Intervention de Laurent Grandguillaume

Séance en hémicycle du 13 juin 2013 à 15h00
Déclaration du gouvernement en application de l'article 50-1 de la constitution sur l'immigration professionnelle et étudiante et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Grandguillaume :

Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, chers collègues, je souhaite tout d'abord exprimer notre satisfaction d'avoir l'occasion de débattre au sein de l'Assemblée nationale de l'immigration professionnelle et étudiante, débat qui répond à un engagement du Président de la République.

Je commencerai mon intervention par une citation de Jean Jaurès, qui disait avec raison : « Quel que soit l'être de chair et de sang qui vient à la vie, s'il a figure d'homme, il porte en lui le droit humain. »

Notre politique marque un tournant avec les politiques des nouveaux réactionnaires, qui se servent du thème de l'immigration et de l'intégration pour cliver, jouant sur la définition nationale-sécuritaire de l'identité nationale ainsi que sur l'opposition entre immigration choisie et immigration subie.

D'ailleurs, où sont les agitateurs qui gesticulent à chaque symptôme de fièvre sans jamais proposer de solutions durables ? Ils nous ont laissé en la matière un seul bilan : la lourdeur, la lenteur et la torpeur. Ils fuient le débat car ils sont à court d'arguments.

Identité nationale, déchéance de la nationalité, les trois dernières années furent rythmées par une succession de polémiques autour de l'immigration, lancées le plus souvent par le gouvernement à partir de faits particulièrement médiatisés. Si l'intégration heureusement, n'a pas cessé, la politique qui la favorise, a, elle, quasiment disparu sous le dernier quinquennat.

Nous mettrons fin à une politique de l'obsession du risque migratoire, une politique qui a abîmé l'image de la France à l'étranger, détournant de nombreux étudiants brillants, notamment francophones, vers d'autres destinations ou précarisant des travailleurs migrants en les stigmatisant.

Rappelons-nous que l'immigration a été très bénéfique pour la France. Selon une étude récente menée par trois économistes sur la relation entre immigration et croissance économique en France, fondée sur les modèles économétriques en usage au FMI, la contribution des travailleurs étrangers à l'économie se révèle positive. Le bénéfice pour la société serait de l'ordre de 300 millions d'euros par an.

Nos populations immigrées constituent une part fondamentale de ce que nous sommes, qu'il s'agisse de grands savants, de médecins et praticiens, d'artistes, de musiciens et de champions sportifs, ou de grandes figures des milieux d'affaires, d'entrepreneurs ou de femmes et d'hommes à la tête de petites entreprises, qui sont tellement nombreux. C'est là notre histoire, celle d'un pays ouvert, divers et accueillant, et j'en éprouve une immense fierté.

David Cameron désire s'assurer que ceux qui viennent en Grande-Bretagne sont les meilleurs, les plus brillants, et ceux dont ils ont réellement besoin pour favoriser leur croissance et gagner dans la compétition mondiale. C'est très réducteur car c'est nier le travail, l'effort et le mérite. Si la délivrance des visas professionnels à destination des travailleurs qualifiés et répondant aux besoins de notre marché du travail est en augmentation, n'oublions pas que les étrangers migrants sont souvent contraints à des temps partiels, à des CDD précaires. La définition de l'immigration professionnelle inclut aussi, en effet, les personnes déjà présentes sur le territoire français et régularisées au titre du travail.

L'appréciation de l'opposabilité de la situation de l'emploi sur le marché du travail apparaît particulièrement complexe, et ses modalités sont très discutées. Cette inégalité de traitement engendre de grandes difficultés d'intégration professionnelle. Elle est en partie responsable du fort taux de chômage des populations étrangères : plus de 130 000 recrutements annuels au total sont, en effet, interdits aux étrangers non européens à la recherche d'un emploi. Elle est également la cause des statuts précaires auxquels sont cantonnés des étrangers recrutés en tant que vacataires ou par le biais de la sous-traitance.

Se pose aussi la question d'autoriser les demandeurs d'asile à travailler durant la procédure. C'est un débat qu'il faudra avoir, en prenant le temps. Cette possibilité, qui existe déjà dans plusieurs pays, permettrait aux demandeurs d'asile de sortir de la précarité dans laquelle ils sont placés durant l'examen de leur demande, qui peut parfois durer plusieurs années. J'ai entendu les engagements de M. le ministre pour réduire ce délai.

Certains ont trop longtemps considéré que l'immigration professionnelle était une immigration jetable.

Comme le suggère dans son rapport Mathias Fekl, il va nous falloir penser à un titre de séjour pluriannuel pour les étrangers ayant vocation à s'installer durablement sur le territoire. Le renouvellement annuel du titre de séjour est coûteux en temps et en énergie, pour l'étranger comme pour les préfectures. En outre, la précarité des titres de séjour, leur renouvellement annuel, ne sont pas adaptés à notre volonté de bâtir une vraie politique d'intégration. Un titre de séjour pluriannuel sécurisera les parcours et favorisera une société inclusive. Il faut un choc de simplification en la matière !

Il est urgent de revoir le code d'entrée et de séjour des étrangers et demandeurs d'asile, de faciliter et de rendre plus lisibles les procédures de délivrance des titres de séjours et, au-delà du domaine législatif, la majorité doit continuer à travailler sur les pratiques administratives, notamment l'accueil des étrangers en préfecture, et c'est aussi un engagement fort de M. le ministre.

Permettez-moi d'aborder également la situation des étudiants et des chercheurs. Près de 290 000 étudiants étrangers sont inscrits dans l'enseignement supérieur français, dont les trois quarts à l'université. La France est le cinquième pays d'accueil des étudiants en mobilité internationale. Le nombre d'étudiants étrangers en France a connu une croissance considérable, près de 80 % en vingt ans, même si la circulaire Guéant a fait des ravages, et il faut saluer le courage du Gouvernement d'avoir remis en cause cette injustice.

Comme le précise la conférence des présidents d'université, il faut changer de paradigme face aux nouveaux enjeux à travers cinq axes : la responsabilisation des universités, la simplification de l'accueil administratif, l'amélioration des conditions de vie et d'intégration, l'accès au marché de l'emploi et la circulation des talents tout au long de la vie.

Enfin, la politique et le budget consacré à l'intégration ne doivent plus être les grands oubliés d'une politique qui se doit d'être inclusive et pragmatique face aux réalités.

L'amélioration du traitement de la famille accompagnante facilite également l'accueil des talents étrangers.

Comme l'a dit récemment Thierry Tuot, « une société compartimentée, par des coupures de revenus inégalitaires, des territoires en déshérence, des modes de vie tenus à l'écart, est une société qui génère la violence, la rancoeur et la revendication, l'amertume et la brutalité chez ceux qu'elle écarte, la peur et le repli chez ceux qui en sont. Cela coûte, mais surtout cela n'est pas durable. »

Dignité, justice, fermeté et responsabilité doivent guider notre action. Face aux temps difficiles, nous devons créer et innover pour renforcer la nation. En effet, si un peu d'internationalisme éloigne de la nation, beaucoup d'internationalisme la renforce, comme le disait si bien Jaurès.

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