Intervention de Monique Iborra

Réunion du 5 juin 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Iborra, rapporteure :

Merci, madame la présidente.

Comme l'a rappelé notre collègue Dominique Dord, qui a présidé cette mission d'information, celle-ci a été créée par la commission des affaires sociales dans un contexte difficile sur lequel je n'ai pas besoin de m'appesantir. La situation est préoccupante en France comme en Europe. C'est vrai particulièrement pour l'emploi des jeunes, mais aussi en raison de l'installation d'un chômage de longue durée. 40 % des demandeurs d'emploi en France sont actuellement des demandeurs d'emploi de longue durée. Le taux de chômage dans la zone euro a atteint un nouveau record pour s'établir à 12,1 % de la population active. La zone euro compte désormais 19 millions de personnes sans emploi. Certains pays cependant font mieux que les autres en matière d'accompagnement et de retour à l'emploi.

Avant d'aller plus avant, je voudrais remercier nos collègues membres de la mission qui se sont investis dans nos travaux pendant sept mois, soit en participant à la centaine d'auditions que nous avons réalisées, soit en se joignant aux différents déplacements sur le terrain dans cinq régions. Nous avons été très bien accueillis par Pôle emploi qui a, par ailleurs, répondu à toutes nos questions. Nous avons également été fort bien reçus par les missions locales, les maisons de l'emploi, les services de l'État et tous les acteurs du service public local de l'emploi, piloté par les collectivités territoriales.

Les rapports antérieurs de l'Inspection générale des affaires sociales, de l'Inspection générale des finances et du Conseil économique, social et environnemental consacrés à ce sujet avaient plutôt une appréhension par structure et relativement cloisonnée. Notre rapport a voulu adopter une vision large, sans réduire le champ de son étude au seul acteur majeur qu'est Pôle emploi.

Au-delà de la politique économique et sociale menée, au-delà de l'activité législative et réglementaire mise en oeuvre, au-delà de tous les leviers de la politique de l'emploi prévus par la feuille de route sociale issue de la Conférence sociale de juillet 2012, au-delà de la réforme du marché du travail, le service public de l'emploi dans son ensemble se doit de représenter en quelque sorte l'outil, la maîtrise d'ouvrage, avec au premier chef Pôle emploi, mais plus largement avec tous ceux qui collaborent à la mise en place de politiques de lutte contre le chômage.

C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas cantonné notre analyse au seul opérateur public et l'avons étendue à l'ensemble du service public de l'emploi, notamment dans son organisation et sa dimension territoriale.

S'agissant de Pôle emploi, celui-ci se trouve à une période clef de sa jeune histoire, faisant suite aux difficultés qui ont émaillé une fusion entre l'ANPE et les Assédic réalisée en pleine crise, souvent à marche forcée, et n'ayant pas obtenu tous les effets attendus. Je pense ici particulièrement à l'échec du « métier unique ».

Pôle emploi a entamé une deuxième phase de son existence avec la plan stratégique « Pôle emploi 2015 », qui tente de corriger en grande partie les effets négatifs induits par l'augmentation du chômage et ceux consécutifs à la fusion. D'ores et déjà, une augmentation des effectifs est réalisée avec 4 000 recrutements qui devraient être affectés à l'accompagnement des demandeurs d'emploi, cet accompagnement étant différencié en fonction de leur degré d'autonomie.

Comme je vous le disais, des rapports ont déjà été consacrés au sujet. À ceux précédemment cités j'ajouterai celui du Sénat en 2011 et celui de la Cour des comptes en janvier 2013. Toutes ces contributions que nous avons lues avec attention se sont penchées sur les différents acteurs du service public de l'emploi, mais le plus souvent en étudiant chacun isolément et en privilégiant l'angle institutionnel.

Notre approche a été autre. Nous avons inclus dans notre champ d'analyse les collectivités territoriales, avec les missions locales, les maisons de l'emploi et les écoles de la deuxième chance. Nous nous sommes penchés sur les structures d'insertion par l'activité économique et sur les Cap emploi, chargés particulièrement de l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

Nous sommes partis par ailleurs du point de vue du demandeur d'emploi, perdu, il est vrai, dans un maquis plus institutionnel qu'opérationnel et peu compréhensible pour des non-spécialistes, d'autant plus lorsqu'il s'agit de personnes en difficulté.

