Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 13 juin 2013 à 15h00
Déclaration du gouvernement en application de l'article 50-1 de la constitution sur l'immigration professionnelle et étudiante et débat sur cette déclaration

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

Madame la présidente, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, beaucoup de choses ont été dites au cours de ce débat, que nous souhaitions depuis longtemps, comme Sandrine Mazetier l'a rappelé. Il a été apaisé, apaisant, peut-être trop, mais c'est ainsi que ce type de débats, sur des sujets sensibles, devraient avoir lieu, régulièrement, pour avancer et trouver des solutions, loin des incantations ou des caricatures qu'a dénoncées Paul Giacobbi.

Notre pays, tous l'ont souligné, est une terre d'accueil, mais regardons autour de nous, et beaucoup l'ont dit aussi : l'Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Chine – évoquée par Thierry Mariani – sont engagés dans une forme de course pour l'accueil des migrations de l'excellence et de la connaissance. Si nous ne faisons rien, nous courons le risque d'être marginalisés. C'est le sens de l'action que nous avons engagée avec Geneviève Fioraso.

En même temps, je le crois, venir en France, choisir la France, cela se mérite. Nous avons des exigences républicaines qui ne sont pas négociables. Nous avons, je le répète, le droit souverain de déterminer qui peut rester sur notre territoire, dans le respect de nos principes et du droit européen. Si nous parvenons à adapter nos flux migratoires aux besoins de notre économie, de notre innovation, de notre rayonnement, nous pourrons, je l'espère, faire oeuvre utile en montrant que nous pouvons concilier un certain nombre de principes.

Je suis, par expérience, pour avoir beaucoup débattu de ces questions ici au cours de la précédente législature, pragmatique, et je me méfie des ruptures et des grands soirs dans ce domaine. J'entends bien qu'on me demande de tout changer, mais je suis attentif aussi à la situation de notre pays et à ce que pensent nos compatriotes. Ce qui me paraît essentiel, c'est la conciliation entre nos valeurs et l'efficacité. C'est cette voie, étroite sans doute, que nous devons emprunter.

Soyons clairs : la position de la France en Europe est singulière. Notre démographie est relativement favorable, et en même temps nous sommes confrontés à un chômage de masse. Il ne peut dès lors être question d'envisager une hausse sensible de nos flux migratoires réguliers. Il y a un débat mais c'est un choix que nous faisons.

Ce que je souhaite, c'est que nous nous donnions les moyens de mieux adapter ces flux migratoires aux besoins de notre économie, de notre rayonnement et que nous soyons surtout capables de les accueillir. Aujourd'hui en effet, même si ce n'est pas le coeur du débat de cet après-midi, force est de reconnaître que pour toute une série de raisons liées à l'accueil en matière d'emploi ou de logement, mais aussi au regroupement familial, l'immigration en difficulté, souvent pauvre, vient dans les mêmes quartiers et sur les mêmes territoires : c'est cela qui provoque cette ségrégation et cette confrontation. Nous devons nous montrer attentifs à cette question. Il ne suffit pas d'être généreux ou de proclamer que nous voulons fermer nos frontières, puisque tout le monde sait que nous ne pouvons pas changer en profondeur la politique du regroupement familial – cela serait d'ailleurs contraire à la Constitution et au droit européen. Nous devons être attentifs cependant aux conditions d'accueil : c'est pour moi une priorité.

Le débat ne porte pas sur la façon de réduire drastiquement les flux migratoires, car nous savons – et nous l'avons dit il y a un instant encore – que la part de l'immigration du travail est aujourd'hui extrêmement faible. Réduire l'immigration de manière drastique revient à réduire ou à interdire la venue d'investisseurs ou d'artistes étrangers et à diminuer massivement la mobilité des étudiants : cela n'aurait pas de sens. Nous avons débattu ; j'ai rappelé quelles ont été les mesures prises au cours de cette année ; maintenant, il faut agir. Le débat de ce jour servira, comme celui que nous avons eu au Sénat, et comme beaucoup d'autres travaux que nous avons lancés tant au Gouvernement qu'au Parlement, à engager un projet de loi relatif à l'immigration. Il sera limité dans son objet et pourra être présenté dans les mois qui viennent. Trois grands axes, au moins, présents dans ce projet de loi sont directement liés au débat de ce jour.

Le premier sera l'accueil des étudiants étrangers. Ce débat a permis de mettre en évidence que sur la question de l'accueil des étudiants étrangers, nous avons encore des progrès à faire – Jean-Yves Le Déaut, parmi d'autres, l'a rappelé. Il faut mieux accueillir les étudiants étrangers et c'est la préoccupation de la ministre. Un titre de séjour égal à la durée du cycle d'études doit être la règle, pour limiter les démarches redondantes, comme je le soulignais, de même que Jean-Yves Le Déaut, Sergio Coronado et encore Jean-Philippe Nilor cet après-midi.

Nous devrons aussi évaluer les pratiques de nos consulats et aller vers plus de transparence dans la sélection des étudiants étrangers, comme l'ont rappelé Paul Giacobbi et d'autres parlementaires. Le rôle de Campus France, comme Mme la ministre et M. Mariani l'ont souligné, est à cet égard parfois mis en cause. Cela implique que nous regardions ce point de près. Il faut être fermes et transparents vis-à-vis des étudiants étrangers qui négligent leurs études pour se consacrer à tout autre chose. Je pense, et je le répète, qu'un redoublement par cycle d'études est suffisant. Le projet de loi rappellera cette exigence.

