Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 4 juin 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Thierry Repentin, ministre délégué aux affaires européennes :

Je vous remercie de votre accueil. L'audition conjointe par vos deux commissions est une démarche intéressante, qui permet aux parlementaires que vous êtes de s'investir dans la construction européenne. Trop peu de vos collègues s'investissent en effet dans cette matière, dont vous mesurez néanmoins – ne serait-ce qu'à travers les textes inscrits à l'ordre du jour – l'importance dans notre législation.

Nous avons déjà eu un échange très riche lors de la séance de questions au Gouvernement du 15 mai dernier, qui était consacrée à des sujets européens – initiative que je salue et qui n'existe pas encore dans tous les parlements nationaux. Les questions qui ont été posées à cette occasion étaient d'ailleurs aussi variées que celles que vous venez d'évoquer. Cette séance a aussi permis de rappeler que tous les ministres – et pas seulement celui des affaires européennes ou des affaires étrangères – sont concernés par les questions européennes, et doivent s'investir dans les dossiers dont ils ont la charge non seulement à l'échelon national, mais aussi à l'échelon européen.

Il est vrai que le Conseil du 22 mai a été assez rapide. Néanmoins, il a arrêté des décisions effectives et des orientations qui vont susciter un travail entre États et la présentation de propositions par la Commission – dans le cadre des prochains Conseils – d'ici la fin de l'année.

Ce Conseil a donc principalement porté sur la politique européenne de l'énergie et la lutte contre l'évasion fiscale et la fraude fiscale, qui sont deux phénomènes distincts. Contrairement à certaines analyses un peu superficielles, il a permis des avancées substantielles dans ces deux domaines.

Sur le volet énergie, ses conclusions reflètent trois priorités, qui étaient celles de la France.

La première est la nécessité de garantir « la sécurité de l'approvisionnement pour les ménages et les entreprises à des prix et des coûts abordables », qui est essentielle aussi bien pour la compétitivité de notre économie que pour les consommateurs – notamment les plus vulnérables d'entre eux. Cela suppose un certain nombre de conditions, qui sont autant de chantiers à ouvrir. Tout d'abord, il nous faut assurer l'accroissement et la diversité de nos sources d'approvisionnement. L'Union européenne n'est pas suffisamment autonome vis-à-vis de ses fournisseurs pour peser véritablement sur les prix. Il nous faut donc développer nos capacités de production, mais aussi des interconnexions suffisantes pour bannir à terme les « îlots énergétiques ». La Commission évalue les investissements nécessaires en matière d'accroissement des capacités et d'interconnexions à près de 1000 milliards d'euros d'ici 2020, dont environ 600 milliards pour la distribution d'énergie. Le Conseil du 22 mai a donc demandé à ce que les fonds structurels, les financements de la Banque européenne d'investissement (BEI) et l'émergence de « project bonds » soient fléchés prioritairement vers ces investissements. Une partie de ces fonds seront trouvés au sein du cadre financier pluriannuel (CFP). Le Conseil a également invité la Commission à adapter le régime des aides d'État, notamment afin de mettre en place un régime stable et sûr pour les énergies renouvelables (ENR), car le stop and go a des effets pervers sur leur développement.

La deuxième priorité touche au potentiel industriel du secteur énergétique, qui a fait l'objet d'une attention nouvelle, avec l'affirmation claire d'une stratégie européenne en matière de recherche et développement (R&D). Les moyens de celle-ci augmentent d'ailleurs de plus de 40 % par rapport au précédent dans le CFP pour 2014-2020. Il s'agit de cibler les moyens de R&D sur les secteurs industriels énergétiques, afin de développer les technologies sobres en carbone. Il a été demandé à la Commission de présenter d'ici la fin 2013 une analyse stratégique du potentiel industriel européen sur l'ensemble du secteur de l'énergie décarbonée, où il y a des gisements de création d'emplois. Il a par ailleurs été rappelé que l'Union devait assurer des conditions de concurrence équitables à l'égard des pays tiers – la presse s'en est fait l'écho il y a quelques jours à propos des panneaux photovoltaïques et d'une grande puissance économique mondiale. La problématique des fuites de carbone devra bien sûr être traitée, de même que les situations spécifiques. C'est la première fois – et à la demande de la France – qu'une analyse spécifique est demandée sur la situation des industries électro-intensives en France et en Europe. À terme, le sort d'une partie de l'économie française dépend de l'accès à un coût de l'énergie compatible avec les coûts de production. 25 000 emplois sont en jeu.

Dans le même esprit, nous avons insisté sur l'accentuation des efforts en matière d'efficacité énergétique – pourvoyeurs d'emplois non délocalisables – dans le bâtiment. Elle répond à la troisième priorité : la politique énergétique de l'Union dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Mme Hedegaard a sans doute évoqué devant vous le Livre vert de la Commission – Un cadre pour les politiques en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030 – qui est actuellement soumis aux gouvernements. La France y répondra dans le courant du mois. Il s'agit de préciser les critères que nous souhaitons voir retenir comme des objectifs – au-delà de celui des « trois fois 20 » que l'Union s'est assigné pour 2020. La France défend un objectif qui peut paraître ambitieux : une réduction de 40 % des émissions de CO2 en 2030. Nous ne désespérons pas de convaincre d'autres États. La Commission devra d'ailleurs présenter de nouvelles propositions d'ici mars 2014. Tout cela devrait favoriser la préparation de la Conférence Climat, que la France a proposé d'accueillir en 2015.

