Intervention de Philippe Ruelle

Réunion du 11 juin 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Philippe Ruelle, représentant de l'UGPBAN, Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique :

La filière banane en Guadeloupe et en Martinique a une longue histoire. En 1965, le Général de Gaulle a réparti le marché français entre les productions d'Afrique et des Antilles, ce qui a protégé la filière jusqu'en 1992. Dès l'ouverture des frontières et la mise en oeuvre des nouvelles règles de commerce, la filière a été confrontée à la compétition internationale, en particulier à la concurrence des bananes d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud que l'on appelle « bananes dollar ».

Cette nouvelle donne a provoqué un séisme important dans la filière. Un grand nombre de planteurs ont disparu, les plantations ont été restructurées et notre modèle de production de bananes totalement remis en cause. En 2003 a été mise en place une organisation unique pour la commercialisation et la promotion de la banane de Guadeloupe et de Martinique sur le marché européen. Cette nouvelle organisation a donné lieu, en amont de la production, à la création de deux groupements de producteurs, l'un en Guadeloupe, l'autre en Martinique, qui encadrent près de 700 planteurs, et, en aval, à la mise en place d'une organisation de commercialisation et de promotion, l'Union des groupements. Elle a permis de développer l'Institut technique de la banane, devenu depuis l'Institut technique tropical, qui joue un rôle de passerelle entre la recherche fondamentale effectuée par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et les planteurs.

La banane de Guadeloupe et de Martinique est engagée, depuis 2008, dans ce que l'on appelle l'agro-écologie au ministère de l'agriculture et que nous appelons aussi le Plan banane durable. Ce plan était nécessaire car les pratiques culturales des Antilles ont permis pendant longtemps l'utilisation du chlordécone, ce célèbre insecticide qui, bien qu'autorisé jusqu'en 1993, a pollué durablement les sols martiniquais. Les planteurs ont réagi en démarrant une production d'excellence qui fait de la banane de Guadeloupe et de Martinique la production la plus vertueuse au monde, tant sur le plan du respect de l'environnement que sur celui du régime social des employés.

Aujourd'hui la filière est totalement structurée. J'en veux pour preuve l'acquisition, en 2009, d'un réseau de mûrisserie en France métropolitaine qui nous donne un accès direct au marché. Nous sommes à présent en mesure de développer un certain nombre de savoir-faire. Notre production est reconnue par une marque d'origine et elle est la seule production du monde à pousser en zone tropicale humide et dans le respect des réglementations française et européenne. C'est un atout considérable pour l'Europe, car partout ailleurs les productions bananières nécessitent l'apport d'un grand nombre de produits phytosanitaires ou utilisent des techniques totalement prohibées par notre réglementation. Nous pratiquons l'épandage aérien car nos cultures souffrent d'une maladie des feuilles, mais cette technique fait actuellement l'objet d'un débat et nous sommes la seule filière qui étudie la possibilité de recourir à des traitements alternatifs.

La mise en route du Plan banane durable a été difficile, d'autant qu'un événement climatique grave, le cyclone Dean, nous a obligés à replanter toute la bananeraie en Martinique, ce qui nous a donné l'occasion de développer de nouvelles techniques. Depuis deux ans, le volume de production de la filière a retrouvé sa croissance, notamment en Guadeloupe, où il est passé de 42 000 à 70 000 tonnes. Celui de la Martinique est revenu au niveau qu'il connaissait avant le cyclone. C'est une filière dynamique et l'absence de saisonnalité permet d'employer tout au long de l'année 6 000 salariés, dont 90 % en CDI. Dans leur grande majorité, les exploitations sont de petite taille – en moyenne 13 hectares – et pratiquent une agriculture familiale, mais il ne faut pas oublier qu'une exploitation de 10 hectares de bananes emploie dix salariés. Nous avons mis en place un accompagnement pour former ces salariés à l'évolution de la filière.

