Intervention de Blaise Compaoré

Réunion du 5 juin 2013 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Blaise Compaoré, président de la République du Burkina :

Je vous remercie de votre invitation. C'est une marque d'estime qui traduit la qualité des relations entre nos pays et l'attachement de votre assemblée à l'édification d'un monde épanoui et solidaire. Je rends également hommage à l'action déterminée du président François Hollande et de la France pour réaliser cet objectif.

La situation difficile de la zone sahélienne appelle les États africains et la communauté internationale à développer des initiatives fortes pour y restaurer la paix et la sécurité. En ma qualité de médiateur de la Cédéao, j'exprime ma reconnaissance à la France pour son intervention décisive au Mali, qui a mis fin à l'escalade de la violence terroriste et a permis de créer un contexte favorable à la reprise du dialogue politique, ainsi qu'à la tenue d'une élection présidentielle libre et transparente le 28 juillet. L'action du Burkina-Faso est déterminée car nos peuples aspirent à la paix et à la sécurité et nous sommes convaincus que le dialogue doit être l'option privilégiée pour le règlement pacifique des différends. Les résultats obtenus montrent la pertinence de cette médiation.

J'ai été désigné comme médiateur par mes pairs pour résoudre les problèmes du Mali : insécurité, absence d'un pouvoir constitutionnel légitime, extrémisme, actions terroristes. Nous avons travaillé à installer à Bamako un ordre légal : les putschistes ont dû accepter que le pouvoir intérimaire soit assuré pour un an par le président de l'Assemblée. Face à la volonté guerrière de certaines forces du nord, la France a dû intervenir à la demande des autorités légitimes du Mali ; elle l'a fait de manière héroïque et efficace, permettant que la MISMA se mette en place.

La relance du dialogue politique étant la condition d'une paix durable, j'ai réuni ces derniers jours à Ouagadougou les représentants du gouvernement malien de la transition, du MNLA et du Haut conseil de l'Azawad, à l'exclusion des groupes terroristes. Ce processus doit déboucher incessamment sur la signature d'un plan de sortie de crise en deux phases : trouver un accord-cadre créant les conditions sécuritaires permettant la tenue de l'élection présidentielle sur tout le territoire – y compris à Kidal ; ensuite, poursuivre la mise en place des nouvelles institutions, avec des pourparlers aboutissant à une paix définitive et au développement intégré.

La question majeure qui se pose souvent en situation de post-conflit est celle qui semble opposer recherche de la paix et rétablissement de la justice. A ce sujet, nous avons toujours privilégié une démarche globale qui allie ces deux impératifs d'importance égale que sont les solutions politiques et les objectifs judiciaires. A partir de nos expériences de médiation, nous pouvons affirmer que la paix et la cohésion sociale supposent l'établissement d'une culture solide d'acceptation durable des différences et du respect des droits individuels et collectifs, ce qui passe par une éducation appropriée. C'est une exigence majeure pour la promotion de la paix, de la justice et d'un bien-être partagé. Dans cette optique, l'intégration harmonieuse des valeurs traditionnelles et fondamentales d'amitié, de fraternité et de solidarité aux principes de gouvernance des Etats modernes, tels que la transparence des élections, apparaît comme une voie d'espoir pour la construction d'une Afrique stable et apte à poursuivre efficacement sa transformation économique et sociale. La situation de précarité et de grande pauvreté vécue par les populations de plusieurs régions de notre planète constitue un terreau favorable à l'émergence de troubles socio-politiques pouvant déboucher sur des crises aux conséquences dramatiques. C'est pourquoi je salue les efforts accomplis par les Nations unies, l'Union européenne, le Japon et l'ensemble des partenaires au développement dans le cadre de la TICAD (Tokyo International Conference on African Development) pour accompagner l'Afrique dans la construction d'une croissance de qualité, inclusive et génératrice de meilleurs accès aux services sociaux de base tels que l'éducation et la santé. Cette croissance doit également permettre la création d'emplois adéquats et décents pour les Africains, notamment les jeunes et les femmes.

S'agissant plus précisément du Mali, nous avions, en prenant ce dossier, trois objectifs en tête. Premièrement, il s'agissait, après le putsch, d'installer à Bamako un gouvernement légitime, ce que nous avons pu faire à travers des dialogues avec la junte pour amener le président de l'Assemblée à assumer cet intérim. Deuxièmement, après avoir traité la question constitutionnelle, il s'est ensuite agi pour nous d'aller vers un travail de réconciliation entre les Maliens, notamment entre les divers mouvements maliens que sont le MNLA et Ansar Dine, qui revendique l'indépendance et la charia. Troisièmement, il s'agissait de traiter la question d'AQMI, c'est-à-dire des mouvements de l'étranger venus s'installer au Mali. Si AQMI est entré au Mali, c'est parce que la nation malienne s'est effritée. La reprise du dialogue national est donc un moyen de lutter contre AQMI.

Le 4 décembre 2012, nous avons obtenu à Ouagadougou l'accord du MNLA et d'Ansar Dine pour arrêter les hostilités, reconnaître l'intégrité territoriale du Mali, lutter contre le terrorisme et rejeter l'extrémisme religieux. Par la suite, Ansar Dine s'est allié à AQMI pour lancer début janvier l'attaque de Konna, qui a conduit à l'intervention de la France pour bloquer cette escalade.

Nous sommes aujourd'hui revenus à un dialogue entre le MNLA et la fraction majoritaire d'Ansar Dine, qui s'est reconstituée en Haut Conseil de l'Azawad. Nous sommes en train de converger vers un accord de paix, qui engagera les parties à reconnaître la laïcité de l'Etat malien, à cesser les hostilités avec la mise en place d'un comité de cessez-le-feu, ainsi qu'à appuyer l'organisation d'élections et à y participer. Une fois le président légitime et son gouvernement installés, nous engagerons une deuxième phase de discussion entre le nouveau gouvernement et les mouvements du MNLA et du Haut conseil, qui portera sur les causes réelles du conflit. Il s'agira donc de réfléchir à la manière de réorganiser les structures politiques et administratives au nord du Mali en relation avec le gouvernement. Nous espérons que cela permettra de consolider la capacité du Mali à résister aux ingérences extérieures d'AQMI. Si les Maliens sont divisés, cela laisse des fissures permettant aux étrangers de s'infiltrer.

Le 7 juin, une rencontre sera organisée entre les parties, en présence de la communauté internationale, de certains pays, dont la France, pour accompagner cet accord qui, nous l'espérons, sera adopté d'ici le 10 juin. Cet accord permettra de déployer à la fois l'administration et l'armée maliennes au nord du pays. Tout cela doit également tenir compte des craintes des mouvements maliens, qui redoutent des exactions de l'armée malienne – il est vrai que nous en avons notées - qui n'est pas toujours très bien encadrée. Le Mali est un terrain complexe, mais nous sommes persuadés que c'est en isolant les extrémistes étrangers des Maliens que nous pourrons stabiliser durablement le Mali et la région.

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