Intervention de Paul Giacobbi

Réunion du 5 juin 2013 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Giacobbi, rapporteur :

Sept ans après la privatisation de la SNCM, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle ne fut pas une réussite. Les instances européennes compétentes ont dénoncé l'irrégularité des conditions dans lesquelles elle s'est déroulée. D'abord, le Tribunal de l'Union européenne a déclaré illégales l'ensemble des aides publiques de recapitalisation de la compagnie, la Commission européenne devant se prononcer en septembre sur la traduction financière de cette invalidation. Tout laisse à penser que les sommes que la SNCM devra rembourser s'élèveront à environ 200 millions d'euros.

D'autre part, la Commission européenne a jugé à l'unanimité que les subventions perçues par la SNCM pour le service complémentaire couvrant les périodes de pointe pendant la saison touristique, ne compensaient aucun besoin réel de service public. La SNCM est ainsi menacée de devoir rembourser à l'office des transports de la Corse la somme de 220 millions d'euros. Certes, ces décisions font l'objet de recours, mais je rappelle qu'en droit européen de la concurrence le pourvoi n'est pas suspensif et le sursis à exécution extrêmement difficile à obtenir.

Cette proposition de résolution n'a nullement pour objet d'établir ce qu'il faudrait faire pour sauver la SNCM ou d'examiner des projets industriels : il s'agit de déterminer précisément comment on en est arrivé là et si cette situation pouvait être évitée. Il faudra beaucoup de sérénité pour démêler cette question complexe.

Dès 2005, j'ai appelé l'attention de l'Assemblée sur les conditions de la privatisation, notamment sur certains faits plus que suspects. Le 9 juin 2011, le groupe SRC a déposé une proposition de résolution similaire, mais l'Assemblée n'a pas eu le temps d'en débattre. Aujourd'hui les membres du groupe RRDP réitèrent cette proposition, considérant que la situation actuelle était en germe dans les conditions dans lesquelles a été effectuée la privatisation de la SNCM.

Je voudrais rappeler les faits en quelques mots. Lorsque, en 2005, l'État a engagé la privatisation de la SNCM, société jusqu'alors publique, la procédure retenue a été la vente de gré à gré. Après diverses péripéties, le projet finalement élaboré prévoyait l'entrée au capital du fonds d'investissement Butler Capital Partners (BCP) pour 38 %, de la société Connex, devenue depuis Veolia Transdev, pour 28 %, le maintien de l'État à hauteur de 25 %, et enfin l'attribution d'actions au personnel, pour 9 %. La vente de l'entreprise a ensuite été autorisée par le décret n° 2006-606 du 26 mai 2006. Le conseil d'administration a entériné le transfert de capital le 31 mai 2006.

En novembre 2008, BCP a annoncé la cession de ses parts à Veolia Transdev, pour un montant de 73 millions d'euros, réalisant au passage une plus-value de 60 millions d'euros. J'avais prévu dès 2005 que BCP réaliserait une plus-value sans rien apporter à la SNCM qui la justifierait.

Si l'on avait privilégié une procédure plus ouverte que la vente de gré à gré, si l'on avait considéré d'autres offres que celle du fonds d'investissement, si l'on avait associé à la procédure la collectivité territoriale de Corse, responsable de la continuité territoriale et donc de la définition de la future délégation de service public, les conditions de privatisation de la SNCM auraient été plus favorables pour l'État, la gestion industrielle de la SNCM aurait été meilleure depuis cette date, et l'on aurait mieux anticipé les décisions des instances de l'Union européenne. Bref, une procédure de vente menée autrement aurait permis à la SNCM d'éviter la situation dangereuse qu'elle connaît aujourd'hui. La commission d'enquête dont nous proposons la création doit permettre d'éclairer ces points et de tirer les leçons de cette expérience, loin de toute polémique partisane ou de volonté d'accuser qui que ce soit.

Aux termes de l'article 140 du Règlement, « les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente. Celle-ci vérifie si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies et se prononce sur son opportunité. » Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées ». L'article 137 du Règlement ajoute que les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

L'objet désigné par le titre de la commission d'enquête demandée est parfaitement précis. Il ne peut s'agir d'autre chose que de recueillir des informations sur les éléments constitutifs d'une décision unique, la décision de privatisation de la SNCM, décision engageant l'avenir d'une société nationale, et les conditions dans lesquelles cette décision a été finalement formulée.

La proposition de résolution paraît donc parfaitement recevable au regard des dispositions de l'ordonnance n° 58-1100 et de l'article 137 du Règlement de l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, la présente proposition de résolution ne tombe pas sous le coup de l'article 138 du Règlement, selon lequel « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre ».

Enfin, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 interdit la création d'une commission d'enquête dont les travaux porteraient « sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Saisie par M. le président de l'Assemblée nationale, Mme la garde des sceaux a répondu le 3 juin qu'aucune poursuite judiciaire n'avait été engagée sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition.

À ce jour, la proposition de résolution répond donc aux conditions de recevabilité imposées par les textes.

Le choix de revendre la SNCM à un fonds d'investissement n'ayant aucune compétence, aucune expérience d'aucune sorte dans le domaine du transport maritime, qui n'a absolument rien apporté à la société, et a récupéré en la revendant quelques mois plus tard une plus-value de 60 millions d'euros, suffirait à établir l'opportunité de créer une commission d'enquête.

Autre fait particulièrement choquant, la cession à CMA CGM d'une participation de la SNCM dans l'entreprise Sud-Cargo s'est faite à un prix anormalement bas.

Par ailleurs, ce sont les deux conditions posées par le repreneur de la SNCM, à savoir l'attribution d'aides d'État et l'inclusion dans la délégation de service public du service complémentaire, qui valent aujourd'hui à la SNCM d'être menacée par l'Union européenne d'une charge de remboursement de 450 millions d'euros.

On doit également se demander pourquoi le Parlement, qui représente le peuple actionnaire de la SNCM, n'a été à aucun moment consulté ou même simplement informé sur cette vente, sinon à travers mes questions au Gouvernement.

En outre, la plus-value réalisée en quelques mois par BCP prouve que la société n'avait pas été estimée à sa juste valeur.

Enfin, l'exposé des motifs souligne le contexte médiatique volontairement défavorable dans lequel a été lancée la privatisation.

Ainsi, la proposition de résolution présentée est juridiquement recevable. La situation de la SNCM, ainsi que le rôle des conditions de sa privatisation dans cette situation, justifient pleinement un véritable travail d'analyse, transparent, public et contradictoire pour éclairer la représentation nationale sur ces conditions.

« On a beau faire, la vérité s'échappe et perce toujours les ténèbres qui l'environnent » disait Montesquieu. Je pense cependant, loin de tout esprit polémique, qu'il est temps de faire le point sur cette affaire.

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