Intervention de Agnès Jeannet

Réunion du 26 septembre 2012 à 9h00
Commission des affaires sociales

Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, j'ai effectivement l'honneur de présenter ma candidature au poste de présidente du conseil d'administration de la nouvelle agence chargée de la sécurité des produits de santé. Avant de vous exposer mon parcours professionnel et ma vision du rôle de l'agence et de son conseil d'administration, je souhaite rappeler quelques éléments du contexte très particulier dans lequel ma candidature s'inscrit, contexte marqué par des drames sanitaires, qui ont entraîné la réforme en cours de la sécurité sanitaire.

Dans ce contexte, l'agence doit relever deux défis. Tout d'abord, celui de la continuité. Elle doit en effet continuer de travailler tout en transformant ses règles de fonctionnement. La nomination de l'ancien directeur de l'AFSSAPS à la tête de la nouvelle agence est un atout, la continuité entre les deux structures étant un enjeu essentiel.

Le deuxième défi est celui de l'urgence, de la rapidité et de la réactivité, les victimes exigeant de l'État qu'il leur garantisse au plus vite que les mêmes défaillances ne se reproduiront pas. Il faut agir vite pour remédier aux failles analysées par le Parlement, tout en restant opérationnel. Face à ces deux enjeux stratégiques, je salue l'engagement de toutes les équipes de l'agence et de son directeur. Le conseil d'administration devra naturellement leur apporter son appui pour faire face à ce moment particulier.

Dans ce contexte, l'agence a la chance de pouvoir bénéficier de l'investissement très important, sans doute sans précédent, du Parlement, en particulier de votre commission et de certains députés ici présents. Ceux-ci ont décrit les dysfonctionnements à l'origine du drame, analysé leurs causes et proposé des solutions. La présence de trois députés au conseil d'administration constituera un appui précieux pour permettre à l'agence d'exercer pleinement le rôle que le législateur lui a assigné en matière de sécurité des produits de santé.

Mon parcours professionnel m'a amené à exercer deux métiers, que j'ai l'un et l'autre adorés.

Mon métier d'origine, l'inspection, m'a permis pendant quinze ans de parcourir l'ensemble des services sur tout le territoire et de rencontrer les acteurs des politiques sociales. Ce métier présente trois facettes : à côté de la fonction de contrôle, où il s'agit de vérifier la régularité, voire l'opportunité, des actions de politique publique, j'ai aussi exercé des missions d'évaluation et d'audit.

Ce parcours, voué tout entier au service public, et notamment les missions que j'ai exercées au cours des dix dernières années, m'a permis d'acquérir une bonne expertise du système de santé. J'ai en effet contrôlé tant des hôpitaux que des cliniques privées, ce qui m'a permis de comparer le fonctionnement de ces deux types de structures. J'ai par ailleurs été chargée d'une mission d'évaluation des regroupements des professionnels de santé, ou encore, en collaboration avec l'inspection des finances, de l'évaluation de la mise en place d'un nouveau dispositif d'assurance civile médicale. Avec l'inspection générale de l'éducation nationale, j'ai proposé au ministre des voies et moyens de mise en place de la filière universitaire de médecine générale. Très récemment, j'ai effectué deux missions de sécurité sanitaire stricto sensu : j'ai été chargée, d'une part d'enquêter sur un cas d'infection nosocomiale dans un grand établissement public de santé, et d'autre part d'effectuer un audit de la mise en place de la maîtrise des risques à l'Institut national de veille sanitaire, l'InVS.

J'ai par ailleurs exercé des fonctions managériales, à des niveaux différents, mais toujours dans des établissements publics ou des agences relevant des ministères sociaux. J'ai ainsi assuré des missions de gestion dans de petites structures, telles que le Comité français d'éducation pour la santé, le CFES, ancêtre de l'INPES, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. J'ai été secrétaire générale chargée de la gestion du siège de la Caisse nationale d'assurance maladie, la CNAM, dont les effectifs étaient comparables à ceux de l'agence. J'ai également occupé des fonctions de chef de service à la direction générale du travail, ce qui m'a permis d'acquérir une vision des enjeux de sécurité et de santé au travail, et plus largement du droit du travail.

