Intervention de Philippe Labro

Réunion du 26 juin 2013 à 16h15
Délégation aux outre-mer

Philippe Labro, président du syndicat du sucre de la Réunio :

Le sucre de canne est une chance, non seulement pour la France mais aussi pour l'Europe.

La France est le seul pays producteur de sucre de canne en Europe et cette particularité, nous la devons aux départements d'outre-mer. 80 % du sucre produit dans le monde provient de la canne. La production de nos départements représente 275 000 tonnes – chiffre qu'il convient de comparer avec les 17 millions de tonnes que représente la consommation européenne de sucre – et elle est la seule qui correspond aux normes européennes, tant environnementales, économiques et sociales qu'alimentaires.

Le sucre produit outre-mer est destiné au marché européen dans le cadre d'une organisation commune de marché. La Réunion, qui produit près de 80 % de la production totale de l'outre-mer, exporte 95 % de sa production en Europe, pour moitié en France et pour l'autre moitié dans un certain nombre de pays européens.

Le marché du sucre étant très concurrentiel, l'Europe a mis en place en 1969 des quotas de production, mais la nouvelle organisation commune de marché du sucre, qui entrera en vigueur en 2015 pour une période de cinq ans, va abolir ces quotas. Un dialogue entre les différentes institutions européennes est en cours sur ce sujet. Cependant, avec la fin programmée des quotas, vraisemblablement en 2017 ou 2018, le marché sera encore plus ouvert et plus concurrentiel, ce qui inquiète les producteurs de sucre des DOM.

La moitié des 210 000 tonnes de sucre fabriquées à La Réunion est vendue en Europe sous forme de « sucre roux de canne », dont l'Europe ne consomme que 250 000 tonnes. Sur ce marché, notre production n'est donc pas en compétition directe avec le sucre européen, qui provient uniquement de la betterave, et elle se positionne devant l'Île Maurice et, a fortiori, devant le Swaziland et le Malawi, dont les productions sont inférieures.

Sur ces marchés, la compétitivité s'appuie plus sur la qualité du produit que sur son prix, et, sur ce point, nous avons une dizaine d'années d'avance sur nos concurrents. Notre sucre de canne est consommé tel quel sous les marques Béghin Say, La Perruche, Blonvilliers ou l'Antillaise, ou encore il est utilisé par des industriels désireux de mentionner sa présence dans leurs productions – je pense aux confitures.

Il s'agit pour nous de conserver les dix ans d'avance dont nous bénéficions actuellement. Pour cela, il nous faut continuer à investir massivement dans les domaines du process, de la recherche et développement, et du marketing. Pour conserver son avance qualitative, la filière sucre de La Réunion investit par tonne de sucre deux fois plus que les producteurs de sucre de betterave en Europe, d'où l'importance des aides publiques.

Mais nos perspectives de développement sont relativement limitées puisque nous représentons déjà une importante partie du marché et que nos clients n'acceptent pas de ne dépendre que d'un seul fournisseur.

La deuxième moitié de notre production est exportée en Europe pour y être raffinée et devenir du sucre blanc, ce qui la place en concurrence directe avec les 18 millions de tonnes produites en Europe. Or, sur ce marché, la compétitivité d'un produit dépend étroitement de son prix.

Les aides publiques, qu'elles soient nationales ou communautaires, ont une importance prépondérante pour l'industrie sucrière des DOM car celle-ci se heurte à deux handicaps d'ordre économique.

Le premier, structurel, est lié à l'étroitesse de nos territoires, à leur exposition à des catastrophes naturelles, en particulier les cyclones, et à des contraintes naturelles importantes liées au fait que La Réunion est une île volcanique, ce qui lui vaut des sols pierreux et une terre très acide.

Le second handicap, dû au coût des transformations industrielles, a été accru par la réforme sucrière engagée en 2006 par les autorités européennes. Il est lié à la taille de nos sucreries, qui constitue un frein à la réalisation d'économies d'échelles. En 2005, les sucreries européennes produisaient en moyenne 110 000 tonnes de sucre. Dans le même temps, chacune des deux sucreries de La Réunion – l'île en possédait 150 avant la restructuration de la filière – produisait près de 100 000 tonnes de sucre. Compte tenu de la géographie de l'île et de la répartition des bassins d'approvisionnement en canne, il n'était pas économiquement envisageable de ne disposer que d'une seule sucrerie. En Europe, la réforme de 2006, en réduisant leur nombre de 42 %, a entraîné la fermeture de 80 sucreries tandis que la production de sucre par employé passait de 400 à 650 tonnes et que l'allongement de la durée de la campagne sucrière permettait d'augmenter la taille des sucreries. Aujourd'hui, les sucreries européennes produisent un peu moins de 200 000 tonnes, tandis que la production de chacune des sucreries de La Réunion est passée de 100 à 105 000 tonnes. Les coûts étant essentiellement fixes, le fait qu'ils soient répartis sur un volume plus faible constitue un handicap pour notre compétitivité.

Les restructurations imposées en Europe n'étant pas envisageables dans les départements d'outre-mer, l'Europe et les pouvoirs publics nationaux avaient mis en place une aide forfaitaire au titre de laquelle La Réunion recevait 51 millions d'euros. En contrepartie, les industriels s'engageaient à payer la canne au même prix qu'avant la réforme et dans le même temps, les producteurs de sucre de betterave bénéficiaient d'une forte baisse du prix d'achat de la betterave.

La quasi-totalité des aides qui transitent par les industriels sont reversées aux planteurs pour soutenir le prix d'achat de la canne et mettre en place des actions de développement. Mais si la partie liée au coût d'achat élevé de la canne est compensée, l'écart de compétitivité lié à l'absence d'économies d'échelle, lui, ne l'est pas, or il ne cesse de s'accroître. Les orientations budgétaires, européennes ou nationales, ont donc un impact direct sur le revenu des agriculteurs. Nous devons faire en sorte de leur maintenir des revenus décents.

La canne est bien le pivot du modèle agricole réunionnais. La filière emploie 12 000 personnes, soit 10 % de l'ensemble des emplois marchands dans l'île.

En plus du sucre et de ses produits dérivés, la canne produit la bagasse qui fournit entre 10 et 12 % de l'électricité dont a besoin La Réunion.

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