Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du 2 juillet 2013 à 21h30
Débat d'orientation des finances publiques

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de vous retrouver ce soir pour ce débat d'orientation des finances publiques. C'est, pour nous tous, un moment important. Nous avons eu dans cette enceinte, il y a un peu plus de deux mois, une discussion suivie d'un vote sur le programme de stabilité et le programme national de réformes de la France. Ces échanges sont, je n'en doute pas, encore frais dans vos mémoires. Je ne doute pas non plus de ce que, évoquant le projet de loi de règlement, vous avez aussi parlé des orientations pour le futur.

Revenons au débat sur le programme de stabilité. Nous avons, à cette occasion, pris acte collectivement d'une réalité qui nous marque, qui marque l'ensemble des économies européennes, qui marque la France : la dégradation rapide et généralisée – j'insiste sur ce mot – du contexte économique dans la zone euro. Celle-ci connaîtra en effet, en 2013, une nouvelle année de récession, dont la France subit bien sûr les conséquences. Nous ne sommes pas un isolat, à l'abri de la mondialisation. Nous sommes dans cette zone euro – deuxième économie de cette zone.

Cela m'avait alors conduit– il ne faut pas l'oublier ! Je le rappelle à ceux qui pourraient être un peu amnésiques, qui pourraient penser que nous nous en étions tenus à l'époque aux prévisions du projet de loi de finances initiale pour 2013 – à réviser à la baisse la prévision de croissance, à 0,1 %, et à fixer celle de déficit public à 3,7 % du PIB pour l'année 2013. J'aurai l'occasion d'y revenir et de préciser les aléas qui entourent ces prévisions, en toute transparence.

Nous avons eu, au cours de cette séance sur le programme de stabilité, une discussion franche, animée même, au-delà des questions de chiffres et de décimales, sur les conséquences à tirer de ces évolutions conjoncturelles pour la conduite de la politique budgétaire.

Je rappelle qu'au cours de ce débat, l'opposition avait pris position en faveur de l'adoption de mesures de redressement supplémentaires pour tenir coûte que coûte – c'est ce qu'elle prétendait à l'époque – l'objectif de déficit, fixé à 3 % du PIB en 2013. Cela aurait supposé d'adopter dès cette année des mesures soit de hausse des impôts, soit de coupes dans les dépenses, d'un montant de près de 15 milliards d'euros. Le Gouvernement, soutenu par la majorité, a jugé que dans le contexte économique actuel de récession, suivre cet avis conduirait à enfoncer notre économie dans la récession, aggraverait le chômage et ne réduirait in fine que marginalement le déficit. Car ce que nous aurions gagné grâce à ce plan de rigueur ou d'austérité supplémentaire, nous l'aurions perdu en grande partie par l'effet induit sur les rentrées fiscales ! Cela aurait été profondément récessif, dans une situation où l'économie française et les Français souffrent déjà assez.

Le Gouvernement a donc fait le choix de sortir de cette logique vouée à l'échec, que j'appellerai « nominalisme », et de privilégier à la place un pilotage structurel des comptes publics – j'y reviendrai. Nous avons choisi le sérieux, qui suppose d'accomplir des ajustements structurels et de réaliser les réformes nécessaires, mais nous refusons l'austérité, qui aggraverait encore la situation économique et précipiterait notre économie dans la récession. C'est pourquoi je dis à l'opposition, aujourd'hui encore, qu'elle se trompe en réclamant un collectif budgétaire au nom de la vérité. Nous disons la vérité sur les comptes publics. Nous la disons au fur et à mesure qu'elle se dévoile, compte tenu de la situation dans la zone euro.

Permettez-moi donc de vous dire, mes chers collègues, que ce qui nous sépare n'est pas cette prétendue différence de rapport à la vérité. Non, nous sommes en réalité en désaccord profond sur la politique économique qu'il convient de mener dans cette circonstance. Vous privilégiez – de façon fallacieuse, je pense – les cibles nominales à la croissance. Nous voulons, pour notre part, que l'économie française se redresse et crée des emplois. C'est pourquoi nous acceptons de laisser jouer, dans la conjoncture dégradée que nous connaissons, les stabilisateurs automatiques. Nous l'assumons. Et les finances publiques font partie de ces stabilisateurs automatiques.