Peut-être pourrons-nous nous appuyer sur ces résultats pour commencer enfin à construire la communauté européenne de l'énergie que le Président de la République a appelée de ses voeux, notamment lors de sa conférence de presse du 16 mai, et développer une approche plus intégrée et plus structurée dans ce domaine, dans le respect des choix nationaux – puisque le mixte énergétique reste un choix national. Le Conseil a néanmoins rappelé que le choix d'un pays de s'aventurer dans la recherche d'une ressource énergétique nouvelle – comme l'a fait la Pologne avec les gaz de schiste – ou de rompre avec l'énergie nucléaire doit être discuté avec l'ensemble des autres. On ne peut à la fois en appeler à une Europe plus intégrée et plus solidaire pour peser sur les prix de l'énergie et apprendre par la presse – comme cela est déjà arrivé – qu'un pays arrête un type de production d'électricité alors que nous sommes dans un système interconnecté.

Le deuxième « paquet » de décisions et d'orientations arrêté le 22 mai a trait à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Sur ce sujet, l'action de la France a fait « bouger les lignes » : presque tous les pays de l'Union s'accordent aujourd'hui sur la nécessité de faire évoluer notre cadre commun, alors même que l'échec semblait assuré. La veille du Conseil, plusieurs pays concernés affirmaient encore au Président de la République, au ministre des affaires étrangères ou à votre serviteur qu'il n'y aurait pas d'accord sur ces questions. Le Luxembourg se faisait ainsi fort de rappeler que 150 000 personnes travaillent dans la finance au Luxembourg, dont un certain nombre de Français qui passent chaque jour la frontière pour venir travailler dans ses banques…

Ceci étant, nous n'avons pas fléchi. Ceux qui souhaitaient avancer ont gagné la partie. Ce fut un mauvais jour pour les fraudeurs, mais une belle journée pour l'économie de l'Union, que la fraude affaiblit puisque ce sont autant de moyens qui manquent à nos pays respectifs.

Les décisions concrètes qui ont été prises portent d'abord sur l'échange automatique d'informations fiscales. La scission de deux dossiers qui étaient intimement liés depuis cinq ans a permis de lever une ambiguïté. Première avancée, sans doute la plus importante : le Conseil du 22 mai a permis de valider l'accord qui avait été trouvé à l'Ecofin du 14 mai sur le mandat de négociation donné à la Commission pour négocier les règles du jeu de l'échange d'informations avec cinq États souvent qualifiés de paradis fiscaux – le Liechtenstein, Saint-Marin, la Suisse, l'Andorre et Monaco. Ce dossier a été disjoint d'une autre décision : l'adoption d'ici la fin de l'année 2013 de la directive épargne, qui va donner des outils aux 27 pour lutter contre la fraude fiscale en étendant l'échange automatique d'informations fiscales entre les États membres. Jusqu'ici, les deux États récalcitrants conditionnaient l'adoption de cette directive à celle d'un accord avec les cinq pays tiers. Ce faisant, ils nous empêchaient d'avancer avec eux, puisque ces décisions doivent être prises à l'unanimité. Désormais, les choses sont claires : les deux dossiers ont été disjoints. Nous allons donc avancer sur la définition de règles du jeu internes, ce qui ne nous empêche pas de négocier avec les cinq États tiers.

Une autre grande avancée est la prise en compte au niveau européen des stratégies d'optimisation fiscale. Il s'agit de mettre un terme à une pratique de certaines grandes entreprises, qui font en sorte de ne pas payer l'impôt sur les sociétés qu'elles doivent à leur pays, là où elles font leurs affaires : elles implantent leurs filiales dans tel ou tel pays de l'Union non parce qu'elles y ont une activité économique, mais parce que la fiscalité y est moindre que dans le pays où elles ont leur siège ou réalisent la majeure partie de leur activité. Un accord a été trouvé sur le principe d'un reporting pays par pays de la part des grandes sociétés, afin de pouvoir consolider la réalité de leur activité, et de l'application de la fiscalité du pays où l'activité économique est réalisée. La fraude fiscale des particuliers et les stratégies d'optimisation fiscale des entreprises priveraient les pays de l'Union de 1000 milliards d'euros de recettes, dont 60 à 80 milliards pour la France. Bien entendu, il s'agit d'une estimation, la fraude échappant par définition à toute évaluation ; les services fiscaux ont néanmoins une certaine expertise en la matière.

La Commission a d'ores et déjà indiqué qu'elle travaillait à la concrétisation de ces mesures, en application du mandat qui lui a été donné par le Conseil. C'est une question de justice fiscale : plutôt que d'augmenter l'impôt de ceux qui le payent déjà, essayons d'y soumettre ceux qui y échappent aujourd'hui.