De l'ensemble des auditions menées, de toutes les observations effectuées au plus près des réalités du terrain, nous retirons d'abord la conviction qu'une simplification du paysage institutionnel et une clarification des compétences s'imposent. Tel est l'objet de la première partie de notre rapport. Nous faisons à cet égard cinq propositions.

À cette simplification doivent s'ajouter impérativement, en particulier à Pôle emploi, non seulement un renforcement de l'accompagnement tant des demandeurs d'emploi que des entreprises, mais également une redéfinition du contenu de cet accompagnement, avec le passage d'une logique de type administratif à une logique plus personnalisée et plus réactive.

Le renforcement des moyens était nécessaire, mais il s'avérera insuffisant sans une réorganisation du travail, une simplification importante des procédures administratives, y compris celle de l'accès à l'indemnisation, et une orientation résolue vers le demandeur d'emploi en vue d'un accès plus précoce à l'emploi. C'est la deuxième partie du rapport. Nous formulons à ce propos trente-quatre propositions, neuf qui touchent à l'organisation générale, sept qui concernent le demandeur d'emploi proprement dit, huit sur l'accompagnement et le suivi des allocataires du revenu de solidarité active (RSA), sept pour le dispositif de formation et trois pour les relations avec les entreprises.

Dans la première partie du rapport, nous avons essayé de porter un regard lucide sur l'organisation extrêmement fragmentée du service public de l'emploi en France, notamment au niveau territorial.

Le service public de l'emploi dans sa globalité dispose de moyens et d'effectifs qu'on peut considérer comme importants. En 2010, l'ensemble des acteurs du service public de l'emploi représentaient 62 000 équivalents temps plein. Toutes les comparaisons avec d'autres pays européens montrent un accompagnement pourtant trop peu efficace du demandeur d'emploi dans notre pays. Ce chiffre de 62 000 est d'ailleurs largement sous-estimé. En effet, d'une part, Pôle emploi atteindra un effectif de 51 000 en 2013. Les missions locales, qui comptaient 8 000 personnes en 2010, en comptent 11 000 aujourd'hui. D'autre part, ces chiffres ne prennent pas en compte, notamment, le personnel des collectivités territoriales, toutes les associations d'insertion, le personnel affecté aux plans locaux d'insertion pour l'emploi (PLIE), qui représentent 170 structures en France, et aux maisons de l'emploi, qui en représentent 195.

Le service public de l'emploi territorialisé souffre de l'intervention d'un nombre excessif d'acteurs opérant de manière largement indépendante les uns des autres, sous-traitant souvent entre eux, avec des financements croisés, fruits d'une accumulation d'initiatives diverses, aussi bien privées qu'émanant de l'État ou des collectivités territoriales. S'il existe des schémas et des conventions, ils sont souvent d'inspiration plus technocratique qu'opérationnelle.

Cette situation souvent dénoncée mais jamais simplifiée, peut aboutir paradoxalement à un retour à l'emploi différé. Le demandeur d'emploi est trop souvent montré du doigt et considéré comme se contentant du versement des indemnités de chômage. Or, les instances dont il dépend sont en grande partie responsables de son retour trop tardif à l'emploi, du fait du morcellement du service public de l'emploi sans véritable stratégie d'ensemble. Ce foisonnement d'intervenants sans chef de file véritable est préjudiciable à l'efficacité du service rendu au demandeur d'emploi.

S'agissant des 240 missions locales, je tiens à saluer d'abord l'implication et le militantisme de leur personnel. Le problème de ces structures est que, très attachées à leur autonomie, elles ont des financements qui proviennent de l'ensemble des collectivités territoriales mais aussi de l'État et aujourd'hui, pour traiter le décrochage, des partenaires sociaux. Leur budget est fragilisé par le fait que, du jour au lendemain, une collectivité territoriale peut décider de ne plus les financer. Par ailleurs, chaque financeur est aussi donneur d'ordre. Les missions locales sont sollicitées tous azimuts. Leur orientation vers le demandeur d'emploi pourrait donc être améliorée si elles dépendaient moins de ces multiples donneurs d'ordres.

Les 181 plans locaux pour l'insertion et l'emploi, quant à eux, n'existent pas sur tout le territoire national. Ils sont généralement hébergés par les maisons de l'emploi. Les communautés d'agglomération sont leur premier financeur. Les PLIE reconnaissent que leur intervention ressemble beaucoup à celle des missions locales, même si celles-ci n'accueillent que les jeunes. Par ailleurs, il faut noter que les missions locales sous-traitent avec les PLIE.

Enfin, les 107 écoles de la deuxième chance présentent un taux d'accès à l'emploi supérieur à celui des autres structures, compte tenu de leur forte proximité avec les entreprises et de leur méthode d'intervention fondée sur l'alternance. Les jeunes qu'elles prennent en charge sont pourtant en très grande difficulté.

Nous préconisons de regrouper les missions locales, les PLIE et les écoles de la deuxième chance. Ce regroupement devrait bien sûr se traduire également par un regroupement de leurs instances représentatives, tant au niveau national qu'au niveau local. Ce regroupement pourrait s'appeler « service public d'insertion pour l'emploi ».

Je n'ai pas de tropisme régional. Il faut toutefois de la cohérence. Dès lors que le rapprochement de l'emploi et de la formation apparaît comme un gage d'efficacité, que des lois de décentralisation successives ont donné à la région des compétences en la matière, que de futurs projets de loi vont bientôt être discutés sur le même sujet, il nous semble que la région est appelée à être le chef de file de ce service public régional de l'insertion professionnelle. Son rôle serait de définir une stratégie régionale au regard de ses compétences déjà dévolues et de celles attendues dans le cadre de la décentralisation, conciliant orientation, formation professionnelle et apprentissage en lien avec le développement économique régional.

L'animation locale serait assurée au plus près des bassins d'emplois, au regard de la stratégie définie par la région et concertée avec l'État, les partenaires sociaux, les communautés d'agglomération et les départements, avec le concours de Pôle emploi. Des conventions visant l'opérationnalité seraient passées avec l'opérateur public national et avec ses déclinaisons régionales. L'État resterait, à l'échelon national, garant de la politique de l'emploi dont il conserverait la compétence de droit commun.

Les maisons de l'emploi, créées par la loi de cohésion sociale en 2005, c'est-à-dire avant la fusion de l'ANPE et des Assédic, sont aujourd'hui au nombre de 195. Elles ne couvrent pas l'ensemble du territoire national. Elles ont été peu à peu vidées de leur substance après la naissance de Pôle emploi. Seule une quarantaine d'entre elles continuent par dérogation à recevoir du public. Elles sont financées en majorité par les communautés d'agglomération. On pourrait faire évoluer les maisons de l'emploi vers un rôle d'agences économiques pilotées par les régions et les communautés d'agglomération, compte tenu des compétences dévolues à ces collectivités en matière de développement économique, en associant notamment les chambres des métiers et les chambres de commerce et d'industrie.

Je rappelle que, sous le Gouvernement précédent, le soutien de l'État en faveur des maisons de l'emploi a nettement diminué – de l'ordre de 40 %. Je pense qu'on doit en terminer avec l'hypocrisie qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui avec la réduction des moyens de maisons de l'emploi qui ne peuvent plus recevoir de demandeurs d'emploi et qu'on laisse libres de leur orientation. Il convient que les maisons de l'emploi demeurent un outil à la disposition des communautés d'agglomération et des régions, mais leur activité doit être réorientée. Le statu quo n'est plus admissible.

J'en viens à Pôle emploi et aux propositions de la mission à son sujet. Il est nécessaire de repenser le contenu de l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des entreprises. Une réorganisation de Pôle emploi est en cours, sous la conduite de son nouveau directeur général ; nous ne pouvons donc pas, aujourd'hui, formuler d'avis définitif sur ce que sera cette institution en 2015 – il faudrait d'ailleurs sans doute, madame la présidente, que nous suivions son évolution au cours des mois à venir.

Si la réorientation de Pôle emploi est nécessaire et si celle-ci passe par une augmentation des moyens, cette dernière ne saurait suffire. Un ancrage local dans le contexte régional, en lien étroit avec les services et les acteurs régionaux, est indispensable. Depuis sa création, Pôle emploi s'est quelque peu comporté en « autiste » à l'égard des autres intervenants, notamment les collectivités territoriales. En outre, au-delà des schémas et des conventions, l'opérationnalité en direction des demandeurs d'emploi et des entreprises doit être nettement améliorée. Cela nécessite donc une réorganisation en profondeur de l'opérateur national.

J'insisterai plus particulièrement sur certaines insuffisances constatées par la mission et sur lesquelles celle-ci a émis des propositions.

Le premier constat est celui de la lourdeur des procédures administratives et des difficultés posées par leur dématérialisation aux demandeurs d'emploi les moins autonomes. On constate aussi que la complexité des règles d'indemnisation pose problème aux conseillers eux-mêmes, malgré l'accès à des formations, nécessitant la création de postes de « référents réglementaires ». On peut déplorer des radiations contestables et non « graduées ».