La fonction qui m'a le plus marquée est celle que j'ai exercée pendant six ans à la direction de l'Agence française du sang. Elle m'a permis de suivre à un poste opérationnel tout le cycle de la réforme de la transfusion, lancée en 1992 et qui a abouti à la loi de 1998. Je voudrais vous rappeler les trois étapes de cette réforme, afin de vous éclairer sur ce qui motive ma candidature. La première étape a été celle de la remise en cause des structures existantes, avec notamment la dissolution de la Fondation nationale de transfusion sanguine, remplacée en 1992 par la première agence française du sang. Dans une deuxième étape, une nouvelle agence a été mise en place dans le cadre de la loi du 4 janvier 1993, qui a aussi créé l'Agence du médicament. Cette Agence française du sang, dont les effectifs ne dépassaient pas quatre-vingts personnes, était chargée de la sécurité des produits sanguins labiles, les produits stables relevant, eux, de l'agence du médicament en vertu de la nouvelle loi. Cette deuxième étape a vu par ailleurs la réorganisation des établissements de transfusion sanguine sur une base régionale et la définition des règles de contrôle. Enfin, la loi du 1er juillet 1998, qui a créé l'AFSSAPS, lui a donné compétence sur l'ensemble des produits de santé, y compris les produits sanguins labiles, afin que tous les produits de santé destinés à l'homme relèvent de la même instance de contrôle. L'ensemble des fonctions de contrôle de l'Agence française du sang ont été transférées à l'AFSSAPS et l'AFS est, quant à elle, devenue l'Établissement français du sang, établissement public national, chargé de fabriquer les produits sanguins destinés aux hôpitaux et le plasma destiné aux laboratoires de fractionnement.

Je voudrais vous livrer les enseignements que j'ai tirés de ces six années. Cette expérience m'a notamment appris que le temps était la première condition du succès d'une réforme de sécurité sanitaire et que celle-ci, toujours fragile, exigeait une vigilance de tous les instants. La seconde condition est qu'il existe une volonté publique d'ancrer les changements dans la durée. Mon expérience m'a prouvé par ailleurs la nécessité d'engager des professionnels de santé, traumatisés par la culpabilité de n'avoir pas fait ce qu'ils auraient dû ou pu faire, à se mobiliser pour adopter de nouvelles pratiques gages d'une amélioration de la sécurité. Elle m'a également convaincue de la nécessité d'associer la société civile à la réforme.

À côté de ces principes généraux, cet épisode dramatique m'a surtout appris que dans le contexte de risque incertain qui était celui de l'émergence du VIH, la sécurité sanitaire avait reposé sur les prescripteurs, en l'occurrence sur ceux d'entre eux qui avaient su renoncer aux transfusions de confort et revenir à des thérapeutiques antérieures, peut-être inconfortables pour les patients mais plus sûres.

À l'issue de cette présentation, vous aurez compris que je ne suis pas du tout une spécialiste du médicament. Je ne suis pas une scientifique, mais une administrative, à qui son parcours professionnel a permis de disposer d'une bonne expertise du fonctionnement du système de santé dans toutes ses facettes, ainsi que d'une connaissance pratique du fonctionnement, tant interne qu'externe, des agences contribuant au dispositif de sécurité sanitaire.

S'agissant de ma vision du rôle de l'agence et de son conseil d'administration, je veux dire d'abord ma foi dans le service public. Je suis convaincue que la sécurité sanitaire relève de la responsabilité de l'État, mais je suis tout aussi persuadée que restaurer la confiance imposera d'agir à quatre niveaux : celui de l'agence elle-même, celui de l'articulation avec les autres agences de santé, celui des autres acteurs du système de santé, professionnels de santé et industriels, enfin au niveau européen.

Depuis la refondation de 1993, l'agence est une structure autonome, distincte du ministère mais exerçant des pouvoirs de police sanitaire au nom de l'État. À partir de ces bases inchangées, la petite révolution qu'elle doit accomplir en vertu de la loi du 29 décembre 2011 comporte deux enjeux : celui de l'indépendance de l'expertise et celui de la transparence des décisions, extrêmement nombreuses, qu'elle devra prendre.

