Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Séance en hémicycle du 28 mai 2013 à 15h00
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

« L'autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d'assurer le respect des libertés essentielles, telles qu'elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à laquelle elle se réfère. » Tel était, mes chers collègues, le quatrième principe énoncé par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 au pouvoir constituant.

La Constitution de la Cinquième République a, on le sait, retenu de cette recommandation le principe selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle et le Président de la République garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Était-ce suffisant ? Telle est, au fond, toute la question. On ne saurait incriminer le texte constitutionnel dès lors que, la suite de l'Histoire l'a montré, c'est sans doute davantage la pratique qui était en cause.

Notre système judiciaire tout entier a en effet essuyé de multiples tempêtes. Se sont succédé, par vagues, ce que l'on a nommé les affaires, qui ont conduit le citoyen à nourrir un soupçon d'autant plus manifeste qu'il était complaisamment relayé par la presse – dans la plus grande confusion, d'ailleurs, quant à la nature même de ces affaires – et qui ont conduit nos juges eux-mêmes à s'autoriser parfois, il faut le dire, des comportements qui s'affranchissaient pour le moins des règles qu'ils auraient dû être les premiers à respecter.

Ces dysfonctionnements auront eu au moins un mérite : ils ont mis en évidence le fait que notre système n'était pas tenable, d'autant que, simultanément, le droit européen n'a eu de cesse de critiquer de façon plus ou moins corrosive le système judiciaire français. Certes, dans ses critiques, beaucoup tient à son imprégnation du système de pensée anglo-saxon lié, on le sait, à la procédure accusatoire, si opposée à la nôtre. Cela explique que le juge européen peine à comprendre qu'une justice indépendante puisse s'accommoder d'une soumission hiérarchique du parquet au garde des sceaux. Je ne rappellerai pas le point de fracture atteint lorsque a été rendu l'arrêt Medvedyev contre France, dans lequel la CEDH a affirmé que le parquet français ne saurait être considéré comme une autorité judiciaire, dès lors que lui manque – je cite – « en particulier l'indépendance par rapport au pouvoir exécutif ».

Face à l'ensemble de ces dérives, force est de constater que les deux réformes précédentes, intervenues en 1993 et en 2008, n'ont pas totalement apaisé les choses.

En 1993, à l'issue des travaux du comité Vedel, que j'ai toutes raisons de bien connaître, le gouvernement d'Édouard Balladur avait été à l'initiative d'une première révision, qui incluait un tout nouveau statut pour le CSM. Encore ce nouveau statut était-il depuis longtemps espéré et attendu : on peut citer, par exemple, les travaux et les conclusions bien oubliées – c'est regrettable – de la commission Braunschweig, qui datent de 1982.

Cette première reforme a constitué une fracture, même une double fracture, car elle rompait avec la désignation des membres du CSM, y compris les magistrats, au profit, pour ces derniers, de l'élection par leurs pairs. S'y ajoutait une parité entre magistrats et non-magistrats, en faveur des premiers, toutefois limitée aux cas où le Président de la République, suppléé par le garde des sceaux, présidait le Conseil, ce qui n'était pas toujours le cas.

La seconde réforme, qui a eu lieu dans le cadre de la révision constitutionnelle, dont l'objet était plus large, du 23 juillet 2008, est quant à elle retournée à l'imparité au détriment, si l'on peut dire, des magistrats, tout en augmentant le pouvoir d'intervention du CSM dans la nomination des magistrats du siège et, à un moindre égard, de ceux du parquet.

Que marque cette valse-hésitation des choix sur la composition du CSM et ses pouvoirs, le constituant décidant tantôt d'augmenter les pouvoirs mais en choisissant la non-parité, tantôt de privilégier la parité mais avec des pouvoirs moins étendus ? On peut penser qu'elle traduit une hésitation quant à la nature même de cet organe. En effet, le paritarisme a longtemps été considéré, notamment avant 1958, je le rappelle, comme un marqueur du corporatisme, qui plus est d'un corporatisme affectant un corps judiciaire nostalgique à certains égards des Parlements de l'Ancien Régime et entretenant une relation de méfiance historique envers le pouvoir exécutif.

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