Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 4 juin 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Thierry Repentin, ministre délégué aux affaires européennes :

Je vais m'efforcer de répondre précisément à vos questions, même si je demande un peu d'indulgence sur des sujets pointus, qui montrent que vous êtes aussi des élus des territoires, qui mesurent l'impact de chaque décision ou absence de décision.

Vos questions témoignent d'une certaine impatience quant à l'évolution de l'Europe. Vous avez parfois le sentiment que nos ambitions ne sont pas portées avec autant d'enthousiasme qu'elles le méritent. Je comprends et partage ces frustrations, y compris comme ministre délégué aux affaires européennes. Permettez-moi de prendre une image pour décrire la situation qui est la nôtre. Dans la vie d'une commune, le débat politique se traduit par un affrontement entre la majorité et la minorité, qui est assez facile à comprendre pour nos concitoyens. Mais dans les intercommunalités que beaucoup d'entre vous sont en train d'essayer de construire, le débat entre les représentants des communes membres est d'une toute autre nature : il faut construire des majorités sur chaque sujet, en sachant que toutes les communes n'ont pas envoyé le même nombre de représentants au conseil de l'intercommunalité. Il ne s'agit donc plus d'un débat classique entre la droite et la gauche. Les maires conviennent d'avancer ensemble, mais chacun d'eux doit s'interroger sur les effets des décisions prises sur sa commune et sur la justification de ces décisions. C'est un peu ce que nous vivons à l'échelle de l'Union européenne. Nous avons un objectif et une ambition politique, mais il faut passer pour les atteindre par des étapes pragmatiques qui nous contraignent parfois à les brider. Il peut être difficile d'expliquer que c'est sur la base du compromis que l'on avance, mais c'est ainsi que cela fonctionne. La construction européenne se fonde d'abord sur un compromis entre la France et l'Allemagne – d'où l'importance du débat préalable sur la contribution du 30 mai.

Ces considérations doivent éclairer les réponses que je vais vous apporter.

S'agissant du « partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement », il faut préciser que nous discutons aujourd'hui du mandat de négociation qui sera donné à la Commission pour négocier avec les États-Unis. Ce mandat devrait être arrêté le 14 juin, à l'occasion d'un Conseil commerce. La France a demandé que trois domaines soient exclus de ce mandat. Il s'agit d'abord de la défense ; les marchés de défense seront bien exclus du mandat de négociation, comme cela a été le cas pour la négociation des accords commerciaux signés avec le Japon et avec le Canada. Le deuxième domaine est le domaine culturel. C'est un sujet délicat, compte tenu de la puissance de l'industrie culturelle américaine, qui lui permet d'imposer un certain nombre de ses vues. Nous avons constitué un bloc de 13 pays pour demander l'exclusion du mandat de négociation de tout ce qui a trait à la diversité culturelle. Le Parlement européen a voté la semaine dernière une résolution appuyant notre position. Cela ne sera peut-être pas suffisant, car certains pays n'ont pas entièrement capitulé. Néanmoins, nos partenaires connaissent notre détermination sur ce sujet. L'agriculture est le troisième domaine. Il s'agit plus précisément de ce qui pourrait remettre en cause des choix de société aujourd'hui admis au sein de l'Union européenne. J'ai eu l'occasion de redire il y a quelques jours à M. Laitenberger, directeur de cabinet de M. Barroso, que nous refusions toute remise en cause de nos préférences collectives en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés (OGM), les hormones de croissance et la décontamination chimique des viandes, toutes pratiques acceptées par les consommateurs américains.

Nous sommes bien sûr favorables au principe d'un mandat de négociation confié à la Commission. L'Europe a un intérêt à s'ouvrir plus qu'elle ne le fait aujourd'hui – y compris en termes de création d'emplois. Mais nous resterons vigilants sur les barrières douanières non tarifaires, car c'est là que se trouve la marge pour pénétrer les marchés fédéraux et sub-fédéraux. L'un des enjeux sera d'ailleurs de s'assurer que le mandat de négociation de notre partenaire ne se limite pas à l'État fédéral – auquel cas il s'agirait d'un marché de dupes.

Une fois le mandat de négociation adopté, c'est une négociation de plusieurs années qui va s'ouvrir. Mme Bricq pourra vous fournir des informations plus précises à cet égard.

Je ne puis vous assurer que l'apport supplémentaire de 7 milliards d'euros par an pendant trois ans que j'ai évoqué bénéficiera à votre commune, monsieur Daniel. Je n'ai d'ailleurs pas parlé des fonds structurels, mais des fonds de la BEI. Votre commune peut en effet ne pas être éligible aux fonds structurels comme le Fonds européen de développement économique régional (FEDER) ou le Fonds social européen (FSE), tout en étant éligible à un financement de la BEI. Je vous invite donc à vous rapprocher de la Caisse des dépôts, qui aura bientôt mandat d'instruire des dossiers de collectivités locales pour le compte de la BEI. Nous négocions également des accords avec le réseau bancaire classique, notamment la BNP et la BPCE, qui vont se voir dotées de fonds de la BEI pour être au plus près de la demande locale. Le risque est peut-être que nul ne connaisse plus l'origine de ces fonds, mais là n'est pas l'essentiel.