Je suis consciente que l'ANSM s'insère dans un dispositif public beaucoup plus large unissant l'État et ses agences de santé. En tant qu'agence chargée de la sécurité des produits de santé, elle entretient des liens étroits avec la Haute Autorité de santé (HAS), chargée de garantir la sécurité liée aux actes et aux professionnels, et l'InVS, dont relève la sécurité sanitaire de la population. C'est du bon fonctionnement de cet ensemble que dépend la sécurité des patients, voire de la population en général, lorsqu'il ne s'agit pas de produits de santé stricto sensu.

S'agissant des autres acteurs de santé, l'agence devra travailler en amont avec l'industrie et la recherche, publique ou privée, acteurs de l'innovation, et en aval avec les professionnels de santé qui prescrivent et dispensent les produits. Elle a en effet la mission complexe de garantir un équilibre entre l'accès le plus rapide possible aux nouvelles thérapeutiques et le bon usage des produits.

La sécurité sanitaire relève de plus en plus du niveau européen – depuis 1993, le médicament relève, non plus du marché intérieur, mais de la direction générale chargée de la santé –, qu'il s'agisse de la mise à disposition des produits, notamment des autorisations de mise sur le marché des produits innovants, ou du déclenchement des alertes. Là encore, l'agence devra assurer un bon équilibre entre son action nationale et celle qu'elle devra conduire au niveau européen, en appui du Gouvernement.

Le rôle du conseil d'administration, que la loi a ouvert aux parlementaires et aux associations de patients, est, assez classiquement, d'orientation et de suivi.

S'agissant du fonctionnement interne de l'agence, le conseil d'administration aura le rôle d'assurer l'équilibre entre les missions, les moyens et l'organisation. Ce point est stratégique, à un moment où le directeur de l'agence a engagé une mutation profonde de son organisation. De ce point de vue, je ne sais pas si on a toujours mesuré l'importance des moyens nécessaires pour assurer l'effectivité de certaines innovations législatives, comme le passage d'un contrôle a posteriori à un contrôle a priori de la publicité, ou la réévaluation continue du rapport bénéfice-risque. En outre, cet équilibre ne sera stable qu'une fois la phase de transition passée. Il faudra d'ici là, soit accepter quelques dysfonctionnements, soit allouer à l'agence des moyens supplémentaires durant cette phase. Il reviendra au conseil de trancher cette question en toute objectivité.

Le conseil devra également rechercher les moyens de rendre attractifs les métiers de l'agence. Cela suppose de valoriser les compétences existantes et de se doter, via de nouveaux recrutements, de celles qui feraient défaut.

Concernant les orientations stratégiques, je souhaiterais privilégier tout ce qui est en aval de la mise sur le marché des produits de santé. Trois points me semblent cruciaux. L'agence doit d'abord veiller à ce que le rapport bénéfice-risque soit toujours satisfaisant, et réagir rapidement dès qu'il apparaît que tel n'est pas le cas. Elle a par ailleurs, en collaboration avec la HAS, un rôle à jouer en matière de prescription, notamment en vérifiant la fiabilité scientifique de la publicité destinée aux professionnels. Enfin, dans le cadre de la réforme en cours du dispositif de pharmacovigilance, elle aura à appliquer les dispositions législatives relatives à la surveillance des risques.

Au nombre de ses missions de suivi, le conseil d'administration aura à suivre la mise en oeuvre du programme de travail de l'agence ; il devra vérifier que les orientations stratégiques pluriannuelles, prévues par la loi, seront respectées, selon un calendrier qu'il aura à définir ; il aura à statuer sur les méthodes de travail de l'agence, en fixant notamment le format, la composition et le rôle des commissions, et en évaluant leurs résultats. Enfin, l'audit que j'ai conduit à l'InVS m'a convaincue de la nécessité pour le conseil de suivre le plan d'identification et de maîtrise des risques de gestion internes.

Le conseil aura à hiérarchiser ces actions, à fixer un cap et à vérifier que celui-ci sera tenu durant ses trois années de mandat.

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