Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 3 juillet 2013 à 21h30
Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur -interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au parlement européen — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Cela ne sert à rien, et fera régresser la démocratie française – cette dernière phrase n'est pas de Gérard Collomb : je le précise pour le ministre, qui commençait à s'inquiéter !

En effet, si le non-cumul peut-être un objectif louable à atteindre dans nos démocraties modernes, il doit être précédé par un réel rééquilibrage des pouvoirs du Président de la République et du Parlement en faveur de ce dernier.

De grandes voix d'intellectuels indépendants se sont exprimées publiquement sur le sujet, illustrant ainsi que notre position n'est pas – comme la presse aime à le faire croire, ou comme vous voulez le faire croire – celle de la défense des intérêts particuliers des horribles « cumulards » contre de pseudo-modernes qui défendraient l'intérêt général.

Pour ne pas allonger mon propos, je ne citerai que les professeurs de droit ou de sciences politiques Pierre Avril, Olivier Beaud et Laurent Bouvet, ainsi que l'historien et politologue Patrick Weil – le rapporteur a raison de le préciser – qui ont écrit au Président de la République, au président de l'Assemblée et au président du Sénat pour les alerter sur les méfaits qu'aurait l'interdiction du cumul des mandats pour les parlementaires, nuisible à leurs yeux à « l'équilibre des pouvoirs ». Réfléchissez avant qu'il ne soit trop tard. Ils étaient favorables à une telle mesure il y a peu de temps.

L'équilibre des pouvoirs théorisé par Montesquieu est une des conditions fondamentales de la démocratie. Or, dans notre régime français, sur-présidentialisé, la présence d'élus locaux au Parlement contribue indispensablement à cet équilibre.

Monsieur le ministre, si vous souhaitez réellement que cette réforme ait un sens, elle ne devrait être que l'aboutissement d'une modification profonde de nos institutions. Elle pourrait alors paraître assez équilibrée.

Il vous faudrait la faire précéder de remises en cause constitutionnelles considérables redonnant au préalable toute sa place au Parlement, comme c'est le cas dans les pays qui ne pratiquent pas le cumul des fonctions. Par exemple en limitant strictement l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 aux PLF et PLFSS, seules lois réellement nécessaires chaque année dans notre pays ; ou en supprimant la responsabilité, au demeurant très virtuelle, du Gouvernement devant l'Assemblée nationale, de sorte que celle-ci soit libérée du chantage politique qu'exerce tout gouvernement sur le moindre texte qu'il propose.

Vous élargiriez considérablement le champ et la possibilité de créer des commissions d'enquête dotées de véritables moyens. Vous accepteriez que les décrets d'application des lois que nous votons soient soumis à un débat préalable dans les commissions des deux chambres, au lieu d'être parfois dévoyés par l'administration. Vous élargiriez la capacité du Parlement à amender les projets budgétaires. Vous renonceriez à la faculté du Gouvernement de demander une seconde délibération. Vous encadreriez plus strictement le droit de dissolution, qui ne devrait plus être entre les seules mains du chef de l'État, afin de n'être utilisé qu'en cas de crise grave.

Vous donneriez également au Parlement un droit de contrôle sur les nominations de l'exécutif. Monsieur le président de la commission des lois, je vous ai tant entendu le réclamer lorsque vous étiez dans l'opposition que je désespère de vous voir prendre une initiative en ce sens ! Vous pourriez imposer, par exemple, que les nominations les plus sensibles n'aient lieu qu'après avoir recueilli l'assentiment des trois cinquièmes des membres des commissions concernées. C'étaient vos propositions. Comme vous avez changé ! Le changement est parfois permanent !

Vous donneriez au Parlement un vrai contre-pouvoir dans les domaines diplomatiques, militaires et pour ce qui concerne les services de renseignements.

Je m'arrête là, mais vous qui aimez tant comparer la France quand vous choisissez de parler de cumul des mandats, vous oubliez totalement de le faire lorsqu'il s'agit de comparer la faiblesse de notre Parlement croupion, dont vous prétendez redorer le blason, avec de vrais parlements, comme on en connaît dans les autres démocraties occidentales – tel le Bundestag, où nous nous sommes rendus il y a quelques mois.

Cette réforme aurait pu avoir du sens si elle donnait les moyens au Parlement d'une plus grande indépendance, d'une plus grande force et d'une utilité plus réelle dans le processus législatif. À ce compte-là, si telle avait vraiment été votre démarche, votre objectif, nous aurions pu vous suivre et voter cette mesure.

Mais vous, socialistes, communistes, radicaux de gauche et même Verts, vous qui avez dénoncé, combattu et stigmatisé ce déséquilibre des pouvoirs, vous ne l'avez jamais remis en cause lorsqu'il vous a été donné de gouverner, depuis François Mitterrand.

Vous, parlementaires qui vous revendiquez de la gauche, vous vous accommodez fort bien de cette impuissance, de ce carcan, de cet affaiblissement parlementaire auquel vous allez encore ajouter une couche.

Car, chers collègues de la majorité, vous vous apprêtez à commettre la même erreur, le même contresens qu'avec la réforme du quinquennat. Souvenez-vous : elle apparaissait au départ comme un progrès démocratique qui se contentait de réduire la durée du mandat du chef de l'État. Le président Giscard d'Estaing la résumait en une réforme très simple. Il suffisait, disait-il, « de changer un mot dans notre Constitution ». Nous étions sans doute nombreux, même si je n'étais pas encore parlementaire, à penser faire preuve de modernisme – terme dont vous avez beaucoup usé dans vos discours – et oeuvrer au rééquilibrage des pouvoirs tout en évitant une nouvelle cohabitation.

Quelques années plus tard, force est de constater que le vrai résultat a été d'accentuer encore davantage la concentration des pouvoirs entre les mains du chef de l'État, d'affaiblir fortement la fonction de Premier ministre et de réduire encore plus la capacité du Parlement, et singulièrement des députés, à peser sur la politique de la nation. Je distingue le cas des députés car la concomitance des élections législatives et présidentielle a réduit la première à une simple formalité, et a surtout anéanti toute forme d'indépendance des députés élus dans la foulée de la majorité présidentielle, même lorsque ceux-ci avaient pris des engagements précis vis-à-vis de leurs électeurs.

Rien que depuis mai 2012, les exemples sont légion. Mais pour ne pas vous indisposer je n'en citerai qu'un seul : l'engagement que vous aviez tous pris solennellement devant vos électeurs, chers collègues de la majorité, de ne pas ratifier le traité européen négocié par M. Sarkozy et Mme Merkel. Vous suiviez ainsi la promesse faite par le candidat Hollande, qui la réitéra une fois élu Président, le temps de vous permettre de conquérir vos mandats législatifs. Las ! une fois les tréteaux de campagne repliés, votre nouveau chef vous a demandé de renier toute honte bue cette promesse et vous avez été une écrasante majorité à accepter ce reniement…

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