Intervention de Geneviève Fioraso

Séance en hémicycle du 13 juin 2013 à 15h00
Déclaration du gouvernement en application de l'article 50-1 de la constitution sur l'immigration professionnelle et étudiante et débat sur cette déclaration

Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mesdames et messieurs les députés, la mondialisation des connaissances, des universités et des laboratoires, est une réalité en marche. Le nombre d'étudiants en mobilité internationale a doublé depuis 2005. Il doublera à nouveau d'ici 2020. Nombre d'entreprises recrutent à l'international les compétences dont elles ont besoin et de plus en plus de jeunes qualifiés aspirent à donner une dimension internationale à leur carrière.

Comme cela vient d'être dit, les pays émergents fondent désormais leur développement sur l'élévation du niveau de qualification et sur la recherche. L'Inde veut doubler le nombre de ses étudiants d'ici à 2020. La Chine, qui ne comptait que 5 millions d'étudiants il y a une dizaine d'années, en a aujourd'hui 30 millions et en prévoit plus de 60 millions en 2020.

Nous devons nous montrer à la hauteur de cet enjeu. Chaque année, 290 000 jeunes étrangers font le choix d'étudier dans notre pays. Près de 41 % des thèses soutenues en France le sont par des étudiants étrangers tandis que 60 000 titres de séjours bénéficient annuellement aux étudiants, contre 17 000 à des salariés et 90 000 au titre de la vie privée et familiale. Notre pays peut s'honorer de ce rayonnement international qui témoigne à lui seul de la qualité scientifique et pédagogique de nos universités et de nos établissements d'enseignement supérieur.

Mais cette position est fragile, et Manuel Valls vient de le rappeler. Notre pays a perdu du terrain ces dernières années, en passant en dix ans de la troisième à la cinquième place dans le classement des pays les plus attractifs en matière d'études supérieures. L'Australie nous dépasse désormais nettement, et l'Allemagne vient de nous doubler. Elle était pourtant très en retard il y a cinq ans encore.

L'impact n'a pas seulement été quantitatif, il a aussi été qualitatif. Les étudiants des pays émergents, surtout en sciences et en ingénierie, choisissent des destinations où l'offre de formation et de recherche ainsi que les conditions d'accueil sont davantage adaptées à leurs besoins.

Car la compétition est vive. Face à ces flux croissants d'étudiants et de chercheurs, les pays d'accueil s'organisent. L'accueil des étudiants internationaux fait désormais l'objet de politiques nationales ambitieuses. Le président Barack Obama vient de lancer une politique d'attractivité scientifique pour attirer les talents. Les grands pays anglophones prennent des positions offensives dans les échanges internationaux, notamment le Canada ou l'Australie. Plus près de nous, l'Allemagne et les pays scandinaves ont développé une stratégie d'accueil qui a déjà prouvé son efficacité.

Réussir à mieux capter ces mobilités étudiantes et scientifiques en croissance, ce n'est pas seulement faire preuve d'universalité et de générosité. C'est un levier stratégique pour assurer la place de la France dans le monde.

Il s'agit d'abord d'un enjeu pour notre recherche, notre enseignement supérieur et notre ouverture sur le monde. Nous constatons chaque jour le rôle primordial joué par les chercheurs étrangers dans nos écosystèmes : nombreux sont ceux que l'on retrouve coordonnant de remarquables projets de recherche fondamentale ou technologique. Pour faire reconnaître notre recherche et notre enseignement supérieur au niveau international, il nous faut d'abord en faire bénéficier les jeunes des pays émergents qui seront demain les décideurs dans leurs pays.

Mais c'est aussi un enjeu de rayonnement et de compétitivité, un enjeu pour notre politique d'influence reposant sur la diffusion de notre langue, de notre culture et de nos valeurs à travers le monde. Quel que soit leur parcours professionnel ultérieur, les étudiants étrangers que nous accueillons aujourd'hui connaîtront et aimeront notre pays demain. Ce seront nos meilleurs ambassadeurs.

Ces mobilités créent les conditions de partenariats professionnels ultérieurs, bien utiles aussi pour améliorer l'équilibre de notre balance commerciale extérieure dont nous voulons redresser le déficit abyssal, qui n'a cessé de se creuser depuis plus de dix ans.

