Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 9 juillet 2013 à 18h45
Commission des affaires économiques

Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif :

S'agissant de la limitation dans le temps des procédures, nous considérons qu'après le temps du débat vient celui de la décision car, passé un certain délai, le débat n'est plus qu'une stratégie dilatoire – ce qui n'est guère efficace pour concilier environnement et intérêt économique. Nous cherchons effectivement à concilier des contraires, à développer un esprit d'entraide. Si les Français ne sont pas tous d'accord entre eux, ils peuvent néanmoins s'unifier autour d'intérêts dans lesquels ils se reconnaissent également. Chacun voulant à la fois défendre l'environnement et promouvoir l'activité économique, les deux lobes du cerveau doivent se réconcilier en chacun d'entre nous, et a fortiori lorsque nous n'avons pas le même cerveau. Ce n'est pas de l'équilibrisme, monsieur Fasquelle : c'est un travail d'unification des Français – art difficile mais néanmoins nécessaire, auquel tout le monde n'est d'ailleurs pas parvenu. Non, ce n'est pas de l'acrobatie politique : nous visons, dans l'intérêt de la France, à faire se parler des catégories de la population qui, aujourd'hui, s'affrontent. La limitation dans le temps a par conséquent pour but, pendant le temps du débat, de conférer un pouvoir au public – ce que l'on entend ici par « participation effective du public » au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Il s'agit d'associer les organisations non gouvernementales, les élus et les populations volontaires à l'instruction du permis, et donc de négocier au cours de l'instruction, sur le fondement d'informations partagées, l'évolution du permis.

Imaginons qu'un opérateur se présente avec un projet gigantesque : si on lui oppose la présence d'un monument historique, de baigneurs ou de riverains, il faudra définir un point de conciliation. Il n'est pas question de laisser l'opérateur minier considérer qu'il a raison. Il n'est pas question de le laisser passer en force et donner rendez-vous dans cinq ans à ses opposants et en leur souhaitant « bonne chance devant le tribunal ! ». Mais il n'est pas question non plus de laisser la foule en colère promettre de pendre haut et court devant les tribunaux celui qui voudra passer en force au motif qu'il ne respecte pas l'avis du commissaire enquêteur ou de l'enquête publique. Une telle violence est contre-productive. Le partage d'informations entre opérateurs et organisations non gouvernementales (ONG) sera tel que rien ne restera dans l'ombre. Cette période pourra certes s'avérer tempétueuse mais elle n'en sera pas moins nécessaire : car je préfère que l'on discute avant plutôt qu'on s'empaille après – pour rien et pendant des années.

Le délai accordé pour cette première phase sera déterminé par l'autorité chargée de gérer la conciliation des contraires, dans des limites raisonnables fixées par la loi, et sera ajusté en fonction de l'ampleur du projet en cause. Quiconque a connu l'expérience des débats publics prévus par la loi Barnier sait à quel point leur durée diverge selon la portée et la complexité de l'opération concernée. Ainsi tant les ONG que les élus pourront-ils peser sur ces discussions. Une fois le débat terminé, viendra le moment de prendre la décision. Si l'accord entre les parties est toujours préférable, il reste qu'en l'absence de celui-ci, il reviendra à l'État de trancher – comme c'est déjà le cas actuellement, mais à l'issue d'un délai.

Il s'agit là d'une révolution juridique : celle du droit flexible et différencié. Il m'est souvent arrivé, sur la base de permis accordés par mon prédécesseur, de refaire l'instruction et de découvrir des écarts considérables entre les exigences des différents élus, de l'opérateur et des populations, sans que l'on parvienne à trouver un point d'équilibre. Je me réjouis néanmoins que dans certains cas, la conciliation soit possible. Il convient donc de préserver une période de flexibilité au cours de laquelle les parties en présence pourront se rapprocher. Ce n'est pas de l'équilibrisme : c'est de la participation – terme à la fois gaullien et picto-charentais ou « obamien ».

Dans la mesure où ce dispositif est innovant, nous allons en discuter âprement ensemble afin de définir la manière d'organiser cette flexibilité. Nous préférons pour notre part faire confiance à la société pour organiser les choses et faire en sorte que le débat ait lieu, mais pas pendant des années puisqu'il faudra trancher à un moment donné – y compris sur les points délicats. Et c'est le rôle de l'État que d'arbitrer in fine. Ce débat ne représente d'ailleurs nullement pour nous une cause de ralentissement mais bien au contraire d'accélération : car lorsque l'on prend le temps de discuter avec la population, on en gagne pour appliquer des décisions mieux comprises et plus adaptées aux desiderata populaires. Tout le monde peut donc se reconnaître dans un processus de cette nature et se fier aux acteurs de terrain pour parvenir à trouver de bonnes solutions.

