Intervention de Patrick Lebreton

Réunion du 22 mai 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Lebreton, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer :

Ma lettre de mission m'a été remise par M. le ministre des Outre-mer le 13 avril dernier, dans ma commune de Saint-Joseph. Dès avant cette date, la mission qui allait m'être confiée a suscité bien des commentaires, et j'ai même été sollicité pour soutenir des demandes individuelles de mutation, ce qui m'a quelque peu surpris. En réalité, je n'ai été chargé ni d'instruire des demandes particulières ni de donner mon sentiment sur les affectations, mais bien de la mission suivante : travailler à la régionalisation de l'emploi, dans les secteurs tant public que privé. Et la réflexion sur ce sujet essentiel doit selon nous aboutir au principe suivant : à compétence requise, recrutement local.

Dans les outre-mer, l'attente est grande. Il importe donc de résister à la tentation d'intenter de faux procès. Je rappelle à ce propos que la régionalisation de l'emploi faisait partie des trente propositions de M. François Hollande pour l'outre-mer lorsqu'il était candidat à l'élection présidentielle. Élu Président de la République le 6 mai 2012, il a annoncé le lancement de cette mission, qu'il a souhaité me voir confier, lors de ses voeux aux ultramarins, le 3 janvier 2013, soit moins d'un an plus tard : à ceux qui lui reprochent de jouer la montre, on pourrait faire valoir ces délais pour le moins convenables.

Le problème de l'emploi est crucial dans nos territoires. La régionalisation de l'emploi devrait à mes yeux faire l'objet d'un consensus. On a d'ailleurs parlé ces derniers temps d'« union sacrée » à ce propos et M. Cyrille Hamilcaro, représentant de la droite à La Réunion, a même appelé les membres de sa famille politique à se joindre à notre démarche.

Dans le cadre de cette mission, priorité sera donnée au dialogue avec les syndicats et avec les acteurs de l'insertion au sens large – associations, entreprises, administrations –, bref à toutes les bonnes volontés, d'où qu'elles viennent ; et elles sont nombreuses. C'est dans cette perspective que je me présente aujourd'hui devant vous, en toute modestie. Sur ce sujet plus encore que sur d'autres, nous devons nous garder de toute polémique stérile et de tout clivage qui nous détournerait des intérêts des ultramarins.

Sans nous laisser aller aux faux procès, nous ne devons pas non plus verser dans les fausses promesses. Soyons clairs : je ne suis pas chargé de trouver des pistes de création d'emplois, mais des moyens d'ouvrir davantage aux ultramarins les emplois, publics et privés, qui existent déjà dans leur territoire d'origine. Il ne s'agit donc pas de proposer un catalogue de mesures inapplicables, ni de s'en tenir à un rapport écrit par un haut fonctionnaire et au bas duquel je me contenterais d'apposer ma signature.

Je suis toutefois convaincu qu'il nous faudra bousculer certains conservatismes politiques et économiques. Il importe d'abord de proscrire tout slogan. Très vite, les journalistes m'ont ainsi demandé s'il fallait parler de « régionalisation de l'emploi » ou de « préférence régionale ». Ma réponse est simple : ce que nous voulons, c'est que les ultramarins bénéficient d'un meilleur accès à l'emploi chez eux. Ce qui impose de définir au préalable, et sans tarder, ce qu'est un originaire.

Dans la fonction publique, le critère du « centre des intérêts matériels et moraux », ou CIMM – qui permet aux ultramarins exerçant dans l'éducation nationale de bénéficier d'une bonification de 1 000 points lorsqu'ils rentrent chez eux après avoir passé une première année dans l'hexagone –, paraît assez pertinent mais demeure fragile du point de vue juridique. C'est le ministre de l'Éducation nationale lui-même qui nous l'a confirmé. Nous devons donc nous attacher à doter ce critère d'un fondement légal solide et d'un contenu incontestable. D'autres pistes peuvent être explorées, dont la maîtrise de la langue, l'ascendance ou les usages culturels.

S'agit-il d'une rupture d'égalité ? Au-delà de l'égalité républicaine, parlons d'égalité réelle : en matière d'emploi, l'ultramarin est souvent discriminé chez lui. Dans nos territoires éloignés de l'hexagone, le chômage atteint des niveaux record et la précarité s'aggrave. Isolés, nous sommes parfois victimes d'un système de cooptation, voire de copinage, qui nous exclut de l'emploi et des postes d'encadrement. Nous sommes aussi victimes – disons-le sans tabou – de nos propres mentalités. À La Réunion, comme ailleurs sans doute, le syndrome tendant à minimiser ce qui ne vient pas de la métropole a la vie dure ! Un chef d'entreprise que nous avons auditionné nous a ainsi confié que, des deux excellents commerciaux qu'il envoyait aux mêmes clients, c'était toujours le « Zoreille » – le métropolitain – qui rapportait un contrat, et non le Réunionnais. Ce phénomène appelle sans doute une véritable révolution culturelle, qui ne se décrète pas et excéderait largement les limites de notre mission.

Il nous incombe en revanche de prendre acte des difficultés que rencontrent nos régions ultrapériphériques. Pour ma part, je plaide pour que nous le fassions dans le cadre des lois fondamentales de la République. Nous devons redéfinir nos modèles, et je le dis tout net car je sais que nous sommes attendus sur ce sujet : dans la fonction publique, il faut instaurer une nouvelle règle qui permette de substituer la transparence au piston. Il convient donc de trouver des leviers réglementaires afin de faire de l'égalité d'accès aux emplois une égalité réelle et de tenir compte de notre éloignement, de nos difficultés structurelles, de notre histoire, de notre culture, mais aussi de nos richesses. Loin de rompre avec la République, nous souhaitons davantage de République, de justice et d'équité. Cela vaut dans le public comme dans le privé : l'objectif est donc commun même si les problèmes sont différents.