C'est pourquoi refuser de s'engager dans la formation des futures élites économiques, politiques, administratives et culturelles du monde entier, alors que la France en a la capacité, susciterait l'incompréhension de tous. Ce serait surtout une faute au regard des intérêts de notre pays.

Cette évidence n'a pas toujours été comprise. La politique migratoire de la précédente majorité a fait des ravages en termes d'attractivité universitaire et scientifique. La complexité et la lenteur des démarches administratives, les propos stigmatisants, les mesures dissuasives : tout était en place pour décourager les candidats à la mobilité.

Je pense en particulier à la circulaire dite Guéant, du 31 mai 2011, ce texte de fermeture, de repli sur soi, de rupture avec la longue tradition d'accueil de notre pays, que nous avons fort heureusement abrogée le 31 mai 2012. En interdisant aux meilleurs chercheurs et étudiants étrangers un accès au marché du travail, cette circulaire les dissuadait de fait de choisir la France. Ce texte n'a pas seulement nuit à notre attractivité universitaire, il a également pénalisé notre économie. Un seul exemple : la première SSII française, CapGemini, s'est vue privée de l'embauche de 200 jeunes diplômés étrangers en 2012, soit 10 % de ses recrutements annuels, à cause des restrictions liées à cette circulaire.

À force de considérer les chercheurs et les étudiants comme une menace migratoire dont il convient de se protéger, notre réputation a été durablement entachée. Il était donc indispensable d'inverser la tendance.

Je veux répéter à l'occasion de ce débat que le Gouvernement considère les étudiants et les chercheurs étrangers comme une chance et non comme un problème. Le message que le Gouvernement leur adresse est donc tout à fait clair : bienvenue en France !

Mais, après avoir abrogé la circulaire Guéant, nous avons pris un engagement, celui de mettre en place une véritable politique d'attractivité universitaire et scientifique de la France. Cette politique repose sur trois priorités. La première est le renforcement des politiques d'internationalisation de nos établissements d'enseignement supérieur en direction des pays émergents et de l'Afrique. La deuxième est l'amélioration des conditions d'accueil des étudiants et chercheurs étrangers, et la troisième est la sécurisation des premières expériences professionnelles des meilleurs diplômés étrangers.

Pour être à nouveau compétitive, la France doit non seulement continuer à attirer les meilleurs étudiants internationaux, mais aussi diversifier leur origine géographique. Nous devons nous tourner vers les pays émergents, les « BRICs », et nous devons consolider dans le même temps nos partenariats avec l'Afrique.

Les pays émergents investissent massivement dans la formation et la recherche et connaissent une dynamique nouvelle de leurs mobilités étudiantes. Face à l'attractivité qu'exercent sur leurs étudiants et leurs chercheurs les pays anglo-saxons, la France se devait de réagir.

Si nous accueillons 30 000 étudiants chinois, principalement dans les filières littéraires, commerciales et artistiques, nous n'avons en effet que 5 500 étudiants coréens, principalement dans ces filières également, 3 000 étudiants venus de l'Inde – qui compte 1 milliard d'habitants – et trop peu d'étudiants russes. Surtout, ils ne viennent pas dans nos filières scientifiques, technologiques ou d'ingénierie. Le programme brésilien « sciences sans frontière » prévoit quant à lui 10 000 étudiants supplémentaires de niveaux master et doctorat en mobilité vers la France d'ici 2017. Nous avons conclu un accord avec mon homologue brésilien à cet effet. Nous en avons également conclu un pour les faire bénéficier de cette bonne pratique que sont les conventions CIFRE, qui sont en quelque sorte des doctorats en alternance. Ce dispositif est extrêmement utile pour diffuser la recherche et l'innovation dans les PMI et les PME. Le Brésil a immédiatement adopté cette bonne pratique, qui avait été mise à mal lors du quinquennat précédent du fait d'une baisse des financements.

Nombreux sont les étudiants de ces pays attirés par la France, mais l'obstacle linguistique, principalement dans les disciplines scientifiques, économiques et commerciales, les empêche de venir. Au nom de quoi priverions-nous nos étudiants de contacts avec des étudiants indiens, brésiliens, coréens ou indonésiens, qui aujourd'hui ne viennent pas à cause de l'obstacle de la langue ?

L'organisation d'enseignements en langues étrangères dans nos universités que propose de faciliter la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, tout en les encadrant, a notamment pour objectif d'apporter une réponse à la demande exprimée par les étudiants des pays émergents.

Pour attirer davantage d'étudiants internationaux, nous ne devons pas faire de la maîtrise de notre langue un a priori pour la mobilité. Il faut en revanche en faire une condition pour l'obtention du diplôme, tandis que certains enseignements seront délivrés en anglais pendant la première partie des études de ces étudiants. Ce que nous voulons, c'est accueillir les jeunes qui ont une envie de France, des francophiles, pour qu'ils deviennent des francophones.

Il ne s'agit donc en aucun cas de remettre en cause la primauté de la langue française, comme on l'a trop souvent lu. Il s'agit, au contraire, d'élargir le socle de la francophonie auprès de jeunes qui aujourd'hui ne viennent pas dans notre pays. C'est ainsi que nous élargirons le rayonnement de notre culture car la francophonie ne se réduit pas à une langue, c'est aussi une culture, ce sont aussi des valeurs. C'est la définition qu'en donne Abdou Diouf, secrétaire général à la francophonie et ancien président du Sénégal.

Cette mesure a fait couler beaucoup d'encre – beaucoup trop d'ailleurs. Les débats à l'Assemblée ont permis de lever bon nombre des inquiétudes qui s'étaient exprimées, en conditionnant ces cours en langue étrangère à des conventions avec des universités étrangères, des programmes européens et à des nécessités pédagogiques, en offrant systématiquement un apprentissage du français et en prenant en compte le niveau en français pour l'obtention du diplôme. Je ne peux que m'en féliciter, car l'important, c'est d'avancer. Dans tous les pays émergents où nous nous sommes rendus, nous avons reçu un accueil favorable et nous avons été félicités pour cette initiative.

Le deuxième axe stratégique pour la France, qui est tout à fait complémentaire, c'est de développer une francophonie plus offensive, en particulier en direction de l'Afrique sub-saharienne et du Maghreb.

Nous devons être présents et accueillants vis-à-vis de l'Afrique, où la Chine est déjà présente depuis plusieurs années. Au-delà des proximités culturelles et historiques et des responsabilités qui nous incombent pour ces raisons, ce continent peut être aussi un levier de développement pour l'Europe. Avec une croissance annuelle supérieure à 5 %, avec une population jeune et pleine d'énergie, avec une culture de la solidarité extrêmement riche, ce continent jeune offre des perspectives de développement essentielles pour l'Europe. Qui l'aurait dit il y a quelques années ? Aucun économiste ne l'avait prédit.

Il faut donc absolument conforter l'accueil en France des étudiants en provenance d'Afrique, en particulier d'Afrique subsaharienne, dont je rappelle qu'ils représentent avec le Maghreb 55 % des étudiants étrangers dans notre pays.

Nous devons également être davantage présents dans ces pays, notamment en y soutenant l'implantation d'établissements d'enseignement supérieur français. C'est le sens des accords de partenariat que j'ai eu l'occasion de signer avec le Maroc. Le ministre marocain de l'enseignement supérieur, M. Daoudi, qui a d'ailleurs été mon premier visiteur, à peine deux jours après ma nomination, m'a rappelé que son pays était particulièrement bien placé pour ouvrir la voie vers l'Afrique subsaharienne.

Notre coopération avec l'Afrique subsaharienne et le Maghreb doit d'ailleurs se développer dans des directions plus diversifiées : la poursuite de l'accueil d'étudiants en France, mais aussi l'installation de formations dans leurs pays, avec une mobilité réciproque et, ce faisant, des partenariats plus équilibrés.

Le développement de diplômes conjoints entre la France et l'étranger me paraît également être un levier intéressant pour intensifier ces coopérations internationales.