Notre objectif consiste ainsi à permettre aux mines de retrouver au plus tôt une activité sur notre territoire et non à dresser des obstacles à l'encontre d'une activité qui serait mauvaise dans son principe. Il s'agit pour nous d'une activité contribuant au redressement productif de notre pays. Mais nous ne pouvons pas faire n'importe quoi : il nous faut écouter la société, les élus et les riverains, et ajuster notre décision sur cette base. Voilà quel équilibre il nous paraît intelligent de construire avec vous, législateur, dans un processus innovant et « évolutionnaire ».

Quant à savoir si l'exploitation découle de l'exploration, nous avons cherché des formules permettant de les distinguer mais sommes parvenus à la conclusion qu'économiquement, celui qui investit dans l'exploration ne le fera plus s'il ne se trouve pas, au bout du compte, avoir acquis un droit possible d'exploiter. C'est le cas dans le secteur du pétrole et dans les explorations profondes pour lesquelles l'investissement est important. Dans le cas des forages en Guyane, les compagnies ont ainsi exposé un demi-milliard d'euros d'investissements sans aucun succès ou avec un succès très modéré, ce qui les a conduites aujourd'hui à abandonner l'exploitation. Vous ne pouvez donc contraindre une entreprise exploratrice de reprendre la procédure pour obtenir le droit acquis à l'exploitation. Peut-être pourrons-nous définir des modalités différentes.

Sur les gaz de schiste, la position du Gouvernement a été réaffirmée à plusieurs reprises par le Président de la République : nous ne sommes pas d'accord avec la fracturation hydraulique qui pose des problèmes extrêmement graves pour l'environnement en ce qu'elle pollue le sous-sol mais aussi, accessoirement, la surface – même si c'est dans une moindre mesure que d'autres installations – puisque les puits, situés à intervalles réguliers, risquent de pommeler le paysage. Or, la France ne dispose pas des déserts du Dakota du Nord – les régions désertiques étant chez nous assez peuplées et accueillant un habitat dispersé de bon aloi, correspondant à notre tradition vernaculaire, agricole, ancestrale. Ces éléments nous conduisent donc à poser les problèmes différemment. À la question de la recherche, le Président de la République a répondu oui. Cette réponse figure-t-elle dans la loi ? La réponse est oui. D'ailleurs, ne nous méprenons pas : le principe de précaution ne doit pas nous faire trembler à chaque nouvelle innovation technologique. C'est même tout l'inverse : ce principe doit nous obliger, avant de l'interdire, à mesurer les conséquences de son usage. C'est d'ailleurs le sens de l'interprétation renversée de ce principe qui conduit aujourd'hui à faire croire qu'il doit empêcher tout progrès technique. Or pas du tout ! Il doit nous obliger à tester l'utilité du progrès technique et sa compatibilité avec l'environnement, ce qui constitue une inversion de la croyance générale. C'est la raison pour laquelle un contentieux est actuellement en cours devant le Conseil constitutionnel et qu'un certain nombre de questions sont posées.

En ce qui concerne le Gouvernement, nous n'avons jamais fermé la porte à la recherche. Il restera à la mettre en oeuvre une fois les contentieux éclaircis. Les décisions du Conseil constitutionnel devraient être rendues d'ici à trois mois.

Je souhaiterais à présent vous donner mon sentiment tout à fait personnel sur le gaz de schiste en général. Quel est le problème posé par le gaz de schiste ? Celui de l'environnement et de la pollution avérée du sous-sol qu'occasionne l'usage de l'eau et de produits chimiques dans le cadre des techniques aujourd'hui dominantes – qui ne sont cependant pas les seules. C'est l'une des raisons pour lesquelles de nombreux gouvernements, stimulés par leur opinion publique, ont suspendu toute exploration. Or il est plusieurs choses que nous devrions méditer. Premièrement, la question des innovations technologiques : existe-t-il des techniques permettant d'éviter la pollution du sous-sol ?

Deuxième question : qu'en est-il de la souveraineté énergétique alors que nous importons aujourd'hui des milliards de mètres cubes de gaz ? Si notre sous-sol en contient, nous pourrions peut-être résoudre une grande partie des problèmes liés au déséquilibre de notre balance commerciale pourvu que nous parvenions bien entendu à être compétitifs par rapport au gaz d'importation par gazoducs ou méthaniers. En l'occurrence, il est nécessaire de connaître la quantité de gaz que nous possèderions et, donc, de procéder à des vérifications. Les carottages auxquels il est fait référence dans les archives de l'industrie pétrolière et les travaux effectués par le BRGM en 1960 dans un certain nombre de régions nous permettent d'affirmer que nous disposons de ressources gazières mais sans en connaître la quantité. C'est là un des éléments du débat que nous devons avoir car il peut participer du redressement de notre économie.