Monsieur Pueyo, le Conseil du 22 mai a souligné la nécessité de répondre au défi de la fiscalité de l'économie numérique, dans le cadre des travaux réalisés par l'OCDE sur ce sujet. La Commission doit faire des propositions au Conseil européen d'octobre, qui sera consacré spécifiquement à l'agenda numérique. Je rencontre régulièrement ma collègue Fleur Pellerin à ce sujet.

J'en viens au gaz de schiste. Je le répète, le choix du mixte énergétique appartient aux États. En revanche, les choix qui ont une répercussion sur les autres États, notamment en termes de fragilisation sur l'énergie, doivent être discutés au préalable. Il est évident que l'arrêt de la production d'énergie nucléaire dans un pays a des conséquences que devront supporter les autres sur la production d'électricité, puisqu'il faudra définir une nouvelle stratégie. Cela vaut principalement pour le secteur de l'électricité, où les interconnexions sont importantes, mais peut-être aussi pour l'extraction de gaz.

Les pays qui le souhaitent peuvent donc recourir à l'exploitation du gaz de schiste. C'est un choix qui leur appartient. La position de la France n'a cependant pas varié et ne devrait pas être modifiée, sauf émergence d'une technologie nouvelle permettant de garantir l'absence de conséquences sur l'environnement.

Ce dossier n'est pas sans lien avec celui de la limitation drastique des émissions de gaz à effet de serre. Le niveau de l'objectif qui sera adopté par le Conseil européen est en effet susceptible de poser problème aux pays qui choisiront des énergies émettrices de CO2. C'est sans doute pour cette raison que la Pologne a vivement réagi à l'une des conclusions du Conseil du 22 mai, qui fait référence à des objectifs en la matière et à la préparation de la conférence Climat de 2015.

J'en viens au marché du travail. M. Daniel m'a interrogé sur les recommandations que la Commission a adressées à la France la semaine dernière, et l'analyse selon laquelle il y aurait encore des marges de progrès dans notre pays. Le Gouvernement a indiqué qu'au moins deux réformes répondraient à cette recommandation : une réforme de l'apprentissage et une réforme de la formation professionnelle. La compétitivité de notre marché du travail ne repose pas seulement sur la compétitivité coût, mais aussi sur l'employabilité de nos concitoyens. De ce point de vue, il existe en effet des marges de progrès en matière de formation professionnelle et d'apprentissage. L'objectif est d'ailleurs de passer de 430 000 à 500 000 apprentis d'ici 2017. Une partie des 6 milliards du CFP que j'évoquais tout à l'heure pourront être mobilisés à cette fin, par exemple pour améliorer la mobilité des apprentis – puisque nous envisageons d'étendre le dispositif ERASMUS aux apprentis – ou définir un statut de l'apprenti qui soit reconnu dans tous les pays de l'Union. Nous proposerons également que la taxe d'apprentissage aille davantage à la formation des apprentis qu'aujourd'hui. Bref, la réforme est devant nous.

La réforme de la formation professionnelle est annoncée pour la fin de l'année. 31,5 milliards d'euros sont consacrés chaque année à la formation professionnelle en France ; il existe certainement des marges d'amélioration, tout particulièrement en faveur de ceux qui n'ont pas d'emploi ou qui n'accèdent pas à la formation aujourd'hui.

Les recommandations par pays nourrissent un dialogue, puisqu'il appartient à chaque pays de dire comment il prend ces orientations en compte. Je vous indique d'ailleurs que la seconde conférence sociale, qui aura lieu les 20 et 21 juin, reprendra toutes les thématiques de l'an dernier – auxquelles s'ajoutera celle de l'Europe sociale. Il y aura donc un débat sur ce sujet avec les partenaires sociaux.

J'ajoute que le plan d'investissements d'avenir est également mobilisé pour le développement de la formation en alternance.

J'en viens à la taxe sur les transactions financières, dont le principe n'est désormais plus remis en cause. Cette avancée peut paraître modeste, mais il faut rappeler que ce n'était pas le cas il y a un an. Nous essayons aujourd'hui de mesurer, à partir d'une évaluation des bases sur lesquelles elle se fonderait, les effets de cette taxe pour chacun des 11 pays qui ont accepté de jouer le jeu – sachant que d'autres regardent l'initiative de près.

Les discussions portent aujourd'hui sur l'assiette de la taxe, et non sur son affectation. Les questions relatives aux ressources propres sont quant à elles débattues dans le cadre du CFP. On peut en effet imaginer qu'une partie des recettes de la TTF viennent abonder un budget propre de l'Eurogroupe ou des 11 pays concernés.

Les débats portent sur les produits qui feront l'objet d'une taxation. La France souhaite une assiette la plus large possible, incluant non seulement les devises, mais aussi certaines transactions sur les produits dérivés, qui sont souvent des opérations à visée spéculative qui ne contribuent en rien au financement de l'économie réelle. Nous espérons que les discussions aboutiront rapidement à la mise en place effective de cette taxe, qui contribuera aussi à une régulation financière au service de la croissance. L'objectif qui a été fixé est d'aboutir fin 2014. L'accord est délicat à trouver, puisque les conséquences du choix qui sera fait ne seront pas les mêmes d'un pays à l'autre. Par exemple, nous avons beaucoup d'obligations d'État en France – ce qui n'est pas le cas d'autres pays. L'objectif de fin 2014 peut paraître éloigné, mais il faut comprendre que cette taxe représentera un changement substantiel pour les économies des pays concernés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion