Intervention de Gilles Bourdouleix

Séance en hémicycle du 28 mai 2013 à 15h00
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Bourdouleix :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l'indépendance de la justice est l'un des principes cardinaux de notre démocratie, une condition essentielle au fonctionnement d'une République respectueuse de la séparation des pouvoirs.

Mes chers collègues, une démocratie est équilibrée – c'est l'héritage de Montesquieu, partagé par la plupart de nos régimes depuis la Révolution – si elle est constituée d'un pouvoir exécutif, d'un pouvoir législatif, mais aussi d'un pouvoir judiciaire. Nous assumons pleinement l'idée que la justice est un pouvoir, un pouvoir qui doit être indépendant, à l'abri et à l'écart de tout soupçon. C'est dans le respect de ce principe d'indépendance que nous pourrons restaurer la crédibilité des institutions judiciaires et rénover la confiance que chacun de nos concitoyens doit pouvoir placer en la justice de son pays, ce ciment essentiel de la cohésion nationale.

Depuis sa création, l'histoire et l'évolution du Conseil supérieur de la magistrature sont indissociables de la construction progressive de l'indépendance de la magistrature. Réforme après réforme, cette institution a évolué dans le but de conforter le respect et l'indépendance de l'autorité judiciaire. En supprimant la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République et en révisant sa composition, la réforme constitutionnelle de juillet 2008 avait également pour objet de renforcer l'autonomie du Conseil, tout en le préservant d'éventuels soupçons de corporatisme.

Cinq ans après cette réforme, nous ne remettons pas en cause l'instauration d'une autorité renforcée, mais nous considérons que l'indépendance du Conseil supérieur de la magistrature doit reposer, comme nous le proposons par l'un de nos amendements, sur un pilier : l'incompatibilité entre la fonction de membre du Conseil supérieur de la magistrature et l'exercice d'une activité professionnelle.

Aujourd'hui, le Conseil supérieur de la magistrature formule des propositions pour les nominations des magistrats du siège et statue à leur propos en tant que conseil de discipline. Il pourrait en outre, aux termes du projet de loi, émettre un avis conforme sur la nomination des magistrats du parquet et statuer également à leur propos en tant que conseil de discipline. Il s'agirait ainsi, comme cela a déjà été évoqué, de constitutionnaliser une pratique déjà observée par les deux précédents gardes des sceaux, Michel Mercier en particulier. En raison de telles attributions, tout l'enjeu d'une réforme du Conseil supérieur de la magistrature réside selon nous dans une seule et même question : est-il acceptable qu'un organe de nomination et de discipline des magistrats de l'ordre judiciaire, qui comme tel gère leur avancement et leur carrière, soit composé de magistrats eux-mêmes en cours de carrière ? Nous ne le pensons pas.

C'est la raison pour laquelle nous considérons que seuls les anciens magistrats ou des magistrats ayant quitté leurs fonctions pendant la durée de leur mandat devraient être autorisés à faire partie du Conseil supérieur de la magistrature. Un tel mécanisme est indispensable pour prévenir tout conflit d'intérêt. Il ne s'agit en aucun cas d'instaurer une défiance à l'égard des magistrats, qui d'ailleurs exercent un métier difficile et très exigeant, mais de prévoir un système ouvert dont le fonctionnement serait similaire à celui d'autorités administratives indépendantes, le Conseil supérieur de l'audiovisuel par exemple. Il s'agit là d'une condition sine qua non de l'établissement d'une autorité véritablement indépendante.

On a affirmé, lors des précédents débats, qu'une telle disposition relèverait d'une loi organique. L'adoption d'un tel principe d'incompatibilité, auquel nous sommes très attachés et dont nous pensons qu'il est une composante indispensable à la garantie de l'indépendance de notre système judiciaire, nous a été refusée sous prétexte qu'une hypothétique loi organique, dont nous ne savons rien pour l'instant, s'en chargerait. Or, il est tout simplement inenvisageable qu'une mesure aussi fondamentale allant dans le sens d'une meilleure prévention des conflits d'intérêt puisse être ainsi reléguée au second plan, si tant est que l'on considère comme telle la loi organique, même si elle l'est, par définition, par rapport à la loi constitutionnelle.

Le projet de loi aujourd'hui soumis à notre examen, tout à fait révélateur de votre première intention, madame la garde des sceaux, tend à modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature en y donnant la majorité aux magistrats. Le choix d'un tel déséquilibre prend véritablement le contrepied de la formule retenue en 2008 visant à établir une courte majorité de personnalités extérieures.

Pour notre part, nous sommes défavorables au renversement du rapport quantitatif entre magistrats et personnalités extérieures, comme le sont d'ailleurs d'éminents membres de la majorité qui ont exprimé la même opinion. Souvenons-nous des propos tenus par Robert Badinter en 2008 au Sénat au sujet de la composition paritaire du Conseil supérieur de la magistrature : « Depuis des décennies, nous sommes à la recherche d'une formule permettant d'éviter deux écueils, le corporatisme et la politisation. La réponse tient en un mot : parité. Il convient d'assurer, au sein de chaque formation du Conseil supérieur de la magistrature, la parité entre magistrats et personnalités extérieures ». Et, quitte à citer les meilleurs juristes de la majorité, je rappelle que Jean-Jacques Urvoas, président de notre commission des lois, dont je regrette l'absence, indiquait le 15 mai dernier être défavorable à l'idée de « remettre une majorité de magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature » et invitait le rapporteur à faire évoluer le texte, ce qu'il a fait de manière tout à fait constructive.