Nous devons maintenant inscrire notre réflexion dans la perspective du Conseil de juin, qui se tiendra sur deux jours. Il s'agit d'une échéance importante sur le plan de la politique économique de l'Union, avec l'approbation définitive des recommandations par pays et l'approfondissement de l'union économique et monétaire – sur lequel le président Van Rompuy doit présenter un rapport.

Que va-t-il se passer à ce Conseil ? La contribution franco-allemande du 30 mai fournit des indications précieuses à cet égard. Vous savez qu'elle a été présentée au terme de plusieurs semaines de travail, conformément à l'engagement pris à Berlin à l'occasion du cinquantième anniversaire du traité de l'Elysée – auquel vous étiez tous conviés. Elle met en avant trois priorités, au premier rang desquelles la croissance et l'emploi. On peut s'attendre à ce que ces idées soient reprises lors du sommet. Je pense par exemple à la mise en oeuvre rapide d'un plan pour l'emploi des jeunes : l'Allemagne nous rejoint aujourd'hui pour en faire une priorité – ce qui n'était pas sa stratégie il y a encore quelques mois. Cette conversion obéit sans doute à une analyse pragmatique, à un moment où l'Europe cherche à incarner des idées qui parlent à nos concitoyens et à trouver des solutions à la crise, en particulier pour ceux qui représentent l'espoir de notre continent : les jeunes générations. La piste évoquée est la mobilisation immédiate des 6 milliards d'euros qui sont proposés dans le CFP. L'un des enjeux du sommet de juin sera d'obtenir la mobilisation de ces 6 milliards dès le 1er janvier 2014, et sur deux ou trois ans au lieu de sept, afin d'avoir un effet de levier sur nos économies, en particulier dans les régions où le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est le plus élevé, c'est-à-dire dépasse 25 %, ce qui est le cas des départements d'outre-mer (DOM) et d'une dizaine de régions françaises. Ces 6 milliards devront être utilisés pour soutenir des actions nouvelles, notamment en matière d'apprentissage et de formation professionnelle. Pourquoi ne pas envisager, par exemple, un statut de l'apprenti à l'échelle de l'Europe ?

Nous devons également accentuer nos efforts dans la mise en oeuvre du Pacte de croissance. J'espère que la Commission pourra nous confirmer que tout a été mis en oeuvre pour utiliser l'argent du Pacte de croissance de juin 2012. Je le dis car je mesure moi-même sur le terrain la difficulté de mobiliser de grands outils comme la BEI, qui a bénéficié dans le cadre de ce Pacte d'une recapitalisation de 10 milliards d'euros permettant de prêter une soixantaine de milliards dans les 27 pays de l'Union. La France bénéficie d'un « droit de tirage » de 7 milliards en 2013, et autant en 2014 et en 2015. Or il est sous-utilisé. Il est de notre devoir de dire à qui de droit que cet argent – dont les territoires et les entreprises ont besoin – est disponible. Une convention sera donc signée le 14 juin, à notre demande, entre la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la BEI. Elle fera de la CDC, institution connue dans nos régions, le relais de la BEI. Nous avons également demandé à Bercy de lancer une opération de communication à destination des entreprises, pour leur dire que l'argent de la BEI peut aussi servir, via la Banque publique d'investissement (BPI) ou les réseaux bancaires classiques, à financer des prêts aux PME. La règle étant que la BEI a vocation à soutenir des projets de plus de 100 millions d'euros, une bonne partie des PME étaient de fait exclues de ces prêts.

Je ne puis pour l'instant évoquer que des pistes de réflexion, mais sachez aussi que nous avons trouvé des points d'accord qui vont nourrir la réflexion et sont autant de perspectives d'avenir pour la zone euro. Je pense à l'ambition de construire une véritable dimension sociale de l'union économique et monétaire ; c'est un changement notable de paradigme que nous constatons dans cette contribution franco-allemande. L'Allemagne reconnaît que nous devons intégrer des perspectives sociales dans la détermination de l'UEM. Cela signifie que même dans la zone euro, des critères sociaux – qui restent à déterminer – pourront être inclus parmi les critères de convergence qui seront discutés. On peut penser à des critères dans le domaine de la santé, de l'éducation, de la formation ou encore de la précarité. La gouvernance de l'UEM devra elle-même évoluer, pour que d'autres ministres que ceux de l'économie et des finances – par exemple ceux du travail, des affaires sociales ou de la recherche – aient voix au chapitre. Le spectre du débat pourra ainsi s'élargir. Nous avons également proposé qu'il y ait un président à temps plein de la zone euro, sur lequel le Parlement européen exercerait un contrôle démocratique, sous une forme qu'il lui reviendra de définir – peut-être celle d'une commission dédiée à la zone euro.

Je terminerai par l'union bancaire. Après le compromis sur le mécanisme de supervision bancaire qui a été trouvé à l'automne, nous nous sommes mis d'accord pour arrêter le calendrier de la recapitalisation directe des banques – dont les modalités devront être définies lors de ce sommet. Nous devrons également arrêter un calendrier et des modalités pour le mécanisme de résolution bancaire.

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