Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 28 mai 2013 à 15h00
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter le premier projet de loi constitutionnelle de cette législature. Il vise à modifier de façon substantielle les articles 64 et 65 du titre VIII relatifs au Conseil supérieur de la magistrature.

Nous avons réécrit l'intégralité de l'article 65 pour lui donner plus d'homogénéité et de cohérence. Nous avons distingué les fonctions du Conseil supérieur de la magistrature en huit alinéas, introduit un article 65-1 qui définit la composition de ce Conseil et un article 65-2 relatif à la loi organique.

La Constitution de 1958, que nous allons réviser, l'a été déjà vingt-quatre fois. C'est la quatrième fois qu'une révision concerne le Conseil supérieur de la magistrature, mais sur les trois précédentes, seulement deux sont arrivées jusqu'au Congrès.

Le Président de la République a pris un engagement, l'engagement n° 53, qui est d'accorder l'indépendance à l'autorité judiciaire et de veiller à ce que les magistrats du siège comme ceux du parquet aient la capacité d'exercer leur mission de juger dans des conditions d'impartialité. Cela suppose cette modification substantielle du Conseil supérieur de la magistrature, mais aussi l'interdiction pour l'exécutif de donner des instructions dans des dossiers individuels : c'est une disposition qui fera l'objet d'un projet de loi qui vous sera soumis très prochainement, puisqu'il s'agira alors de modifier le code de procédure pénale.

La dernière révision de la Constitution date de 2008. Elle a été mise en oeuvre en février 2011. Cette réforme qui s'intitulait « Modernisation des institutions » contenait deux dispositions particulièrement intéressantes : la possibilité donnée aux justiciables de saisir le Conseil supérieur de la magistrature et la suppression de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République, comme de sa vice-présidence par le garde des Sceaux.

Si l'Assemblée nationale et le Sénat d'abord et le Congrès ensuite consentent à voter cette réforme constitutionnelle, dans la loi organique nous allons améliorer les conditions de saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables.

Néanmoins, la réforme de 2008 présentait quand même deux défauts majeurs. D'une part, le pouvoir politique continuait à nommer les personnalités extérieures. Il a même augmenté leur nombre : elles étaient quatre et sont devenues six en 2008, dont deux nommées par le Président de la République, deux par le Président de l'Assemblée nationale et deux par le Président du Sénat. D'autre part, les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature ont été réduits, notamment en matière d'autosaisine, puisque le Conseil constitutionnel, dans une réserve d'interprétation, a estimé que la loi organique qui mettait en application cette réforme de 2008 n'autorisait pas le Conseil supérieur de la magistrature à s'autosaisir.

Il y a un défaut plus important encore : la réforme de 2008 a maintenu le statu quo sur la nomination des magistrats du parquet, qui reste à la discrétion de l'exécutif. Il est arrivé plusieurs fois que l'avis du Conseil supérieur de la magistrature ne soit pas suivi par l'exécutif, ce que prévoit la Constitution, mais qui a malheureusement contribué à créer un climat de suspicion autour des magistrats nommés.

Le projet de loi que nous vous présentons vise justement à modifier cet état de fait et à créer les conditions permettant à ce Conseil supérieur de la magistrature d'exercer correctement ses trois attributions principales : la nomination des magistrats, l'action disciplinaire sur les magistrats et son rôle consultatif, puisque la Constitution prévoit que le Président de la République peut le saisir pour avis et que le garde des Sceaux peut l'interroger sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi qu'à l'indépendance de la justice.

Ce projet de loi s'inscrit dans une démarche de consolidation des institutions, mais aussi dans un processus historique de démocratisation de l'institution judiciaire et de cette instance qui assure l'action disciplinaire sur les magistrats et leur nomination. Ce processus historique est à l'oeuvre à partir de la constitution de 1791, qui instaure pleinement un pouvoir judiciaire avec des juges à plein temps.

La constitution de 1795 – je vous donne les dates selon le calendrier grégorien et vous épargne les « fructidor » et « frimaire » – consolide cet état de fait et apporte des garanties statutaires, de façon que les magistrats ne puissent pas être destitués autrement que pour forfaiture légalement jugée, ni suspendus autrement que par accusation admise.