La logique autogestionnaire consistant à donner une majorité aux magistrats qui sous-tend votre texte initial, madame la ministre, est contraire à l'évolution tendant à la reconnaissance d'un véritable pouvoir judiciaire. La légitimité du pouvoir judiciaire ne peut être fondée sur une autogestion des membres du corps, que la logique même de la séparation des pouvoirs interdit. Elle implique une participation importante du corps social à sa gestion, par laquelle il manifeste un droit de regard externe et une forme de responsabilité. La composition paritaire, retenue par la commission des lois avec l'assentiment des groupes UDI et UMP comme de M. le rapporteur, est préférable, même si elle ne nous satisfait pas pleinement. À la différence de l'éducation nationale ou de la police, la magistrature est la seule fonction publique rendant des décisions au nom du peuple français. Il est donc d'autant plus légitime que son organisation soit encadrée par nos concitoyens. Les symboles comptent. La présence majoritaire ou, au moins, paritaire de personnalités extérieures est un symbole d'ouverture de la magistrature, auxquels nous sommes attachés.

Pour autant, nous considérons que la réforme sera de faible portée, car elle est loin d'être à la hauteur des enjeux auxquels la justice doit aujourd'hui faire face. Cinq ans après la dernière réforme constitutionnelle, dont nous n'avons pas réellement eu le temps de mesurer les effets, vous nous proposez, madame la ministre, de modifier à nouveau la Constitution pour une réforme minime, amputée au demeurant des trois autres projets préalablement évoqués et d'autres points qui figuraient dans le programme du candidat Hollande – texte de référence sacré quand cela arrange la majorité, mais oublié dans d'autres circonstances, comme celles des révisions constitutionnelles. Permettez-moi de vous rappeler que nous débattons aujourd'hui de l'opportunité d'une troisième réforme du Conseil supérieur de la magistrature depuis 1958, après celle de 1993 et celle plus récente de 2008, ce qui prouve l'extrême difficulté de la maîtrise du sujet. Une telle initiative est pour le moins discutable, d'autant plus que l'institution résultant de la réforme constitutionnelle de 2008 semble fonctionner dans des conditions plus satisfaisantes qu'auparavant.

En définitive, vous envisagez, madame la ministre, de réunir le Congrès, procédure dont notre collègue Fenech a rappelé tout à l'heure toute la lourdeur et le coût – qu'on ne saurait négliger de nos jours –, afin de consulter la représentation nationale en formation constituante sur le seul ajout d'un magistrat au sein du conseil supérieur de la magistrature. L'avis conforme pour la nomination des procureurs, autre disposition du projet de loi, est bien évidemment une avancée positive, mais elle était déjà une pratique des deux précédents gardes des sceaux. Nous allons donc entreprendre une révision constitutionnelle pour institutionnaliser une pratique indiscutable. Y avait-il urgence ? N'y a-t-il pas aujourd'hui d'autres priorités ?

Sans aucun doute, l'indépendance de la justice est un principe fondamental de notre démocratie. Sans aucun doute, une réforme de la justice est nécessaire. Mais celle que vous nous proposez n'est décidément pas à la hauteur des enjeux. Les dysfonctionnements de la justice prennent racine bien en deçà des magistrats et de la composition d'une instance, si fondamentale soit-elle dans le fonctionnement de notre système judiciaire. Un sujet aussi essentiel exige mieux que des améliorations à la marge et des réformes de procédure. La fonction de juger ne se résume pas uniquement au talent du magistrat, si brillant soit-il. Elle résulte au contraire de toute une chaîne de compétences qui va de l'agent recevant le justiciable à l'accueil du tribunal jusqu'au juge via tous les personnels de la chaîne juridique, appariteurs, greffiers, greffiers en chef, assistants de justice et assesseurs.

Les dysfonctionnements de la justice, responsables du désarroi des professionnels, des citoyens et des justiciables, sont nombreux. Nous sommes face à un service public de la justice ne disposant plus de capacités d'absorption suffisantes pour répondre aux exigences d'une société en pleine judiciarisation. Nous sommes face à une justice considérée comme complexe et illisible, dont l'usage est difficile et parfois incohérent. Nous sommes face à une justice à deux vitesses caractérisée par une réelle inégalité en matière d'accès au droit.

Il nous faut repenser la justice dans son ensemble, en prenant en compte tous les acteurs de notre système judiciaire et toute l'étendue des problématiques qui l'entourent, de manière à améliorer réellement et durablement son fonctionnement et à préserver son indépendance. M. le rapporteur indiquait tout à l'heure qu'il fallait préférer la vertu républicaine à la posture politicienne, mais il s'agit là d'un curseur qui varie au rythme des alternances. Le groupe UDI sera attentif à ce qui sera débattu, mais je puis d'ores et déjà indiquer qu'il envisage de voter contre le texte. Nonobstant, nous sommes tout à fait à l'écoute des évolutions très positives susceptibles de résulter de nos débats.

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