Le plan Banane durable, grâce aux aides pérennes du POSEI, offre aux producteurs la garantie d'une trésorerie régulière. Il a permis à nos territoires de se structurer et a amené de nouveaux planteurs à s'intéresser à la production de bananes et à la diversification, avec le soutien de l'Institut technique tropical. Et aujourd'hui de nombreux producteurs de bananes souhaitent accompagner la production de bananes, qui garantit un revenu régulier, d'activités de diversification dont les revenus sont plus saisonniers et aléatoires.

Après le passage du cyclone Dean, les producteurs ont mis en place un système vertueux consistant à laisser 20 % des sols en jachère pendant plus d'un an. Ce procédé a permis de réduire le recours aux insecticides et aux nématicides de 70 % depuis 1996 et de 50 % depuis la mise en place du plan Banane durable en 2008.

Nos concurrents colombiens, équatoriens, ivoiriens ou de République dominicaine n'exportent que les bananes de premier choix, réservant les bananes de second choix au marché local, qui représente plusieurs millions d'habitants. En Guadeloupe et en Martinique, les bananes de second choix, qui constituent 40 % de notre production, ne restent pas sur place : elles sont valorisées sur des marchés secondaires et des marchés de niche.

Nous avons exporté 250 000 tonnes de bananes l'année dernière et nous en exporterons 270 000 tonnes cette année. Les bananes sont transportées dans des containers frigorifiques qui, dans l'autre sens, approvisionnent la Guadeloupe et la Martinique en produits frais. La moitié d'entre eux repartent chargés de bananes, ce qui optimise le coût du fret.

Je le répète, nous sommes les seuls au monde à produire des bananes tropicales conformes aux réglementations européenne et française. Mais notre besoin en produits phytosanitaires, qu'ils soient destinés à de l'agriculture biologique ou conventionnelle, n'est couvert qu'à 35 %, ce qui signifie que, dans 65 % des cas, nous ne savons pas répondre à la maladie – et pour les autres cultures, ce taux de couverture est de 21 %. Pour les productions de diversification, dans 79 % des cas, nous n'avons pas de réponse phytosanitaire, ni biologique ni chimique. Ce phénomène est une véritable discrimination pour l'outre-mer et il est accentué en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane qui sont des zones tropicales humides. Ce n'est pas le cas pour La Réunion qui bénéficie en partie d'un climat tempéré.

Dans ces conditions, l'agriculteur qui rencontre un problème n'a que trois solutions : soit il laisse mourir sa production, ce qui se produit la plupart du temps, soit il détourne les usages des produits – ce qui présente certains risques – soit il utilise des produits interdits, ce qui arrive fréquemment en Guyane et aux Antilles.

Les producteurs qui choisissent la diversification et l'agriculture végétale, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, doivent d'abord se demander si cela est possible. Il faudrait par ailleurs faire évoluer les modes de consommation et demander aux habitants de Guadeloupe et de Martinique de cesser de manger des pommes de terre, des pommes, du raisin, des pêches, des nectarines, tout ce qui constitue les 62 % de la consommation de fruits et de légumes qui ne peuvent être produits localement.

Enfin, il s'agit d'un marché de taille très réduite que l'accroissement du nombre de producteurs déstabilise. Certaines productions sont tellement importantes que nous ne savons plus quoi en faire. Mais si nous importons des chrisophines et des aubergines, c'est que nous ne sommes pas en mesure de les produire tout au long de l'année.

La diversification n'est donc pas aussi simple à mettre en oeuvre, et elle ne convient que pour de faibles tonnages.

Comment préfinancer les aides POSEI aux producteurs, les achats d'engrais et de produits phytosanitaires, faire en sorte que les produits n'arrivent pas tous au même moment sur le marché et soutenir la production de variétés adaptées à nos territoires ?

Nous travaillons avec les autres filières de production, dans le cadre d'échanges soutenus, en vue d'étendre les itinéraires culturaux que nous avons mis en place pour la banane. Nous avons organisé en novembre dernier une réunion regroupant les quatre départements d'outre-mer en vue de faire le point sur les produits phytosanitaires. Nous sommes désormais en mesure d'aider les filières de diversification à se développer.

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