Enfin, pour atteindre notre objectif et attirer plus d'étudiants internationaux, nous devons aussi améliorer la lisibilité de notre enseignement supérieur sur le plan national et à l'étranger. La simplification de l'offre de formation que j'ai engagée le permettra. Personne, en France, ne s'y retrouve plus parmi les plus de 10 000 spécialités et mentions de masters et les plus de 3 000 intitulés de licence. Imaginez le résultat, vu de Séoul ou de São Paulo ! Les étudiants qui doivent aujourd'hui s'inscrire dans le système admission post-bac se voient proposer 11 000 formations. Imaginez le maquis pour ceux qui ne disposent pas dans leur environnement ou leur réseau relationnel d'un décrypteur. Le regroupement des établissements sur chaque territoire permettra aussi de coordonner et de simplifier la carte des formations.

Il est également indispensable d'améliorer les conditions d'accueil des étudiants étrangers dans notre pays.

Il est tout d'abord nécessaire de faciliter les démarches, chaque fois que cela est possible, en ouvrant de véritables guichets uniques regroupant les services de la préfecture, de la CAF, des oeuvres universitaires, des collectivités, des services de transports en commun au plus près des lieux de formation et de recherche. Les étudiants et les chercheurs pourront y accomplir en un seul lieu toutes les démarches liées à une installation : dépôt de dossier concernant le titre de séjour, demande de bourse ou de logement, accès aux soins, accès à la culture, titres de transports.

Mais, au-delà, c'est toute la chaîne de l'accueil qui doit être simplifiée et rendue plus cohérente. Ne fermons pas les yeux sur le parcours du combattant qu'a représenté jusqu'ici l'obtention d'un visa ou le renouvellement chaque année – parfois plus fréquemment – d'un titre de séjour. Il n'est pas possible d'étudier ou de mener sereinement des activités de recherche sous la menace permanente d'une interruption de son droit au séjour d'une année sur l'autre ou d'une reconduite à la frontière.

En amont de l'arrivée en France, nous allons aussi encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d'inscription universitaire et de délivrance des visas. Je crois à la nécessité d'une clarification des rôles : les consulats et les préfectures doivent rendre un avis administratif, en s'appuyant sur l'avis pédagogique et scientifique des universités concernant les candidatures reçues.

Avec mon collègue Laurent Fabius, nous souhaitons améliorer le positionnement et le fonctionnement de Campus France. J'ai proposé à cette fin l'évaluation de la mission de promotion internationale des formations, qui est le premier enjeu pour l'établissement, mais aussi des modalités de gestion des bourses attribuées aux étudiants étrangers.

Nous devons ensuite simplifier le parcours du combattant administratif des étudiants et chercheurs étrangers une fois arrivés sur notre territoire. Nous devons notamment leur attribuer des titres de séjour étudiants valables pour tout un cycle d'étude. Le renouvellement annuel angoisse les étudiants et encombre les administrations. Je remercie de tout coeur le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, d'avoir répondu favorablement aux demandes non de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais des chercheurs et des étudiants en annonçant la généralisation du titre de séjour pluriannuel. Ce dernier est aujourd'hui l'exception : il doit devenir la règle. La circulaire permettant d'en systématiser la délivrance aux étudiants des niveaux master et doctorat a été signée. Mais nous devons aller plus loin : en cours de licence, aussi, je souhaite la mise en place d'un titre pluriannuel, comme l'a préconisé le rapport de Matthias Fekl, ce qui nécessite des évolutions législatives.

Quant à l'effort historique conduit par le Gouvernement en faveur du logement étudiant – 40 000 logements étudiants supplémentaires sont programmés d'ici à 2017 –, il contribuera à l'amélioration de l'accueil de tous les étudiants, notamment ceux en mobilité. Le déblocage des opérations campus, rendu possible par la diversification des procédures que j'ai mise en place, permet d'ores et déjà de programmer 13 000 logements dans les deux ans à venir, dont une partie sera disponible pour les étudiants et les jeunes chercheurs étrangers.

Alors qu'un tiers des nouveaux titres de séjour attribués aux salariés concernent des jeunes diplômés étrangers, je crois nécessaire de sécuriser les premières expériences professionnelles des meilleurs diplômés étrangers.

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