Intervention de Paul Molac

Séance en hémicycle du 10 juillet 2013 à 15h00
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons que déplorer le vote du Sénat et l'attitude de l'opposition, qui ont tenté de vider de leur sens ou de bloquer deux textes importants pour l'indépendance de notre système judiciaire, celui sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et celui qui est aujourd'hui en discussion, et dont la principale mesure vise à interdire les instructions individuelles de la chancellerie aux magistrats du parquet.

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture répond pourtant à une exigence fondamentale de notre démocratie. Vous connaissez notre attachement à l'indépendance la plus large possible du système judiciaire et des juges ; de tous les juges, ceux du parquet, comme les autres. Ils doivent bien sûr dépendre des lois, mais certainement pas du pouvoir politique.

C'est ce qui fait toute l'importance de ce projet de loi, qui vise à empêcher toute ingérence de l'exécutif dans le déroulement des procédures judiciaires, et notamment des procédures pénales. L'enjeu est important : nous avons tout intérêt à dissiper les soupçons de nos concitoyens sur les liens, parfois incestueux dans le passé, entre le pouvoir politique et l'autorité judiciaire. Le lien de confiance entre la justice et les citoyens s'est distendu au fil des chroniques judiciaires, au point que la cote de désamour des juges en vient à tutoyer les sommets. Vous me pardonnerez ce trait d'ironie, mais je dirais que les juges ont presque aussi mauvaise réputation que les hommes politiques.

Il importe donc d'inscrire clairement dans la loi la prohibition des instructions individuelles du ministre de la justice aux magistrats du parquet, et nous savons gré à notre rapporteur d'avoir réintroduit, lors de la réunion de la commission des lois qui s'est tenue hier, l'article introduisant cette mesure, à laquelle nous apportons tout notre soutien. Cela permet d'entrevoir la fin de cette pratique contestable pour notre démocratie.

Rappelons toutefois que si les instructions individuelles écrites sont peu fréquentes, les instructions orales ont été bien plus nombreuses, et bien plus discrètes, puisque, du fait de leur nature, elles ne sont pas versées au dossier. Plusieurs médias ont ainsi souligné que des membres du cabinet de différents gardes des sceaux et la direction des affaires criminelles et des grâces étaient intervenus en transmettant oralement des consignes aux parquets.

Ces faits sont permis par l'organisation très hiérarchique du parquet, dont le ministre de la justice est maître des carrières. Tant que l'évolution des carrières restera en partie dans les mains de la chancellerie, il subsistera un doute sur la soumission, consciente ou non, des magistrats du parquet à leur environnement politique proche. Le fait que les substituts puissent être dessaisis à tout moment par leur procureur pose également le problème de leur indépendance. Cela relève toutefois moins des liens entre la chancellerie et le parquet, que de l'organisation du parquet lui-même. Il faudra veiller à ce que l'autonomie et la protection des magistrats du parquet rejoignent, à terme, celles des magistrats du siège.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, initialement proposée par le Gouvernement, était une avancée importante dans ce domaine, puisqu'elle entendait confier au CSM un rôle substantiellement renforcé dans la nomination des magistrats du parquet. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature aurait dû accompagner ce projet de loi, pour que la fin des instructions individuelles données par le pouvoir exécutif ait une plus forte incidence sur l'indépendance des juges du parquet.

Dès lors, nous ne pouvons que regretter le refus exprimé par l'opposition de soutenir ces deux textes, car l'indépendance de la justice aurait mérité un consensus transpartisan. L'opposition pourra continuer à s'élever dans la presse contre les décisions de justice qui ne lui conviennent pas, mais ce genre d'attaques risque de décrédibiliser le système judiciaire, et par extension la démocratie, qui reposent sur l'État de droit. Les vives critiques, émises encore récemment, contre les membres du Conseil constitutionnel, pourtant jugés impartiaux par certains membres de l'ancienne garde présidentielle, qui en avait d'ailleurs nommé un certain nombre, ne renforcent pas l'autorité judiciaire.

En ce qui concerne ce projet de loi, j'ai cru comprendre que certains d'entre nous craignaient l'avènement d'une République des magistrats – que j'ai même entendu qualifier de « roitelets de la République » – où ceux-ci, étant parfaitement indépendants, pourraient se servir de la justice à des fins personnelles ou politiques. Nous en sommes très loin en France, où la dépendance des juges du parquet vis-à-vis du pouvoir politique a maintes fois été critiquée par la Cour européenne des droits de l'homme. Nous ne sommes pas dans un pays où les juges sont élus, et le projet du Gouvernement ne va absolument pas dans ce sens.

Ces critiques sur la possibilité d'un gouvernement des juges masquent en fait une opposition au renforcement de la démocratie au sein de nos institutions judiciaires, au moment où un ancien Président de la République semble vouloir revenir aux affaires, alors qu'il est lui-même cerné par les affaires.

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