Intervention de Raphaël Hadas-Lebel

Réunion du 12 juin 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites :

Je me réjouis de l'abondance des questions posées, illustration de l'intérêt que porte votre commission à cette question de société. J'apprécie également que beaucoup d'entre vous aient lu avec satisfaction les fiches que nous avions rendues publiques il y a quelques semaines afin de fonder le débat sur les retraites sur des documents incontestables.

Il est tout à fait normal que votre Commission soit le lieu du débat politique. Il vaut d'ailleurs mieux que cet échange ait lieu dans l'enceinte de ce palais plutôt qu'ailleurs. Vous comprendrez cependant que je ne souhaite pas m'y engager, pour deux raisons : d'abord, parce que je suis président d'une institution du pays, et ensuite, parce que la composition du COR est telle que ce dernier pourrait très bien ne pas tomber d'accord sur de nombreux sujets. Je ne puis donc usurper la parole de l'une ou l'autre partie du Conseil pour intervenir dans le débat politique.

M. Dominique Tian m'a interrogé quant à l'influence que pouvait avoir la composition du COR sur son comportement : sans disposer de statistiques précises à ce sujet, il me semble pourtant que le déséquilibre entre fonctionnaires et non fonctionnaires y est moins marqué qu'il ne le sous-entend. Et surtout, le fait même que je ne me sois jamais posé la question illustre bien que, soit je suis totalement imprégné de ce milieu sans m'en rendre compte, soit que la composition du COR n'exerce aucune influence sur sa manière d'aborder les différents sujets dont il a à traiter ! D'ailleurs, même les membres de mon équipe de huit personnes ne sont pas tous fonctionnaires : j'ai notamment recruté des économistes et des actuaires et par conséquent veillé à la diversité de la composition du Conseil. J'ajoute que ce n'est pas moi mais bien la loi qui en fixe la composition. Je dispose bien entendu d'un pouvoir d'influencer le choix des personnalités indépendantes qui y sont nommées – en formulant des suggestions à l'attention du Gouvernement – mais je vous assure que ces personnes ne sont pas toutes des fonctionnaires : j'ai notamment recruté un chef d'entreprise ainsi qu'une femme de nationalité allemande représentant la division des politiques sociales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Je peux donc encore une fois vous assurer que notre point de vue n'est pas le moins du monde déformé par notre composition.

La poursuite de l'harmonisation des régimes en vue de leur unification relève d'un choix politique. Quant aux éléments de réponse permettant d'y procéder, nous les avons présentés dans un rapport de janvier 2010, rédigé à la demande du Parlement – notamment du sénateur Leclerc. Nous nous sommes alors demandés s'il convenait de remplacer notre système d'annuités – qui autorise aujourd'hui une grande diversité de régimes – par un système unique fondé sur les points et les comptes notionnels. Notre réponse est claire : aucun système ne doit être exclu ! Le système par points existe d'ailleurs déjà pour les régimes complémentaires.

Le système de comptes notionnels suédois n'est pas un système par capitalisation mais par répartition puisque les cotisations des uns financent les retraites des autres au cours de la même année. La différence qu'introduisent les comptes notionnels réside dans le fait que chacun dispose d'un compte personnel enrichi d'année en année par des cotisations – qui ne sont cependant pas placées – et donc in fine d'un total de droits acquis, à partir duquel son montant de pension est déterminé. Ce montant dépend essentiellement de l'âge auquel il demande à prendre sa pension : plus cet âge est tardif, plus la pension sera élevée. Plus il sera au contraire précoce, plus la pension sera faible. Il y a en effet égalité actuarielle entre le montant total de ses cotisations et le montant total de ses prestations.

Ayant analysé ce système en 2010, nous en avons conclu que nous pourrions l'instaurer même s'il ne correspond pas à la culture française. Cela requiert cependant deux conditions préalables : à commencer par un temps suffisant pour le faire. La préparation sera longue, en effet, car il nous faudra vérifier, avant d'adopter ce système, que nous disposons des documents économiques permettant de reconstituer la carrière de chaque salarié. Une période de transition sera donc nécessaire mais elle ne devra pas non plus être trop longue sans quoi une partie des assurés continueront à vivre sous le régime de l'ancien système. Or, elle a duré une quinzaine d'années environ en Suède, mais vingt-cinq en Italie ! La deuxième condition requise consiste à opérer un choix préalable d'architecture – sachant que ce système offre par ailleurs une grande liberté, puisqu'il permet notamment l'instauration de mesures sociales de solidarité. Il suffit en effet d'attribuer des points supplémentaires à ceux à qui l'on souhaite accorder certains avantages.