J'ai rencontré récemment le Secrétaire à l'énergie de M. Obama. Il m'a expliqué que la courbe de rentabilité des puits demeure très élevée pour plusieurs dizaines d'années et que l'exploitation des gaz de schiste donne un avantage compétitif considérable aux États-Unis puisque ce pays bénéficie de délocalisations massives d'activités industrielles. Cela devrait nous faire réfléchir.

Je rappelle, de plus, que notre industrie chimique connaît un certain nombre de problèmes et je ne parle pas que des raffineries en difficulté – Fos-sur-Mer, Lyondellbasell, Pétroplus dans le bassin de l'estuaire de la Seine – car c'est aussi le cas, par exemple, de Kem One, société qui fabrique la matière première du PVC et qui emploie un millier de salariés. Le Gouvernement se préoccupe vivement de la compétitivité de nos industries gazières ou de transformation des hydrocarbures lesquelles, aujourd'hui, sont de plus en plus souvent implantées à proximité des lieux d'extraction. Les parlementaires que vous êtes devraient également s'intéresser aux conséquences économiques de l'exploitation des gaz de schiste aux États-Unis, le gouvernement américain affirmant qu'un million d'emplois a ainsi été créé, et pas seulement grâce à l'exploration, l'exploitation ou la construction des infrastructures mais par l'arrivée de nouvelles industries dans des zones désertiques. Il convient donc de réfléchir en fonction de l'ensemble de ces paramètres.

Nous devons parvenir à régler le problème de la pollution des sous-sols, laquelle est scandaleuse aux États-Unis de l'avis même d'élus américains et d'organisations non gouvernementales, et à capter la rente que représenterait l'exploitation des gaz de schiste pour notre économie en l'affectant, pour la main droite, à l'industrie française dont la compétitivité a besoin d'être renforcée et, pour la main gauche, au financement des énergies renouvelables que nous aurons du mal à financer avec l'ampleur que nous appelons tous de nos voeux. Pour ce faire, nous avons besoin selon moi – c'est un point de vue personnel qui n'engage pas le Gouvernement, je propose simplement une idée, comme les ministres peuvent le faire – d'une compagnie publique nationale exploitant les gaz de schiste, captant la rente, la partageant avec les territoires, permettant d'affecter les industries au plus près, contribuant à faire baisser le coût de l'énergie et, donc, assurant le financement de la mutation énergétique dans notre pays en nous libérant notamment des hydrocarbures.

Sur le plan des principes, l'utilisation du gaz et donc l'extraction supplémentaire d'hydrocarbures est-elle problématique ? Puisque nous les importons, autant les exploiter, ce sera toujours cela de gagner ! J'ai noté que tous les scénarios d'alternative au nucléaire préconisent l'augmentation de l'usage du gaz car, de toutes les énergies thermiques, elle est la moins productrice de CO2.

La résolution de l'ensemble de ces problèmes nous permettrait sans doute de sortir de notre difficile équation énergétique dont les termes sont : nucléaire, énergies renouvelables – que les Allemands et les Espagnols ont le plus grand mal à financer –, refus des gaz de schiste. Il faut desserrer l'étau, réfléchir à tout cela de façon apaisée, dépassionnée et en veillant à respecter l'environnement car la pollution des sous-sols constitue un vrai problème. La difficulté, en effet, n'est pas tant « fracturation hydraulique ou non » que « pollution ou non », « contrôle des usages ou pas ». Si nous disposons d'une compagnie nationale travaillant sous le contrôle du Parlement et du Gouvernement, nous aurons de meilleures chances que si nous confions cette activité à l'industrie pétrolière, comme aux Etats-Unis. Voilà la position du redressement productif sur ce sujet ! Je peux me tromper, je suis prêt à en parler mais cela mérite selon moi un débat à tête reposée dans le respect des opinions des uns et des autres, avec tous ceux qui forment l'opinion du pays et vous en faites éminemment partie.

S'agissant de l'après-mine, rien n'est encore décidé mais vos suggestions seront bonnes à prendre, madame Marcel.

Les installations minières bénéficient d'une procédure proche de l'ICPE mais cela ne signifie pas automatiquement qu'un classement ICPE sera prononcé.

Notre position concernant le gaz de houille est la même que celle sur le gaz de schiste mais le gaz étant en l'occurrence accessible, il n'est pas question de fracturer la roche. Notre démonstrateur en Lorraine témoigne que les exploitations sont possibles.

En ce qui concerne la consultation européenne, le Premier ministre n'a pas encore arrêté la position du Gouvernement. M. Philippe Martin vous répondra sans doute à ce propos.

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