Intervention de élisabeth Ayrault

Réunion du 26 juin 2013 à 9h00
Commission des affaires économiques

élisabeth Ayrault :

Mon exposé comportera trois parties : je commencerai par mon parcours professionnel, puis j'exposerai la situation actuelle de la CNR et enfin son avenir.

Quant à mon parcours professionnel, tout d'abord : architecte de formation, j'ai complété mon parcours universitaire par un diplôme supérieur post-universitaire à l'Institut agronomique méditerranéen, un diplôme d'études approfondies (DEA) de géographie urbaine et un diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) de l'Institut d'administration des entreprises. Puis j'ai débuté ma vie professionnelle dans les Pyrénées-orientales, où j'ai créé un cabinet d'urbanisme et d'architecture.

Pendant sept ans, j'ai travaillé aux côtés des élus, à l'époque où nous développions en France les plans d'occupation des sols et les zones d'aménagement concerté (ZAC). C'est à cette occasion que j'ai participé au montage de la première ZAC sans expropriation de France, avec plus de 700 propriétaires fonciers, ce qui m'a permis d'acquérir une certaine expérience des débats publics et de la recherche d'un consensus entre les élus locaux, l'État et les propriétaires fonciers. J'ai ensuite poursuivi ma carrière à la SAE, où j'ai travaillé au montage de projets immobiliers. Puis j'ai pris la direction régionale de Dumez Immobilier Promotion, où j'ai eu l'occasion de diriger des projets importants dans le sud de la France, dans le contexte particulièrement difficile de la crise immobilière des années 90.

En 1998, j'ai intégré Elyo, société spécialisée dans l'efficacité énergétique : j'y ai successivement occupé les postes de direction des grands comptes, de directeur commercial pour l'Europe, puis de directeur de la région Île-de-France. J'ai alors beaucoup travaillé sur l'ouverture du marché de l'électricité dont l'impact sur les métiers d'Elyo fut très important, sur les réseaux de chaleur urbains et sur le facility management. J'ai aussi contribué au début de réflexion du groupe Suez sur l'aménagement urbain durable.

En 2009, j'ai intégré le secteur de la gestion des déchets puisque j'ai été nommée directeur général de Sita pour la région Île-de-France. J'ai alors dû assurer la gestion d'enjeux sociaux complexes, compte tenu de la très grande diversité de nos équipes où 33 nationalités sont représentées parmi les 3 200 personnes de la filiale. Enfin, depuis 2011, je suis directeur général délégué de Sita France, société de 20 000 personnes. Les principaux enjeux actuels qu'a à traiter l'entreprise sont la mutation des modes de traitement des déchets en France et la rupture de business model qui les accompagne. Cette mutation contraint ainsi nos directions générales à oeuvrer à la transformation des entreprises.

Mon parcours professionnel a donc été guidé par l'intérêt que j'ai toujours porté au fait de participer au développement des entreprises et à la gestion d'équipes – et ce, quels que soient les métiers que j'ai exercés.

S'agissant à présent de la CNR, créée en 1933, elle s'est vu confier par l'État la concession du Rhône depuis le lac Léman jusqu'à la Méditerranée, en vue d'exercer trois missions complémentaires : grâce aux revenus générés par la production d'hydroélectricité, elle avait pour tâche d'améliorer la navigation ainsi que l'irrigation de la vallée et autres usages agricoles. Dans ce cadre, la CNR a édifié sur le fleuve des centrales hydroélectriques, des barrages, des écluses, des sites industriels et portuaires et des ports de plaisance sur le Rhône. En 1946, la compagnie est restée indépendante et publique. L'exploitation des ouvrages construits fut alors assurée par EDF pour le compte de celle-ci.

Dans les années 2000, le capital et la gestion de la CNR, de même que sa façon d'exercer son métier d'aménageur et d'optimisateur des potentiels du Rhône, ont connu des évolutions importantes du fait de celle des marchés de l'électricité. En effet, en 2001, saisissant l'opportunité de la libéralisation des marchés de l'énergie, et la fin du monopole de production d'EDF, la CNR est devenue producteur et gestionnaire autonome d'électricité de plein exercice, ce qu'elle était avant 1946. Jusqu'en 2006, elle s'est encore appuyée sur les ressources d'EDF pour exploiter les ouvrages hydrauliques dans le cadre d'un contrat global d'exploitation. En 2006, elle a décidé de ne pas renouveler ce contrat et a intégré 307 agents d'EDF. Cette innovation organisationnelle – une première dans le secteur des industries électriques et gazières – a ainsi permis à la Compagnie d'opérer une mutation complète et réussie.

Aujourd'hui, la CNR est une société à capital majoritairement public, reposant sur trois grands types d'actionnaires : le groupe GDF Suez, la Caisse des dépôts et consignations et des collectivités locales.

La première mission de la CNR étant l'aménagement du Rhône en vue de produire de l'électricité, la Compagnie est désormais le premier producteur français d'électricité d'origine exclusivement renouvelable, et le deuxième producteur d'électricité en France. La CNR a ainsi produit 15,7 térawattheures en 2012, dont 93 % sont issus de la production hydraulique, 7 % de l'éolien et 0,3 % de l'énergie photovoltaïque. La Compagnie exploite un patrimoine de 19 centrales hydroélectriques, 9 petites centrales et 8 mini-centrales, mais aussi de 26 parcs éoliens et 5 centrales photovoltaïques.