Or, on recense deux familles d'architecture : la première accepte les réalités de la France – à savoir la distinction entre secteurs public et privé. Cette architecture serait fondée sur un ensemble public et un ensemble privé qui seraient soumis aux mêmes règles et sur une fusion des régimes de base et des régimes complémentaires. La seconde technique, beaucoup plus audacieuse, consiste à disposer d'un régime de base unique, incluant les fonctionnaires et les régimes spéciaux, et d'un deuxième étage plus diversifié à titre de régime complémentaire.

En ce qui concerne la pénibilité, nous affirmons depuis 2003 qu'il ne revient pas au système de retraite de régler la totalité des problèmes qui y sont liés dans la mesure où leur traitement relève avant tout de la politique du travail. Il convient donc d'y remédier au moment même où la pénibilité se manifeste – soit par le biais d'une politique de prévention soit grâce à des compensations salariales. Il n'est en revanche nullement illégitime de prendre en compte les cas où la pénibilité entraîne incontestablement des problèmes d'espérance de vie – et en particulier d'espérance de vie en bonne santé. Cependant, nos statistiques en la matière ne sont pas totalement fiables. Qui plus est, l'espérance de vie de chacun dépend non seulement de ses conditions de travail mais aussi de son patrimoine génétique et de ses choix personnels en matière de santé et de sport. Il est par conséquent extrêmement difficile d'établir des généralisations, ce qui explique d'ailleurs pourquoi peu de pays prennent en compte la pénibilité dans leur système de retraite. Ainsi l'espérance de vie prise en compte en Suède dans le cadre des comptes notionnels correspond-elle à celle d'une génération entière et non pas d'une catégorie donnée.

La définition de la pénibilité citée par Mme Chaynesse Khirouni est une définition sur laquelle le COR a travaillé et qui est désormais retenue par tout le monde. Les trois critères retenus – l'effort physique, l'environnement et les rythmes de travail – sont tous incontestés. Doit-on les accepter individuellement ou de manière cumulative ? Combien d'années de pénibilité doivent-elles être prises en compte pour ouvrir droit à des avantages ? Ces points méritent discussion. Sans doute Mme Yannick Moreau évoquera-t-elle la pénibilité dans son rapport, mais le COR, quant à lui, n'a pu s'accorder sur ce point – compte tenu de sa composition.

Quant à la question de M. Arnaud Robinet, je ne me prononcerai ni sur des bruits de couloir ni sur les informations qui circulent dans la presse sur les intentions prêtées à Mme la Présidente de la Commission pour l'avenir des retraites, qui s'exprimera elle-même devant vous sur le sujet.

En ce qui concerne l'augmentation de la durée de cotisation, le COR rappelle que notre système actuel s'applique en vertu de la « loi Fillon » jusqu'en 2020, date à laquelle nous appliquerons la logique qui veut qu'il y ait un rapport constant depuis 2003 entre le temps passé au travail et le temps passé à la retraite – soit un ratio d'environ 23 - 13 – dans la répartition du supplément d'espérance de vie. Nous pourrions accélérer l'application de cette règle, ce qui nous permettrait d'y gagner. Si nous n'avons pas réalisé de simulation sur le sujet, c'est que nous ne le faisons que sur les questions qui nous sont posées. Le précédent Gouvernement nous avait par exemple demandé en 2010 de procéder à un certain nombre de simulations en vue de sa réforme des retraites, ce qui ne fut pas simple en raison de désaccords au sein du COR sur leur opportunité. J'ai donc réglé la question en les prenant sous ma responsabilité – évitant ainsi aux syndicats d'être contraints de les approuver tacitement. Sans donc avoir produit de simulations sur la question qui nous occupe à présent, nous avons néanmoins souligné que si l'on décidait de prolonger la « loi Fillon » au-delà de 2020, jusqu'à 2060 par exemple, la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein serait de 44,75 annuités et que cela rapporterait entre 0,3 et 0,7 point de PIB en 2060.