Une des leçons que nous pourrions tirer des années écoulées, dans un débat apaisé, est que la multiplication des collectifs budgétaires ne garantit en rien le redressement des comptes publics. Vous restez sourds à cette leçon, peut-être pour avoir abusé de cette mauvaise méthode. Nous écoutons au contraire cette leçon tirée du passé.

Plutôt que de recourir à ce procédé, Bernard Cazeneuve et moi défendons une gouvernance rénovée qui s'appuie, comme la loi organique que vous avez votée y invite, sur deux principes. Le premier consiste en une gestion sérieuse et scrupuleuse des dépenses publiques : tenir la dépense publique, voilà notre responsabilité. Le second réside dans notre volonté de laisser les recettes fiscales s'ajuster en fonction de l'évolution de la conjoncture : il ne faut pas prendre de mesures d'austérité – vous avez eu raison de prononcer ce mot, monsieur Mandon – quand l'économie est en difficulté.

J'en termine sur ce point. Accéder à la demande de ceux qui réclament un collectif budgétaire, ou souhaitent à tout prix revenir à un objectif de déficit de 3 % cette année, serait, j'en suis convaincu, une erreur majeure de politique économique. Nous ne la commettrons pas. Nous avons déjà parlé de tout cela lors du débat sur le programme de stabilité, nous en reparlerons aujourd'hui au cours de ce débat sur les orientations des finances publiques. J'ai fait ce rappel car je le crois important.

Je profite de ce propos liminaire pour prendre un peu de recul et vous rappeler d'où nous venons. Il est important de se le remémorer. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, en mai 2012, l'enjeu était de parer à l'urgence, c'est-à-dire de répondre aux risques les plus pressants. Ces risques étaient, pour l'essentiel, d'ordre financier, à la fois au niveau européen et au niveau national.

Au niveau européen, le premier objectif, ou plutôt la priorité absolue, s'est immédiatement imposé à nous : il s'agissait d'assurer la survie de l'euro. Je me souviens des premières réunions européennes auxquelles j'ai participé, ainsi que du sommet du G20 à Los Cabos : à l'époque, la question que beaucoup de nos partenaires nous posaient avec anxiété, avec angoisse, était de savoir si, six mois ou un an plus tard, l'euro existerait encore. Cette question était sinon pertinente, du moins pas infondée. Il y avait des raisons de douter, il était légitime de s'interroger.

Pour assurer la survie de l'euro, il fallait contrer trois forces centrifuges. La première, c'était l'instabilité des pays en difficulté financière. La seconde, c'était la propagation de la crise économique dans la zone euro. La troisième, c'était le décrochage d'une partie des membres de la zone euro. C'est pour lutter contre ces forces centrifuges, qui écartelaient en quelque sorte la zone euro de l'intérieur, que nous avons cherché – et trouvé – des solutions pour la Grèce, pour Chypre et pour le système bancaire espagnol. C'est aussi la raison pour laquelle, sous la houlette du Président de la République, la France a obtenu un pacte pour la croissance et l'emploi de 120 milliards d'euros. C'est enfin la raison pour laquelle nous nous battons pour une véritable Union bancaire européenne, qui permette de lutter contre la fragmentation financière.

Vous savez que je consacre beaucoup de mon temps, et aussi beaucoup de mon énergie, à la solution de crise européenne. Laissez-moi vous dire que cette préoccupation n'est pas éloignée des problèmes français. Chacun comprend bien qu'il n'y aura pas de sortie de crise pour la France si l'Europe, et d'abord la zone euro, ne trouve pas une issue convaincante.