Pour faire face au caractère fluctuant d'une production soumise aux aléas climatiques ainsi qu'aux importantes variations de la demande d'électricité, la CNR a su développer un savoir-faire dans la gestion des énergies intermittentes, qui fait son originalité. Il repose sur une organisation et des outils lui permettant d'anticiper les conditions hydrométéorologiques, d'adapter la production aux besoins du marché en modulant la production hydraulique, et de piloter en temps réel l'ensemble du parc en limitant le coût des écarts entre prévisions et production réelle. La CNR dispose ainsi d'équipes dédiées à la gestion et la commercialisation de l'énergie qui travaillent dans un espace commun. Cette démarche intégrée permet d'optimiser la valeur de la production du Rhône, mais aussi de développer de nouveaux actifs, grâce à une vision de producteur tenant compte de toute la chaîne de valeur, depuis la prospection jusqu'à l'exploitation et la valorisation.

La deuxième mission de la Compagnie consiste à développer la navigation sur le Rhône. Elle est ainsi le promoteur d'une voie navigable à grand gabarit longue de 330 kilomètres et reliant Lyon à la Méditerranée. Depuis mars 2012, le Centre de gestion de la navigation développé par la Compagnie est totalement opérationnel : les 14 écluses à grand gabarit de Lyon à la mer sont commandées à distance 24 heures sur 24 et en toute sécurité. Ce centre gère ainsi le trafic fluvial grâce à une vision globale de la circulation. Le transport fluvial est un mode de transport sûr, peu polluant et économique, qui s'est développé au cours de ces dernières années : en 2012, plus de 5 millions de tonnes de marchandises ont été transportées et plus de 165 000 passagers ont emprunté le Rhône. Pour mémoire, un convoi poussé de 4 400 tonnes équivaut à 110 wagons de 40 tonnes, soit 3 ou 4 trains. Et ce sont aussi 200 camions évités sur les routes de la vallée du Rhône ! En outre, le transport fluvial permet d'éviter deux tiers des émissions de CO2 émises pour le même volume transporté par la route.

Enfin, la CNR a aménagé 18 plates-formes industrielles le long du Rhône, reliées à la voie d'eau, avec pour tête de pont, le Port de Lyon Edouard-Herriot : ces aménagements favorisent le développement d'activités industrielles tout au long de la vallée.

L'un des aspects méconnus de la Compagnie est son savoir-faire en matière d'ingénierie fluviale et hydroélectrique. Capitalisant sur son expertise d'aménageur et d'exploitant, la CNR a en effet développé dans ce secteur des prestations reconnues partout dans le monde : l'activité de ce bureau d'études intégré se répartit entre deux tiers de missions internes et un tiers de contrats pour compte de tiers, en France et à l'étranger. En 2011, CNR Ingénierie a ainsi reçu le Grand prix national de l'énergie pour son travail réalisé dans le cadre du projet de doublement des écluses du Canal de Panama.

Quant au modèle que représente la CNR, si les recettes issues de la vente de son électricité sur le marché européen permettent à la Compagnie d'assurer ses trois missions de concessionnaire, celle-ci y a volontairement adjoint une mission complémentaire en 2003, en élaborant des plans de missions d'intérêt général (MIG) en faveur de la communauté rhodanienne – soit une novation majeure dans la vie de la CNR et de ses partenaires. Ces missions d'intérêt général sont formalisées dans des programmes quinquennaux auxquels s'engage le concessionnaire d'ici à 2023. Proposés et mis au point avec les représentants de l'État concédant, ces engagements sont ensuite validés par le conseil de surveillance. Ils sont le fruit d'une réflexion menée avec la communauté rhodanienne, les collectivités territoriales, les usagers du fleuve et les populations riveraines.

Le deuxième plan MIG arrivant à échéance à la fin de l'année, le troisième plan sera présenté au conseil de surveillance de la Compagnie le 5 juillet prochain : il s'inscrira dans la lignée des deux plans précédents avec, comme fil conducteur, le développement durable. L'ensemble de ces plans porte en effet sur quatre grands domaines : la navigation et le développement de la voie navigable – par exemple, avec le développement de nouveaux services aux usagers de la voie d'eau qui ne figuraient pas dans le cahier des charges d'origine de la concession –, la production d'hydroélectricité – notamment avec la valorisation énergétique des débits réservés –, l'environnement – avec la gestion environnementale des zones d'activité – et l'ancrage local – en particulier par le biais de partenariats avec les fédérations de pêche et de protection du milieu aquatique.

