Intervention de Axel Poniatowski

Séance en hémicycle du 2 octobre 2012 à 15h00
Déclaration du gouvernement en application de l'article 50-1 de la constitution sur les nouvelles perspectives européennes et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxel Poniatowski :

Au lendemain de l'annonce du budget 2013, budget d'une rare exigence pour les Français et qui est marqué par des hausses d'impôts jamais vues, nous sommes amenés à débattre aujourd'hui des nouvelles perspectives européennes. Alors que notre pays est frappé de plein fouet par une crise économique d'une violence extrême, nous sommes au coeur du sujet en parlant d'Europe, car une France forte passe nécessairement par une Europe forte. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment pouvons-nous sortir de cette situation ? Quels enseignements tirer de la crise ? Quelles lacunes combler ? Telles sont les questions auxquelles nous devons tenter de répondre dans le débat d'aujourd'hui.

Depuis 2008, l'Europe est bousculée sur ses bases, à savoir son Union économique et monétaire. En dépit des mesures et des engagements, la crise de confiance s'est généralisée, et la contagion de la crise financière vers l'économie réelle a bien eu lieu. À titre d'exemple, les niveaux de revenu national brut par habitant en 2012, pour une base 100 en 2007, se passent de commentaires : 97 pour la zone euro, 98 pour la France, 93 pour l'Espagne, 91 pour l'Italie, 82 pour la Grèce, avec, bien sûr, l'exception allemande à 103 points. Ce ralentissement de l'économie a des impacts directs sur les rentrées fiscales et l'envol mécanique des dépenses sociales, ce qui conduit au creusement des déficits et à l'explosion de la dette des États. Certains, au sein de la zone euro, sont plus touchés que d'autres, comme le Portugal, l'Irlande, l'Italie, la Grèce ou l'Espagne. Si le cas de la Grèce est un peu à part, la crise économique s'y doublant d'une falsification des comptes de l'État qui remonte à l'entrée de ce pays dans la zone euro, les autres voient leur modèle économique de croissance voler en éclats, comme l'Espagne, par exemple, qui avait basé une bonne partie de sa croissance, ces dernières années, sur le secteur de l'immobilier.

La situation économique dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui pose la question primordiale des fondements de l'Europe. L'union monétaire a certes été réalisée, mais sans union budgétaire et fiscale, et avec la création d'une banque centrale dont le seul mandat est de juguler l'inflation. Pourquoi revenir à cette question ? Tout simplement parce que la politique monétaire est un des leviers de la politique économique. Dans la zone euro, une seule politique monétaire s'applique à douze économies aux fondements différents. Pour pallier l'absence d'accord sur une union budgétaire et fiscale, les Européens ont défini les critères de convergence de Maastricht, basés notamment sur les situations des finances publiques : le déficit public annuel doit être inférieur à 3 % du PIB et l'endettement inférieur à 60 %. Malheureusement, depuis le début de la crise, la politique monétaire menée par la BCE n'a pu satisfaire aux besoins d'économies aussi différentes que celles de pays comme l'Espagne et le Portugal ou de pays plus vertueux comme l'Allemagne et l'Autriche.

La crise économique et les plans de relance qu'elle a suscités ont abouti à une détérioration des finances publiques de tous les pays européens. Les déficits ont amplifié l'endettement moyen des pays de la zone euro, passé de 66 % du PIB en 2007 à un taux estimé à 85 % en 2011. La gestion européenne des déficits budgétaires a ainsi révélé plusieurs insuffisances de la construction européenne : l'absence de solidarité entre les pays de l'Union, et l'absence d'un pouvoir fédéral susceptible de prendre des décisions au nom de l'Union européenne. On pouvait espérer que les difficultés engendrées par les déficits publics importants de certains pays européens seraient réglées plus facilement grâce à l'émergence d'un président du Conseil européen permanent depuis décembre 2009. Ce président, en réalité, ne tient sa légitimité que des pays composant le Conseil européen ; ceux-ci ne lui accordent que les pouvoirs dont ils veulent bien se dessaisir. De ce fait, son rôle dans la gestion des déficits publics a été pour le moins faible, et les initiatives européennes ont été prises, pendant trois mois, dans la même logique que celle qui a dominé la gestion de la crise économique et financière.

Par ailleurs, la concurrence fiscale qui règne au sein de l'Union européenne affecte la marge de manoeuvre des États membres dans la conduite de leurs politiques publiques. Le produit de l'impôt sur les sociétés des entreprises européennes, a ainsi diminué, passant en moyenne de 35 % en 1995 à 23 % en 2010. La menace constante de voir des entreprises passer de l'autre côté des frontière dès l'adoption d'une législation fiscale moins favorable restreint considérablement la capacité des gouvernements et des parlements à proposer, adopter et appliquer des lois et règlements de grande portée.

Enfin, le marché européen est le marché le plus ouvert au monde, bien plus que celui des États-Unis ou de la Chine, ou même de pays comme l'Inde ou le Brésil. La Chine, par exemple, pratique une sous-évaluation systématique du yuan, qui équivaut à une subvention massive de ses exportations. Ses normes sociales et environnementales, d'une exigence dérisoire comparées aux nôtres, diminuent davantage encore ses coûts de production. En parallèle, tout est fait pour dissuader les exportateurs étrangers de pénétrer le marché chinois : réglementation tatillonne, préférence nationale dans les appels d'offres, sans oublier l'inconvertibilité d'une monnaie qui oblige ceux qui la détiennent à ne l'utiliser que pour acheter ou investir en Chine.