La constitution de 1799 a encore consolidé l'édifice, apportant une garantie à vie pour les magistrats, à l'exception des juges de paix.

Après la monarchie de Juillet, c'est la IIe République qui, dans la constitution de 1848, va rétablir le pouvoir judiciaire et, dans son article 87, apporter à nouveau des garanties aux magistrats des tribunaux d'instance, des cours d'appel, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, en faisant en sorte qu'ils ne puissent pas être révoqués en dehors d'un jugement légalement établi, ni mis à la retraite en dehors des causes et formes déterminées par la loi.

C'est sous la IIIe République, par la loi du 30 août 1883, qu'apparaît le Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci, néanmoins, est l'appellation de la Cour de cassation lorsqu'elle se réunit toutes chambres confondues pour se prononcer en matière disciplinaire. Ce n'est donc pas encore le Conseil supérieur de la magistrature que nous connaissons dans la Constitution de 1958, ni même celui de 1946.

En effet, la IVe République va installer un Conseil supérieur de la magistrature et va en faire un organe constitutionnel. Sa présidence sera confiée au Président de la République et sa vice-présidence au garde des Sceaux. Cependant, les magistrats vont être élus par leurs pairs, alors qu'ils étaient jusqu'alors nommés sur proposition de la Cour de cassation, tandis que les personnalités extérieures l'étaient directement par le Président de la République.

Néanmoins, les pouvoirs de ce Conseil supérieur de la magistrature seront étendus. Il est chargé de la nomination des magistrats, il est chargé de veiller à leur indépendance, il est chargé évidemment de l'action disciplinaire. Il est même chargé, sous la IVe République, de l'administration des tribunaux judiciaires, mais c'est une compétence qui ne sera jamais exercée.

Il n'empêche que la réforme de 1946 est importante, d'abord parce qu'elle installe durablement le Conseil supérieur de la magistrature en tant qu'organe constitutionnel – il ne sortira plus de la Constitution – et aussi parce qu'elle commence à créer une distance entre le corps des magistrats d'une part, l'exécutif et la Cour de cassation d'autre part.

Mais c'est par la pratique que le Conseil supérieur de la magistrature va commencer à acquérir de l'autonomie. Ce mouvement sera favorisé par un Président de la République en particulier, Vincent Auriol, qui va considérer qu'il a pour ainsi dire compétence liée s'agissant des propositions du Conseil supérieur de la magistrature. Il va même proposer qu'on lui transfère de la gestion du personnel, à l'exclusion de la sous-direction des magistrats du parquet, sous-direction qui n'existe plus du fait de l'unité constitutionnelle du corps.

La Ve République, elle, sera en retrait. Elle va maintenir le caractère constitutionnel du Conseil supérieur de la magistrature, mais très clairement, la conception gaullienne du pouvoir, qui considère que la légitimité démocratique émane du Président de la République, élu au suffrage universel, va se traduire par une prudence plus grande concernant l'autonomie du Conseil supérieur de la magistrature.

Cependant, sous la Ve République, les magistrats deviennent majoritaires : ils sont six sur un effectif total de neuf membres. Néanmoins, sa présidence est toujours assurée par le Président de la République et sa vice-présidence par le garde des Sceaux.

Plus récemment, il y a eu la réforme de 1993. Celle-ci obéit à un souci d'innovation et d'équilibre. Elle introduit trois modifications essentielles. La première, c'est la diversification des modes de désignation. Deux formations seront mises en place, l'une compétente pour les magistrats du siège, l'autre pour ceux du parquet. Les magistrats seront élus par leurs pairs et quatre membres seront désignés par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat et le vice-président du Conseil d'État.

La deuxième modification importante, en 1993, est l'extension des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature à la nomination des magistrats du siège. Jusqu'alors, il pouvait nommer les magistrats du siège à la Cour de cassation ainsi que les premiers présidents des cours d'appel. À partir de 1993, il propose et pratiquement nomme, puisque nous sommes dans une procédure d'avis conforme, les présidents des tribunaux de grande instance et se prononce sur la totalité des nominations au siège.