Au niveau national, les risques les plus immédiats étaient aussi financiers. Il fallait desserrer l'étau qui nous menaçait. Il fallait éviter une hausse des taux d'intérêt à long terme. Là aussi, on nous promettait le pire, on nous disait que cela allait être la catastrophe, que les spreads allaient augmenter… Bref, il fallait éviter un scénario à l'italienne ou à l'espagnole. Ce scénario, qui aurait été catastrophique pour notre économie, n'était pas une vue de l'esprit. Nous sommes arrivés aux responsabilités après des années de dégradation des comptes publics et d'aggravation des doutes sur la crédibilité budgétaire du pays. Vous connaissez, mesdames et messieurs les députés, notre réponse à ce risque immédiat : ce fut la définition d'une trajectoire exigeante de réduction des déficits publics, avec un effort sans précédent en 2012 et en 2013. La Commission européenne a d'ailleurs reconnu cet effort. En rassemblant les données des années 2010 à 2013, elle a bien montré le sens de notre action.

Nous avons dû faire face à cette crise et conduire cet effort de grande ampleur dans un contexte de dégradation des perspectives de croissance. Ne nous livrons pas à d'inutiles polémiques : nous savons tous, sur tous les bancs de cette assemblée, que tous les analystes se sont laissé surprendre par cette dégradation, qui concerne l'Europe dans son ensemble. Qu'on en juge : pour l'année 2012, le consensus sur la croissance de la zone euro était de 1 % en janvier 2012, et la zone euro a finalement connu une récession de 0,6 % ! La France connaissait, la même année, une croissance nulle. Il y a encore un an, en juin 2012, les conjoncturistes prévoyaient que la croissance de la zone euro serait de 0,7 % pour l'année 2013. Aujourd'hui, ces mêmes conjoncturistes – en l'occurrence, les analystes de l'OCDE – anticipent une récession de 0,6 % ! Pour la France, l'évolution attendue est comprise entre une récession de 0,1 % et une croissance de 0,1 %.

Le caractère défavorable du contexte est l'un des facteurs qui a pesé sur les perspectives de la France. Mais ce n'est pas le seul : notre économie souffre aussi d'une évolution défavorable du pouvoir d'achat et de fragilités plus structurelles, que révèlent les pertes de compétitivité enregistrées au cours des dix dernières années. Nous devons absolument traiter ce problème, dont le rapport Gallois a montré l'importance.

Évidemment, les hausses d'impôts votées depuis 2011 pèsent sur l'activité et le pouvoir d'achat des ménages. Je dis bien depuis 2011, et j'insiste sur ce point. Je ne demande pas à l'opposition d'adhérer à nos choix, mais n'oublions pas que, lorsqu'elle était aux responsabilités, elle n'a pas hésité à recourir à des hausses d'impôts massives. Les parlementaires de l'opposition ne devraient pas l'oublier ! Au cours des deux dernières années de la précédente législature, en 2011 et 2012, la précédente majorité a ainsi voté 35 milliards d'euros de hausses de prélèvements obligatoires. Vous savez très bien que ces hausses ont un effet très différent sur la consommation selon qu'elles touchent les classes populaires ou les classes les plus aisées. Voilà ce qui nous différencie !

Mais il est vrai que la baisse du pouvoir d'achat est d'abord la conséquence de la poussée du chômage. Dans ce domaine, le Gouvernement mobilise tous les moyens pour renverser la vapeur : emplois d'avenir, contrats aidés, objectifs de formation professionnelle, crédit d'impôt compétitivité emploi – mesure structurelle en faveur de la compétitivité – contrats de génération, loi sur la sécurisation de l'emploi, renforcement des moyens de Pôle emploi... Nous voulons absolument redonner confiance dans la capacité du politique à changer le cours des choses.

Dégradation de la situation européenne, déficit de compétitivité, poussée du chômage : telle est la situation que nous avons trouvée. Mais au-delà de la dégradation des finances publiques, notre économie reste une grande économie ! Je répète toujours cela, car je ne supporte pas le french bashing, ou l'auto-flagellation, cette tendance à considérer que nous sommes dans une situation si dégradée que le déclassement nous menace. Je ne l'accepte pas.

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