Dans l'emploi public, le retour des ultramarins dans leur région d'origine, sur lequel plusieurs d'entre vous m'ont déjà interrogé, est essentiel. Mais ne nous leurrons pas : l'on ne pourra pas affecter à un même poste deux ultramarins, l'un qui attend de rentrer au pays, l'autre qui vient de réussir son concours sur place. Le temps est venu de mettre un terme au désordre et aux dérives nés de la réforme des mutations adoptée en 2002 dans la police et qui faisait prévaloir l'ancienneté du fonctionnaire sur l'ancienneté de la demande. Cette réforme a rendu quasi impossible le retour des policiers dans leur région d'origine et les a privés d'une vie familiale normale, à rebours d'une exigence de plus en plus souvent exprimée.

Nous nous intéresserons également à l'accès à la fonction publique d'État et aux formations qui y préparent, aux conditions d'avancement, à la fluidité des mobilités. Nous étudierons sans tabou le phénomène des « chasseurs de primes », ces fonctionnaires âgés de plus de 55 ans qui viennent dans les îles pour s'y constituer un pécule afin de préparer leur retraite, phénomène encouragé par la réforme des conditions de mutation dans la police que nous venons de mentionner. Nous tenterons d'inciter l'administration d'État à mieux intégrer les locaux, surtout à des postes de responsabilité, postes qui nous sont souvent interdits dans les faits.

Dans le secteur privé, nous devons aller à la rencontre des employeurs pour définir avec eux une démarche partenariale qui favorise l'embauche et la promotion de nos compatriotes ultramarins. Aujourd'hui, quelques entreprises jouent le jeu de l'embauche locale, selon le fameux principe « à compétence requise, recrutement local ». Il nous faudra aussi échanger avec celles qui le font moins volontiers afin qu'elles prennent conscience du fait qu'elles y ont, elles aussi, intérêt. Nous devons en outre identifier les mécanismes permettant d'enrayer la fuite de nos élites et de faciliter leur retour au pays après une expérience de mobilité formatrice.

Comment inciter les employeurs à favoriser le recours aux ressources humaines disponibles sur place ? Faut-il rapprocher le demandeur d'emploi des offres locales ? Mettre en réseau tous les talents ultramarins de par le monde ? Inciter les entreprises à adopter des chartes de bonnes pratiques en ce sens ? Adapter les formations locales aux besoins des acteurs économiques ? Autant de pistes qui devront être explorées, dans le respect du principe de non-discrimination.

Telle que nous la concevons, la régionalisation de l'emploi n'a rien d'un repli sur soi : c'est le moyen de valoriser nos atouts, de faire émerger nos nombreux talents. Les outre-mer ont besoin qu'une élite nouvelle, jeune, motivée, les entraîne vers le progrès social et vers une profonde modification de notre système économique, depuis longtemps dépassé. Or la régionalisation de l'emploi peut être un puissant moteur de ce changement.

Avant même de formuler des propositions, mon rapport doit être l'occasion d'une « opération vérité » dans les secteurs tant public que privé. Lorsque nous avons commencé la tournée des ministères, très vite, une question s'est posée : qui occupe les emplois dans les outre-mer ? Pour le comprendre, il convient de reprendre le travail entrepris en 2012 par le préfet Jean-Marc Bédier, aujourd'hui à la retraite, en l'étendant au secteur privé.

La mission est complexe, les difficultés nombreuses. Certains ont même pu dire que l'on m'avait tendu un piège en me la proposant. Mais parce que nous avions demandé, avant l'élection présidentielle, au candidat à la Présidence, M. François Hollande, de prendre en considération ce problème criant, il est de notre devoir de considérer cette mission comme l'opportunité d'ouvrir des perspectives d'avenir.

J'en viens à la méthode. Notre objectif est de formuler une quinzaine de propositions, dont quatre ou cinq principales, susceptibles d'être traduites en actes législatifs ou réglementaires. Notre principe directeur consistera à rechercher l'efficacité en refusant les pressions, la surenchère, les tentatives d'instrumentalisation – je songe à une émission télévisée sur l'emploi diffusée ce soir à La Réunion et à la manifestation organisée dimanche dernier sur le thème « done Kréol travay ». Bref, nous ne nous laisserons pas détourner de notre cap.

Quant au calendrier, nous avons commencé de travailler un peu avant la remise officielle de la lettre de mission, le 13 avril, et nous devons remettre notre rapport le 2 septembre. Notre travail comportera trois étapes. La première, qui devrait durer jusqu'à la seconde quinzaine du mois de juin, consistera à recueillir des informations auprès des ministères, des syndicats, etc. Elle inclura, sur une durée d'une semaine à dix jours, une tournée des outre-mer, notamment des DOM – Guyane, Guadeloupe, Martinique. Je ne souhaite pas m'en tenir à un cadre exclusivement préfectoral : nous nous adresserons non seulement aux DIRECCTE (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) mais aussi à nos collègues députés et sénateurs pour qu'ils nous orientent dans notre quête d'informations. Une fois cette première étape achevée, et alors que l'architecture de notre travail commencera de se dessiner, il serait bon, monsieur le président, que vous nous auditionniez à nouveau. J'en profite pour signaler que je serai prochainement entendu par le Sénat. La deuxième étape correspondra à une phase de recadrage et de vérification des informations recueillies. La troisième, enfin, qui correspond à la rédaction du rapport, occupera le mois d'août afin que le travail puisse être rendu début septembre.

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