Progrès supplémentaire : la troisième modification survenue en 1993 est qu'en formation compétente pour les magistrats du parquet, il pourra émettre un avis consultatif, maintenu dans la réforme de 2008, sur les nominations de ces magistrats.

Autrement dit, les magistrats redeviennent majoritaires : ils l'auront été pendant cent sept ans, de 1883 à 1940 et de 1958 à 2008, quand la réforme les rend de nouveau minoritaires. Ils auront été majoritaires tout ce temps, mais attention : à partir de 1946, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature est confiée au Président de la République et la vice-présidence au garde des Sceaux, de sorte que tout en étant majoritaires, ils sont placés sous cette autorité.

En 1998, Élisabeth Guigou, garde des sceaux, a présenté un projet de loi qui, déjà, proposait l'avis conforme sur la nomination des magistrats du parquet, dans un souci clairement affiché de garantir l'impartialité dans l'exercice de la mission de juger. Cette réforme de 1998 prévoyait aussi la nomination des personnalités extérieures par un collège de personnalités du monde judiciaire. Ces personnalités extérieures étaient au nombre de quatre, elles seront six à partir de 2008 et c'est là une des dispositions d'affaiblissement dans la réforme de 2008 : le pouvoir politique, je l'ai rappelé tout à l'heure, nomme six personnalités sur les quinze membres du Conseil supérieur de la magistrature.

En 1998, la réforme était déjà là ; malheureusement, quoiqu'elle ait obtenu les trois cinquièmes des voix dans les deux chambres, elle n'a pas été inscrite à l'ordre du jour du Congrès et donc n'a pu être approuvée par le Parlement à Versailles.

Il n'empêche que l'essentiel de la démarche était déjà là. Le Président de la République a souhaité en revenir à cette exigence d'impartialité en évitant l'ingérence du pouvoir politique dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature et renforcer ses pouvoirs, ce qui, je l'ai dit, se fera en deux temps : d'une part, consolider le Conseil supérieur de la magistrature, d'autre part, mettre un terme aux instructions dans les dossiers individuels. C'est d'ailleurs ce que je fais depuis que je suis aux responsabilités : je respecte l'avis conforme dans les nominations au parquet et, le 31 juillet, j'ai pris une circulaire qui garantit la transparence dans les nominations aux postes de procureurs généraux, d'inspecteurs généraux et d'avocats généraux à la Cour de cassation. Ces nominations étaient totalement à la main du garde des Sceaux, ne faisaient pas l'objet de publications et étaient donc présentées au Conseil supérieur de la magistrature sans respect d'avis conforme. Non seulement nous respectons l'avis conforme depuis mai 2012, mais nous avons rendues transparentes ces candidatures : les postes sont publiés, les candidatures sont publiées et le choix du garde de Sceaux l'est également.

À l'occasion de ces débats, comme c'était déjà le cas avant, certains pensent que ce que nous faisons n'est pas suffisant, d'autres que ce que nous faisons va trop loin et favorise le corporatisme. Parmi ceux qui pensent que ce que nous proposons n'est pas suffisant, certains appellent de leurs voeux un pouvoir judiciaire – alors que les articles 64 et 65 de la Constitution évoquent une autorité judiciaire – et souhaitent l'instauration d'un Conseil supérieur de la justice où les magistrats ne seraient pas les seuls représentés, mais où figureraient notamment des représentants des autres personnels de la justice comme les greffiers. Une telle réforme reviendrait à modifier l'équilibre des pouvoirs, les bases de la répartition des pouvoirs, tels que le prévoit la Constitution, et nécessiterait la réunion d'une assemblée constituante. Or le Président de la République ni le Gouvernement n'ont souhaité s'engager dans cette voie.

En revanche, et pour nous assurer que le Conseil supérieur de la magistrature continuera à contribuer à l'indépendance de l'autorité judiciaire, nous avons modifié la rédaction de l'article 64 selon lequel « le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire » et selon lequel « il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature ». Nous avons remplacé cette dernière phrase par une autre précisant que le Conseil supérieur de la magistrature concourt, par ses avis et ses décisions, à garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire. La commission a adopté un amendement visant à remplacer le verbe « concourir » par le verbe « veiller ».

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