Dans nos rapports d'octobre 2009 et de janvier 2010, nous avons présenté des études sur les secteurs public et privé, nous interrogeant sur les possibilités d'unification du système et sur les conséquences de l'application au secteur public des règles en vigueur dans le secteur privé. Nous en avons conclu que cela permettrait effectivement de réaliser certaines économies mais que certains fonctionnaires y perdraient beaucoup tandis que d'autres y gagneraient. Nous sommes ensuite allés plus loin que ce travail global pour aborder huit cas-types. Mais il conviendrait d'approfondir encore davantage cette analyse afin de la rendre plus précise.

Nous n'avons pas évalué de manière précise l'impact de la crise économique sur la différence entre les deux points de PIB de déficit évalués en 2010 et le point de PIB restant à financer : il est certain que si la crise économique n'avait pas eu lieu en 2011, notre besoin de financement aurait été inférieur à un point de PIB. Mais cela reste très difficile à évaluer.

Lorsque nous nous fixons une hypothèse économique de taux de chômage à 4,5 %, cela ne veut pas dire que nous appliquions ce pourcentage à nos projections pour 2013, 2014 et 2015. Ainsi, en 2013, nous appliquons bien entendu un taux de 10 % ! Nous évaluons ensuite combien de temps il nous faudra pour rejoindre l'objectif de 4,5 %. Et il est certes plus facile, en partant d'un taux de chômage de 10 %, de parvenir à un taux de 7 % qu'à un taux de 4,5 %. Mais pour les années immédiates, nous tenons naturellement compte des statistiques économiques et des chiffres fournis par le Gouvernement dans ses projets de loi de finances. En tout état de cause, il ne me paraît pas choquant de ne pas faire l'hypothèse d'un taux de 10 % de chômage à échéance de 2060 : autrement, c'est l'ensemble de notre politique économique qu'il nous faudra revoir car un pays ne peut supporter pendant cinquante ans une telle situation – or, le COR n'est pas compétent en matière de politique de l'emploi.

Mme Véronique Massonneau ayant fait le lien entre emploi et retraite, je ne puis que l'approuver à cet égard. Il s'agit en effet de l'un des apports fondamentaux du COR à la réflexion économique en France que de souligner le caractère étroit et indissoluble de ce lien. Ce n'est que par un meilleur emploi et une meilleure productivité que l'on pourra financer le système de retraite – sauf à en changer le mode de financement. Et si l'orientation de la politique de l'emploi ne relève pas du COR, nous soulignons cependant que tant que nous ne parviendrons pas à un taux de chômage de 4,5 %, nous aurons du mal à résoudre ce problème de financement.

De ce point de vue, nous recensons effectivement un certain nombre d'avancées entre 2010 et 2012 – telles que la réforme de 2010 et l'augmentation par le Gouvernement en 2012 des cotisations de 0,5 % sur cinq ans – mais aussi des éléments négatifs.

Quant au rôle de l'État vis-à-vis de ses fonctionnaires, je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un employeur comme les autres ! Il s'impose en effet la discipline d'équilibrer le système de retraite des fonctionnaires, ce taux d'équilibre étant d'ailleurs supérieur à 60 %. La contribution de l'État ne saurait donc être comparée à celle d'un patron privé puisqu'il ne se contente pas d'imposer des cotisations patronales. Utilisant l'année 2000 comme base de référence, nous avons analysé en 2010 ce qu'il adviendrait si l'État apportait un financement supplémentaire de 15 milliards d'euros pour équilibrer le système de retraite public. Puis nous avons procédé en 2012 à la même évaluation, mais en partant cette fois de l'année 2011. Nous n'avons donc pas dissimulé ces 15 milliards d'euros puisqu'ils avaient déjà été versés par l'État ! Cela étant, il est tout de même difficile de comparer 2010 et 2012 dans la mesure où la donne a changé entretemps.

Si le débat entre répartition et capitalisation me paraît avoir perdu de son acuité, c'est parce que personne – pas même les banques ni les compagnies d'assurance – ne parle plus de changer de système pour en revenir à la capitalisation, ce qu'expliquent les graves problèmes observés lors de la crise financière de 2008. En revanche, lorsque d'aucuns estiment que certaines catégories, en particulier les cadres – dont le taux de remplacement est moindre –, doivent pouvoir bénéficier de moyens de compléter leur retraite au-delà du système par répartition, ce n'est plus d'un débat idéologique qu'il s'agit mais simplement d'une question de curseur, afin d'éviter les déperditions dans le paiement des cotisations.

