état, une opposition fondée et motivée. Il va sans dire que nous attendons beaucoup des travaux en séance pour dissiper les inquiétudes que je viens d’évoquer.

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