Ces missions d'intérêt général ont été intégrées au Plan Rhône, marquant ainsi l'aboutissement d'un travail de définition des grandes orientations stratégiques autour de ce fleuve et confirmant l'engagement financier de chacun. Un tel modèle économique est singulier – et même unique en France : en effet, la CNR inscrit ses actions dans une perspective à long terme combinant l'efficacité économique, l'équité sociale, l'intérêt collectif et le respect de l'environnement. Ce « modèle CNR » a ainsi fait de la Compagnie un concessionnaire exemplaire, leader du développement durable, qui redistribue une grande partie de la valeur créée. À titre d'exemple, en 2012, la CNR a versé 185 millions d'euros à l'État au titre de la redevance hydroélectrique – et 1,5 milliard d'euros sur 10 ans –, 374 millions d'euros d'impôts d'État, sans oublier les recettes issues de l'exercice de ses missions d'intérêt général qui ont permis à la CNR de verser 30 millions d'euros au cours du dernier plan quinquennal et de poursuivre la construction d'une partie des pistes cyclables de la ViaRhôna, destinée à relier le Lac Léman à la Méditerranée, de restaurer les lônes et de remettre en navigabilité une partie importante du haut-Rhône.

En résumé, la CNR crée de la valeur en gérant, en développant ou en faisant l'acquisition de nouveaux actifs de production, en vallée et hors vallée, dans les secteurs hydraulique, éolien et photovoltaïque – répondant ainsi aux objectifs de la politique énergétique française – tout en redistribuant cette valeur à l'État, à ses actionnaires, aux collectivités parties prenantes et aux salariés.

Avant d'évoquer l'avenir de la CNR, je souhaiterais rendre hommage à Michel Margne et Yves de Gaulle : le premier, ici présent, est d'ailleurs resté président du conseil de surveillance de la CNR, assurant ainsi le lien avec l'histoire de la Compagnie. Grâce à leurs efforts, la CNR a poursuivi son développement tout en respectant les missions qui lui ont été confiées par l'État.

S'agissant de mes ambitions pour la CNR, dans l'hypothèse où vous confirmez que ma candidature est recevable, je souhaiterais m'inscrire dans la continuité en m'appuyant sur le plan stratégique d'entreprise 2012-2017, qui a été élaboré par mes prédécesseurs et les équipes de la CNR. La Compagnie tire en effet sa richesse de l'eau, du vent et du soleil. Elle a ainsi acquis dans ces domaines une expertise précieuse, que je souhaite renforcer pour poursuivre son expansion. La CNR étant un acteur reconnu de l'énergie hydroélectrique et, depuis quelques années, des énergies photovoltaïque et éolienne, je compte renforcer cette position en continuant à développer l'hydroélectricité dans la vallée du Rhône, ou hors vallée lorsque cela sera possible. Je m'emploierai ainsi à réaliser les projets de petites centrales que la CNR a prévu d'installer sur le Rhône. De même, la CNR se positionnera sur de nouvelles concessions, lorsque les conditions le permettront. Quant à l'éolien et au photovoltaïque, la CNR poursuivra leur développement en rachetant des parcs existants, ou en développant de nouveaux projets.

Les objectifs définis par le plan stratégique d'entreprise de la CNR sont ambitieux puisque, à l'horizon 2017, la CNR souhaite augmenter sa capacité hydraulique installée de 1 000 à 1 500 mégawatts, sachant que 3 000 mégawatts sont actuellement installés, de doubler sa capacité dans le secteur éolien, qui s'élève aujourd'hui à 290 mégawatts installés, et enfin de porter sa production photovoltaïque de près de 15 à 100 mégawatts-crête. Or, ces développements ambitieux supposent que le marché de l'énergie – européen désormais – le permette, mais aussi que la réglementation française, souvent trop changeante pour un industriel, se stabilise, et que la présence de nos actionnaires nous permette de nous appuyer sur une expertise plus large que celle de la CNR – notamment en faveur du développement de l'énergie hydrolienne, domaine encore balbutiant mais prometteur. Au-delà du développement d'énergies renouvelables, dans la vallée ou hors vallée, le fleuve Rhône présente encore un potentiel de développement dans le transport fluvial et la valorisation des patrimoines fonciers de la CNR, qui peuvent accueillir de nouvelles zones de développement économique, ou des projets d'installations photovoltaïques ou d'éoliennes.

Cette stratégie de développement s'appuiera sur trois piliers indispensables :

- le maintien du modèle CNR, tout d'abord, associant le fait de puiser dans les territoires ses sources d'énergie – le vent, l'eau, le soleil – à une politique de redistribution locale, tout en conservant un équilibre dans le partage de la valeur entre l'État, les actionnaires, les collaborateurs et les collectivités locales ;

- l'innovation, ensuite, qui doit imprégner toute l'entreprise et lui permettre d'inventer des offres à forte valeur ajoutée, comme celle de Move in Pure, concept de recharge intelligente pour véhicules électriques, et d'améliorer nos processus de pilotage et de maintenance de nos installations ;

- enfin, l'excellence industrielle, indispensable à la vie de toute entreprise, mais particulièrement aux missions de la CNR qui doit assurer la sûreté et la sécurité des ouvrages qu'elle exploite, en respectant les exigences environnementales, et en assurant une maintenance exemplaire d'outils industriels qui ne lui appartiennent pas mais dont elle assure l'exploitation dans le cadre de la concession qui lui a été confiée.

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