Je suis tout à fait d'accord avec M. Denis Jacquat lorsqu'il souligne la nécessité de poursuivre l'harmonisation de notre système. Quant à savoir s'il faut aller au-delà, cela relève d'un choix politique. Mais même si l'on se contente de procéder à des réformes paramétriques sans changer de système, de nombreux efforts peuvent encore être accomplis afin de rapprocher les catégories les unes des autres.

Nous ne disposons pas de projections spécifiques concernant les handicapés d'autant plus que leur traitement particulier ne relève pas du COR. Mais nous pourrions en effectuer.

Il me serait très difficile d'affirmer dès aujourd'hui si les récentes décisions prises en matière de politique familiale auront un impact sur nos besoins de financement. Qui plus est, l'effet d'une mesure donnée sur le taux de fécondité est fort complexe à mesurer. Dans nos analyses, nous avons fait preuve de prudence en retenant le taux d'1,95 enfant par femme, soit le taux moyen retenu par l'INSEE. Puis, lors d'une séance ultérieure à la publication de notre rapport, nous avons essayé d'évaluer quels seraient les effets de l'application d'un taux de fécondité de 2,05 enfants par femme. De même, pour le solde migratoire, nous avons retenu les yeux fermés le chiffre de 100 000 personnes par an fourni par l'INSEE, qui constitue une moyenne : nous aurions en effet pu retenir un chiffre plus élevé de 150 000 ou un autre moins élevé, de 50 000.

Nous n'allons pas jusqu'à ajuster nos prévisions chaque année : nous avons en effet le devoir d'effectuer des projections tous les cinq ans environ. Et si nous n'avons appliqué nos hypothèses de 2010 qu'à cinq ou six régimes seulement, c'est parce qu'il ne s'agissait alors que d'une projection intermédiaire. Autrement, notre travail de projection intègre les 33 régimes principaux. Quoi qu'il en soit, il serait nécessaire qu'un véritable pilotage de notre système de retraite soit assuré. La « loi Fillon » prévoyait déjà des rendez-vous tous les quatre ans mais il nous fut ensuite expliqué que cela générait de l'anxiété. La loi de 2010 a ensuite prévu la création d'un comité de pilotage censé se réunir tous les ans avec le ministre mais cette méthode n'a absolument pas fonctionné non plus. Il conviendra donc de trouver d'autres moyens d'y parvenir.

Quant aux agriculteurs, nous avons consacré il y a deux ans un long rapport au mécanisme de compensation démographique – système fonctionnant de manière automatique d'un régime à l'autre, en fonction de leur rapport démographique – soit le nombre de cotisants rapporté au nombre de retraités. Or, le régime qui bénéficie le plus de cette compensation – dont d'ailleurs personne ne parle ! – est précisément celui des agriculteurs. Et les régimes qui y contribuent le plus sont ceux de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), d'ailleurs mécontentes de devoir apporter de telles compensations chaque année.

Il est vrai, comme le souligne M. Jean-Marc Germain, que notre rapport est rassurant à bien des égards. Il apporte en effet la preuve que si jamais la situation économique, sans aller jusqu'à être exceptionnelle, redevient favorable, nous serons en mesure d'équilibrer notre système de retraite en dépit d'un rapport démographique défavorable. Cela exigera néanmoins certains efforts.

S'agissant du point de PIB de besoin de financement à dégager d'ici 2020, il inclut à la fois des composantes structurelles et conjoncturelles. Le chiffre d'1,1 que vous avez trouvé dans notre abaque ne correspond pas à un pourcentage du PIB mais au taux de cotisation. Et l'augmentation de 5 % du rapport entre la moyenne des retraites et celle des salaires s'explique par le fait que dans la période qui nous sépare de 2020, les salaires augmenteront moins vite que les retraites. Ce phénomène assez exceptionnel ne se reproduira plus.

Nous n'avons pas identifié les différentes composantes des 20 milliards d'euros de notre besoin de financement car il s'agit en réalité du solde entre les recettes et les dépenses du système. Nos recettes s'élevant à 13,3 % du PIB, la France est l'un des pays où la part du PIB consacrée aux retraites est la plus élevée. Quant aux dépenses, elles s'élèvent à 14,3 % du PIB. Nous n'avons donc adopté qu'une approche globale. Cela étant, nous présentons en page 126 de notre onzième rapport un tableau de la somme de nos dépenses et de nos recettes par régimes.

