Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Séance en hémicycle du 28 mai 2013 à 15h00
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

Nous le savons bien : c'est étape par étape que les pouvoirs du CSM en matière de nomination des magistrats ont été accrus. En 1958, le CSM était consulté. En 1993, à une époque où le président François Mitterrand avait indiqué de la manière la plus ferme qu'il en suivait toujours les avis en matière de nomination au parquet, on a malgré tout estimé utile d'aller plus loin.

Aujourd'hui, quelques années après la renaissance de ces affaires qui semblent toucher notre pays par vague, force est de constater que le lien de confiance reste à nouer avec une part des détenteurs de l'autorité judiciaire. L'avis conforme, c'est-à-dire le pouvoir de codécision conféré au CSM pour la nomination des membres du parquet se fût sans doute moins imposé si, en diverses occasions ces dernières années, et après la dernière révision de la Constitution, le doute n'avait pu exister sur le rôle joué par le Président de la République dans certaines nominations et, plus grave, quant aux décisions prises par tel ou tel procureur, précisément nommé dans ces conditions plutôt douteuses.

En tout état de cause, je pense fermement pour ma part que nous devrions nous arrêter à un système dans lequel les pouvoirs du CSM en matière de nomination ne peuvent aller plus loin – et c'est déjà beaucoup – que l'avis conforme en matière de nomination des membres du parquet. Aller plus loin que les propositions de nomination des magistrats à la Cour de cassation et des chefs de cour, l'avis conforme pour les autres magistrats du siège et l'avis conforme pour les autres magistrats du parquet – c'est le texte proposé – serait dépasser des frontières qui doivent demeurer hermétiques.

Aller plus loin reviendrait à faire du CSM un organe de gestion, autrement dit un démembrement du ministère de la justice, dont la direction des affaires judiciaires basculerait alors vers cet organe ; vous savez, madame la garde des sceaux, que c'est une tentation récurrente et un combat assez ancien. Ce serait d'ailleurs en contradiction avec le renforcement de l'autorité morale de cet organe, opéré à travers les avis rendus pour répondre aux demandes du Président de la République et la possibilité donnée à tous les justiciables, sous certaines conditions, de le saisir.

On ne peut avoir à la fois une autorité morale dotée d'une formation plénière – ceci est une bonne innovation, que l'on doit d'ailleurs au CSM lui-même, qui a imposé une telle pratique avant même que la loi constitutionnelle ne la formalise –, dotée d'une aura due à la force, à la qualité, voire à la rareté de ses avis car seul ce qui est rare est intéressant, et un organe de gestion se substituant sans nécessité au ministère en charge. Il n'y a aucun exemple d'autorité indépendante chargée de gérer des carrières, et le CSM, fût-il un organe constitutionnel, ne saurait faire exception. Il faut choisir.

Enfin, le paritarisme ne peut être la bonne solution lorsque les juges sont élus par leur corps à travers la présentation par les syndicats. Faut-il rappeler ici que certains esprits progressistes, tel l'ancien garde des sceaux Pierre-Henri Teitgen, avaient considéré dès 1958 – les travaux préparatoires de notre Constitution le montrent – que mettre fin au système de l'élection par les pairs était un progrès ? On ne peut y revenir, mais je tiens à le rappeler. C'est pourquoi j'approuve la proposition du rapporteur de définir un système qui soit certes paritaire, mais pas paritariste : que la présidence des formations du CSM soit assurée par le président de cet organe lorsque les décisions ne relèvent pas de la matière disciplinaire conduit en effet à ce que les magistrats ne soient alors pas majoritaires.

D'autres points de cette réforme sont moins fondamentaux et pourront être abordés, en ce qui me concerne, lors de la discussion des articles. C'est le cas du vote positif aux trois cinquièmes des suffrages exprimés prévu par la commission des lois pour la nomination des membres non-magistrats du CSM, au sujet duquel le rapporteur connaît mes réserves ; j'approuve cependant l'idée de voter candidat par candidat et non pas pour une liste. La composition du collège de nomination mériterait peut-être d'être revue. Tout cela ne me semble néanmoins pas fondamental.

Il me paraît important en revanche d'insister sur le fait que cette réforme, légitime, est aussi une réforme utile. J'ai entendu dire qu'elle était marginale ; il me semble que c'est l'inverse qui est vrai. Avec l'équilibre trouvé dans la composition du CSM, équilibre lié à ce nouveau pouvoir essentiel qu'est l'avis conforme en matière de nomination des magistrats du parquet, on va loin ; si loin que nous ne devrions pas, selon moi, aller au-delà.

Un texte nouveau, donc, mais un texte frontière : c'est dans cet esprit que, à l'instar des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen, je le voterai. Sur les deux points que nous considérons comme fondamentaux – la composition et les pouvoirs –, on peut certes regretter que la réforme prévue soit contrainte par une triple méconnaissance : celle du citoyen, celle, parfois, des juges eux-mêmes, et celle de la pratique de certaines autorités politiques.

Notre République et notre démocratie ont droit aujourd'hui à une formule apaisée, une formule sereine. Nous sommes ici à la croisée des chemins. Ce texte me semble être un pari plutôt heureux dans son ensemble. C'est dans cet esprit que je vous propose de l'approuver.

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