Je regrette aussi une dichotomie peu efficace et peu transparente pour le demandeur d'emploi allocataire du RSA, entre l'« employabilité » confiée à Pôle emploi et le « suivi social » qui relève des conseils généraux. En matière d'accompagnement, nous avons d'ailleurs esquissé quelques pistes concernant le suivi des bénéficiaires du RSA, tout en sachant que notre collègue Christophe Sirugue rendra prochainement au Premier ministre un rapport proposant plusieurs scénarios de réforme de ce dispositif, scénarios appelés certainement à se concrétiser dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014.

Nous suggérons, pour notre part, de resserrer les liens entre Pôle emploi et les départements, en particulier par le détachement de travailleurs sociaux dans les agences de l'opérateur et par la mise en place de correspondants officiels de Pôle emploi au sein des conseils généraux. Nous recommandons également de confier à Pôle emploi et aux conseils généraux une mission d'accompagnement global de tous les demandeurs d'emploi éprouvant des difficultés sociales (en matière, par exemple, de logement, de santé ou encore de garde d'enfants), qu'ils soient, ou non, titulaires du RSA. Un profond renouvellement de la politique d'insertion apparaît en effet indispensable au profit de tous les demandeurs d'emploi en difficulté, renouvellement qui passe obligatoirement par un décloisonnement des sujets économiques et des questions sociales.

Nous avons aussi constaté un éclatement et un morcellement des tâches, avec une convocation des demandeurs d'emploi différée à quatre mois après le premier entretien. Il convient de mettre en oeuvre une prise en charge plus rapide. On peut aussi regretter des référents internes trop nombreux, avec une myriade de référents thématiques qui rendent parcellaire l'intervention du conseiller « de base », et un quasi-doublement des postes d'encadrement, en raison notamment de la fusion entre l'ancienne Agence nationale pour l'emploi et les Assédic.

La proximité avec les petites et moyennes entreprises du territoire régional est insuffisante, ce qui nécessiterait de spécialiser des équipes dans le contact avec ces dernières.

À l'heure où certains préconisent une diminution des allocations d'assurance chômage pour assurer un retour plus précoce à l'emploi, il semble préférable d'optimiser et de restructurer le service public de l'emploi vers une prise en charge plus dynamique des demandeurs d'emploi. Or on constate un service rendu à ces derniers nettement insuffisant en matière de formation. Une amélioration de la coopération entre les acteurs de la formation professionnelle est nécessaire, à travers le développement d'un véritable lien opérationnel entre la région, les conseillers de Pôle emploi et les partenaires sociaux. Il semble par ailleurs souhaitable d'associer plus étroitement à l'organisation interne de Pôle emploi les anciens psychologues de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), transférés à Pôle emploi lors de la fusion entre l'ANPE et les Assédic. Il conviendrait également de réformer les procédures d'achat de formation en désignant la région comme acheteur unique, et de concevoir une alternative à l'achat de formation selon la procédure des marchés publics, trop lourde et ne permettant pas de réagir aux évolutions du marché de l'emploi.

En conclusion, s'il est incontestable que Pôle emploi, avec son directeur général, a pris aujourd'hui la mesure des problèmes et a commencé à mettre en oeuvre des améliorations substantielles à son fonctionnement, il n'en demeure pas moins que cette évolution devra faire l'objet d'un suivi. Je salue évidemment les efforts des personnels soumis non seulement à la montée du chômage, mais aussi à des réorganisations successives et de grande ampleur. Avec la même exigence, les acteurs du service public de l'emploi territorial devraient envisager des regroupements concertés préservant l'intérêt général au-delà des intérêts particuliers et de l'attachement légitime que l'on peut avoir pour telle structure ou tel dispositif. La lutte contre le fléau du chômage nécessite aujourd'hui une mobilisation de tous et une réforme du service public de l'emploi dans sa globalité.

Compte tenu de la richesse des réformes en cours, il semblerait judicieux qu'à moyen terme, à l'instar de ce qui est pratiqué pour le suivi de l'application des lois, la commission des affaires sociales de notre assemblée se donne les moyens d'étudier les évolutions qu'aura connues le service public de l'emploi dans son ensemble et examine les suites éventuelles données à nos préconisations, pour prolonger ainsi la réflexion.

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