Le montant des frais de gestion du système cité par Mme Véronique Louwagie est issu d'une étude d'Accenture et non du COR. Il est vrai que ces frais alourdissent le coût de financement de nos retraites et il est probable qu'une simplification de l'architecture du système permettrait de réaliser des économies – que nous n'avons pas évaluées mais qui constituent un argument supplémentaire en faveur de l'harmonisation voire de l'unification des différents régimes. Il reste que la lisibilité est une raison encore plus importante de le faire.

L'effet noria se fera encore sentir pendant un certain temps. Il est évident que la mesure de désindexation des régimes complémentaires pendant trois ans aura à cet égard un effet négatif. Nous fournissons en page 56 de notre onzième rapport des indications sur les perspectives d'évolution du ratio entre moyenne des pensions et moyenne des revenus d'activité.

La situation des poly-pensionnés n'est effectivement pas satisfaisante. Car même ceux d'entre eux qui relèvent de régimes aux modalités proches y perdent dans bien des situations, du seul fait d'être poly-pensionnés : en effet, les modalités de calcul du salaire de référence peuvent leur être défavorables, tandis que les modalités de calcul de la durée validée peuvent au contraire leur être favorables puisqu'elles permettent parfois de valider plus de quatre trimestres pour une année civile. Mais tout cela dépend également de l'ordre dans lequel se présentent les différents facteurs : leur situation ne sera pas la même selon qu'ils auront commencé par travailler dans le secteur public ou dans le secteur privé. Le meilleur moyen d'éviter ce problème consisterait effectivement à unifier les différents régimes ou à tout le moins d'envisager des solutions spécifiques – à condition toutefois d'éviter d'éventuels effets d'aubaine. Nous avons en tout cas fourni dans nos rapports des éléments sur lesquels Mme Yannick Moreau aura pu réfléchir.

Il est extrêmement difficile de compenser par le système de retraite les différences de situations dont pâtissent les femmes du fait des particularités de leur carrière et de leur vie en activité. Nous n'avons en effet pas encore trouvé le moyen de compenser les inégalités de salaire par un avantage en matière de retraite. D'abord, parce que ces inégalités ne sont pas les mêmes : ainsi ne devraient-elles théoriquement pas exister dans la fonction publique, à fonction identique, en raison des règles statutaires applicables. Ce que l'on corrige, ce sont les inégalités des chances résultant d'une série de situations. Nous ne corrigeons pas, bien entendu, les inégalités résultant du fait d'avoir un compagnon. J'ignorais d'ailleurs que cela pût handicaper les femmes dans l'exercice d'une activité professionnelle ! En revanche, l'inégalité des chances résultant du fait d'avoir des enfants constitue un véritable problème qu'il est possible de compenser. Le COR juge notamment nécessaire de transformer partiellement le régime de la majoration de durée d'assurance (MDA) en outil permettant de majorer les salaires portés au compte ou d'octroi de points gratuits pendant les années d'éducation des enfants. Il existe par ailleurs des moyens, liés au droit du travail, de compenser ces inégalités salariales. La loi de 2010 prévoit ainsi la nécessité de conclure chaque année un accord dans l'entreprise sur l'égalité entre les hommes et les femmes. Il convient donc de vérifier que les directions des ressources humaines jouent suffisamment leur rôle en la matière et qu'elles fournissent bel et bien aux organisations syndicales des statistiques illustrant les progrès réalisés. Il est vrai que le fait d'avoir des enfants – et surtout un troisième enfant – éloigne les femmes du travail, phénomène qu'il convient certes de compenser mais uniquement pendant une période très courte. Car au-delà de trois ou quatre ans, une telle compensation encouragerait les femmes à rester à domicile, ce qui ne paraît pas correspondre à l'objectif avancé par Mme Ségolène Neuville tout à l'heure. En tout état de cause, comme dans le cas de la pénibilité, on ne saurait tout régler par le biais de la retraite.

Quant à la pénibilité justement, il me paraît certes possible mais néanmoins difficile d'aller au-delà de la notion d'incapacité. Chaque fois que nous avons proposé des pistes de réflexion sur ce sujet au sein du COR, nous avons constaté des désaccords très marqués dans la négociation entre le patronat et les syndicats.

Un système par points présente avant tout l'avantage de la lisibilité, encore que certains le jugent moins lisible qu'on ne l'affirme, car on peut très bien masquer certaines inégalités en faisant varier la valeur d'achat et la valeur de service du point. Assurer la lisibilité du système implique par conséquent que l'on ait une véritable volonté de transparence dans tous les régimes. Il est vrai, en tout cas, que si l'on souhaite par exemple instituer une mesure en faveur des femmes, il est tout à fait possible de faire correspondre un certain nombre de points à une situation donnée.

Il existe plus généralement deux moyens d'améliorer la lisibilité de notre système : la simplification et l'unification. Mais même le système de comptes notionnels – considéré comme le plus lisible – pose problème puisqu'il nécessite de calculer le taux de revalorisation annuelle du montant cotisé au cours des années précédentes.

Je ne puis rien au fait que les dispositions législatives bénéficiant aux retraités agricoles ne soient pas appliquées : sans doute vous revient-il d'y veiller.

Quant à la création d'une caisse unique universelle, elle implique avant tout une unification des régimes. Autrement, pourquoi créer une caisse unique alors que nous disposons déjà d'un mécanisme de compensation entre régimes ?

S'agissant de savoir s'il convient ou pas de prolonger indéfiniment la durée d'activité des seniors, je n'ai fait que vous proposer une hypothèse de 44 années de cotisation. L'application de la « loi Fillon » jusqu'en 2060 aboutirait à une durée de 44,75 ans. Mais tout dépend en réalité de l'âge de début d'activité des cotisants, qui varie selon les fonctions qu'ils exercent. Si la moyenne d'âge de ce début se situe à environ 22 ou 23 ans, il faudra alors travailler jusqu'à 67 ou 68 ans – âge qui paraît supportable compte tenu de l'espérance de vie moyenne. Nos statistiques sont moins fiables en matière d'espérance de vie en bonne santé mais il conviendra en tout état de cause de réfléchir à la manière de répartir notre PIB entre la retraite et la dépendance. Le quatrième âge occasionne en effet une dépense supplémentaire.

Le dispositif des carrières longues a été initié par la « loi Fillon » pour être ensuite amélioré en 2012. Convenablement équilibré sur le plan financier, il correspond à un acte de justice en faveur des personnes ayant commencé à travailler tôt mais peut engendrer des effets de seuil.

La majoration de 10 % pour trois enfants et plus relève d'un débat politique qu'il vous reviendra de mener quant au choix entre les redistributions verticale et horizontale en matière de politique familiale.

En ce qui concerne les régimes spéciaux, bien que le COR comprenne un certain nombre de fonctionnaires, nous avons été les premiers à aborder le problème en 2005-2006 et y avons d'ailleurs consacré un rapport en 2007. Les organisations syndicales ont ainsi autorisé le Président que je venais de devenir à l'époque à rédiger un certain nombre d'observations quant à la nécessité de rapprocher les régimes spéciaux du régime général. Représentés par leurs organisations confédérales, les syndicats sont effectivement bien conscients de la diversité du système et de la nécessité d'un minimum d'harmonisation à l'intérieur des régimes applicables à leurs mandants. Ainsi, même dans un organisme comprenant une proportion importante de fonctionnaires, on peut proposer des mesures tendant à réduire les avantages dont bénéficient les régimes spéciaux.

Parmi les 10 % de retraités les plus pauvres, on recense notamment les femmes âgées vivant seules.

Quant au fait que nos hypothèses de taux de chômage seraient volontaristes, tout dépend de la portée que l'on confère à la crise. Or, je défie quelque économiste que ce soit de nous l'indiquer. Nous espérions en 2008 qu'elle serait limitée, ce qui explique pourquoi nous avions proposé deux scénarios A et B en 2010. Si nous nous sommes aperçus qu'il ne s'agissait pas d'une crise conjoncturelle de durée limitée et que nous ne retrouverions pas aussi rapidement que cela un niveau de croissance raisonnable, nous nous sommes également rendu compte que la crise bancaire de 2008 s'était doublée en 2011 d'une crise d'endettement des États – et donc que deux crises s'étaient cumulées et prolongées. Je suis incapable de vous indiquer à quel moment nous reprendrons le chemin d'un minimum de croissance. Mais encore une fois, dans l'hypothèse où l'on pronostiquerait une crise qui durerait cinquante ans, je recommande aux titulaires du pouvoir de réfléchir au type de croissance adéquat. Quoi qu'il soit, le COR ne peut outrepasser son champ de compétence.

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