Mme Chapdelaine et M. Coronado ont raison de dire qu'il faut faciliter le changement de statut pour les étudiants titulaires d'un master qui accèdent à un emploi correspondant à leurs compétences et suffisamment rémunéré. Aucune tracasserie administrative ne doit s'opposer à ce qu'ils puissent travailler en France. Notre économie a d'ailleurs besoin de ces talents étrangers. C'est là aussi, encore une fois, une source de rayonnement et de compétitivité, mais aussi d'inscription dans la globalisation de notre monde.

Je n'ignore pas qu'il faut éviter que l'accueil des étudiants étrangers, vu leur changement de statut, entraîne une fuite des cerveaux des pays sources, ce qui constitue un vrai sujet de préoccupation pour les parlementaires représentant nos compatriotes de l'étranger – quatre d'entre eux étaient présents cet après-midi. La solution est connue : il faut développer les partenariats internationaux de nos universités pour faciliter des modalités d'échanges réciproques et temporaires, ce qu'on appelle des migrations circulaires.

Je n'ignore pas qu'il faut aussi améliorer les conditions d'accueil et de logement en France pour ces étudiants – Patrick Bloche l'a rappelé et nous en avons beaucoup parlé avec la ministre. Mais cela a un coût. Une solution a été envisagée au Sénat et elle a été évoquée furtivement ici : il s'agit d'augmenter les frais d'inscription à l'Université pour les étudiants étrangers. Nous avons déjà un cadre légal, résultant d'un décret de 2002. À titre personnel, je crois utile que nous approfondissions la réflexion sur ce point et que nous regardions si la réglementation actuelle est suffisante ou s'il peut être utile de la compléter. Prenons cependant le temps de l'évaluation. Des exemples étrangers démontrent en effet qu'une hausse trop brutale des frais d'inscription peut aussi entraîner une fuite des étudiants étrangers. Le Parlement examinera cela de près, c'est son rôle.

Un deuxième axe de ce projet de loi sera une grande réforme de l'accueil des talents étrangers. Dans le cadre du pacte de compétitivité que j'ai évoqué, ce point est apparu comme une nécessité tant les titres de séjour actuels sont inopérants. Nous nous dirigerons vers un titre unique pluriannuel pour les talents, qui leur permettra de vivre en France, avec leur famille le cas échéant. La notion de talent sera définie en fonction du niveau soit de qualification soit de rémunération en France. Les investisseurs en France et les créateurs d'entreprises feront également l'objet de notre attention. À destination de ces publics, nous devons changer de discours : passer d'une logique de méfiance et de contingentement à une logique d'attractivité et partant d'accueil.

Le troisième axe sera la généralisation du titre de séjour pluriannuel, comme beaucoup d'entre vous l'ont souhaité. M. Nilor, M. Le Déaut ou encore M. Amirshahi, qui connaît bien ces questions, l'ont évoquée. J'ai été sensible également à la qualité du rapport que M. Fekl a remis au Premier ministre. Sur la question de l'immigration, plus que sur tout autre sujet, il faut prendre le temps de l'expertise et avancer avec pragmatisme. Le rapport de M. Fekl pointe une incohérence que vous avez soulignée. Notre droit au séjour est devenu trop précaire. Nous contraignons les étrangers à des passages multiples en préfecture, qui sont préjudiciables à la qualité de l'accueil et à leur intégration. Comment trouver un logement quand on va de récépissé en récépissé ? Cela accentue aussi par ailleurs le risque de fraude. Comment un préfet peut-il lutter efficacement contre la fraude quand tous les agents sont mobilisés pour une simple et unique activité de guichet ?

Je crois que le schéma qui nous a été présenté par Matthias Fekl est le bon. Il faut, après un premier titre de séjour, passer à un titre pluriannuel d'une durée maximale de quatre ans. Mais ce titre, je le répète, ne sera pas un blanc-seing : l'étranger devra annuellement justifier de sa situation personnelle. La préfecture pourra à tout instant le convoquer, non de manière tatillonne, mais pour un examen approfondi de situation. Tout manquement à nos règles pourra se voir sanctionner par un retrait du titre de séjour. C'est cela l'équilibre que nous devons trouver entre droits et devoirs ; c'est comme cela que nous permettrons aussi aux étrangers de s'intégrer durablement et aux préfets de lutter plus efficacement contre les fraudeurs, même s'ils sont une minorité.

S'agissant des recours ouverts aux étrangers retenus, le rapport de Matthias Fekl pointe à raison la complexité du droit et le caractère insatisfaisant des recours actuels. Il propose trois possibilités d'évolution que mes services sont en train d'examiner, en lien avec la chancellerie. Je veux répondre à un point qui concerne le droit au travail et l'intégration des migrants familiaux. Vous l'avez souligné, monsieur Grandguillaume et madame Mazetier, nos flux d'immigration régulière comprennent des migrants familiaux ou des réfugiés politiques qui ont droit au travail en France. Nous ne pouvons ni moralement ni juridiquement leur interdire de travailler : ce serait une bien étrange conception de l'intégration qui créerait de la précarité et de l'instabilité. Gardons-nous de tout malthusianisme en matière de marché du travail. L'économie, madame Maréchal-Le Pen, n'est pas un jeu à somme nulle, dans lequel tout entrant sur le marché du travail prend le travail d'un autre. Ce n'est pas ainsi que cela fonctionne. Dans les secteurs de l'aide à la personne notamment, du bâtiment ou des services, il existe des besoins qui sont couverts par des migrants réguliers.

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