Les orientations à donner à l'Europe apparaissent donc clairement à la lumière de l'analyse de la crise que nous traversons et que je viens de décrire très succinctement.

Premièrement, l'union monétaire sans union budgétaire n'a pas de sens, et peut se révéler au mieux inefficace, au pire dangereuse. C'est la raison pour laquelle il est primordial d'adopter le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire qui, en faisant appliquer la règle d'or – quoi que vous en disiez – et en exigeant le retour à l'équilibre des budgets en 2017, apporte cette touche d'union budgétaire vitale pour l'avenir de l'Europe.

Deuxièmement, une harmonisation fiscale à l'échelle européenne est désormais inéluctable et indispensable. C'est la concurrence fiscale qui a notamment contribué à creuser les déficits publics.

Troisièmement, à l'harmonisation fiscale doit s'ajouter une harmonisation sociale et administrative. C'est particulièrement vrai pour la France. Cette concurrence est tout aussi pénalisante pour la France que les autres formes de concurrence. Comment voulez-vous que notre pays reste compétitif, y compris au sein de l'Union européenne, avec, par exemple, l'avalanche de règles nouvelles qui s'appliquent aux entreprises françaises lorsqu'elles passent de 49 à 50 salariés ? Le rapport Attali a énuméré 41 de ces règles au total !

C'est la France, loin derrière l'Allemagne, mais aussi l'Italie et même l'Espagne, qui compte le moins d'entreprises de taille intermédiaire. Or ce sont ces entreprises intermédiaires qui créent la croissance et les emplois.

Enfin, quatrièmement, l'avenir de l'Europe passe par la recherche et l'innovation. Les perspectives de croissance européennes à moyen et long terme sont faibles : elles sont largement inférieures à 2 % pour la période 2011-2020, alors qu'elles sont proches de 5 % pour les pays émergents. Cette faiblesse rend l'effort en matière d'innovation vital. En Europe, moins de 10 % des investissements publics en matière de recherche et d'innovation sont gérés au niveau communautaire, alors que 80 % à 90 % le sont au niveau fédéral aux États-Unis et au Canada. Au-delà de la question du financement et de sa gouvernance, il est important de réorienter systématiquement les fonds structurels vers l'innovation.

Derrière les quatre orientations pour l'Europe que je viens d'évoquer, c'est bien la question de la compétitivité qui est au coeur du débat. C'est encore plus vrai pour la France qui risque, en particulier avec les mesures prises depuis quatre mois, tout simplement le décrochage. Une ministre de votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, évoquait, pas plus tard que ce week-end, la perspective de l'échec. Je vous le dis tout de go : si les orientations prises par le Gouvernement sont conservées, c'est l'échec assuré pour vous, mais aussi, et c'est plus grave, pour la France !

Ce n'est pas compliqué : vous allez à rebours des orientations que l'Europe a prises et prendra encore en matière de compétitivité. Comment voulez-vous que notre pays reste compétitif avec une telle augmentation des prélèvements, alors que nous avons déjà les prélèvements obligatoires les plus lourds de l'Union européenne, et alors que vous ne diminuez en rien les dépenses publiques ? C'est une simple question de bon sens ! Comment voulez-vous que notre pays soit plus compétitif quand l'une des premières mesures que vous avez prises est l'abrogation de la TVA anti-délocalisations ?

Cette mesure correspond, il est vrai, à une augmentation du taux de la TVA, mais en contrepartie d'une baisse équivalente des cotisations sociales patronales payées par les entreprises en France. Elle avait pour but de réduire les coûts salariaux des entreprises en transférant une partie de leurs charges dans l'impôt sur la consommation. L'Allemagne, sous l'impulsion de M. Schröder – un socialiste – ne s'y était d'ailleurs pas trompée, en augmentant la TVA de plus de trois points, avec des résultats plus que concluants sur la relance de l'économie allemande. Par pure idéologie, vous avez rayé d'un trait une mesure qui aurait pu rapporter 13 milliards d'euros au budget de l'État, et qui revenait à taxer les produits étrangers, donc à favoriser la consommation de produits français.

Ainsi, en supprimant la TVA anti-délocalisations, en alourdissant la fiscalité sur les entreprises alors même que les entreprises françaises sont celles qui ont déjà le taux de marge brute le plus faible d'Europe, les empêchant ainsi d'investir de nouveaux marchés, vous faites l'inverse de ce qu'il faut faire. Vous allez donc, malheureusement, échouer.

Remarquez qu'il n'y a là rien de très étonnant, quand le ministre du redressement productif a comme ligne politique de faire, je le cite, « plier le système économique ». Il faut se pincer pour y croire ! C'est bien la preuve que le Gouvernement n'a pas compris les enjeux actuels.

En conclusion, je dirai que les crises ont toujours été une occasion de procéder aux réformes et aux évolutions structurantes majeures. L'Europe est aujourd'hui secouée comme elle ne l'a jamais été. Elle est à la croisée des chemins. Les perspectives et les orientations nécessaires sont connues. La plupart des pays européens s'y emploient. S'agissant de la France, il ne vous reste plus qu'à sérieusement corriger le tir, à faire l'inverse de ce que vous faites depuis quatre mois, et à prendre les mesures nécessaires pour assurer la compétitivité, et donc la pérennité, des petites et moyennes entreprises françaises. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion