Intervention de Jacques Bompard

Séance en hémicycle du 17 juillet 2013 à 15h00
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Bompard :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, les réformes passent et, hélas ! se ressemblent toutes. Il s'agit à chaque fois des mêmes enjeux, des mêmes problèmes et des mêmes solutions hasardeuses. Ce texte s'inscrit donc dans la continuité de tout ce qui a été fait depuis les débuts de la décentralisation.

Il ne s'agit pas ici d'une solution durable, celle dont nous avons besoin, mais d'une énième tentative de concilier décentralisation, démocratisation et économies.

Force est de constater que ce projet de loi ne remplit aucun de ces trois objectifs.

Le texte dont nous discutons aujourd'hui trois grands défauts.

D'abord, il contribue à l'augmentation exponentielle de lois, de règlements, de textes qui étouffent notre pays. « Nul n'est censé ignorer la loi », et pourtant, qui peut, aujourd'hui, prétendre la connaître ?

Ensuite, il constitue un coût de fonctionnement supplémentaire qui devra être encore supporté par les Français qui paient déjà énormément pour des institutions défaillantes.

Enfin, il favorise les conflits et l'irresponsabilité des collectivités en étendant la clause de compétence générale qui est déjà la source d'un incroyable gâchis.

Mes chers collègues, notre pays souffre d'un mal centenaire : l'inflation normative. À chaque décision que nous prenons, les textes deviennent plus inutiles, plus denses, plus détaillés, plus contraignants.

Ce projet de loi ne se contente pas de modifier la loi existante, mais elle crée encore plus de détails et de normes. Il suffit, pour s'en rendre compte, de regarder la liste, très détaillée, des compétences accordées à la métropole.

Nous produisons trop de lois. Une véritable montagne de textes est élaborée chaque année, sans que jamais soient annulés les textes précédents. Peut-on imaginer que ce mode de fonctionnement, qui consiste à légiférer sans cesse dans les domaines les plus variés, puisse encore perdurer longtemps ?

Les collectivités vivent à un rythme lent, surtout les plus petites ; elles mettent du temps à s'adapter aux différentes mesures et à déterminer le personnel dont elles ont besoin pour leurs différentes tâches. En compliquant sans cesse les règles du jeu, on gêne leur bon fonctionnement.

Alors, lorsque nous faisons encore plus de lois, imposant ainsi encore plus de contraintes à nos collectivités, posons-nous la question : arrivent-elles seulement à suivre le rythme ? Même les préfectures sont submergées, elles qui reçoivent en moyenne plus de 8 000 pages de réglementations nouvelles par an !

Vient ensuite la question du financement de ces mesures. En créant de nouvelles dispositions, de nouvelles structures, de nouveaux échelons, vous créez de nouvelles sources de dépenses. Certes, il y aura des dotations de l'État, mais cela ne suffira jamais à financer complètement les nouvelles structures. Ce sont les contribuables qui devront encore et toujours financer vos rêves.

Les impôts locaux sont déjà extrêmement élevés. Les dotations de l'État aux collectivités diminuent, alors que l'endettement des collectivités locales explose. Sur ce dernier point, il convient de saluer les semblants d'efforts effectués dans le sens du contrôle des emprunts des collectivités territoriales. Il n'empêche qu'interdire aux élus de contracter un prêt pour leur collectivité deux semaines avant le début du scrutin n'apportera rien.

Ne soyons pas dupes : chaque nouvel organisme créé est un nouveau poste de dépense. À chaque fois que vous financez des conseils, des commissions, des fonctionnaires, vous créez des coûts pour les collectivités. Chaque nouvelle mesure qui n'en élimine pas une ou deux autres est un coût qui finit par devenir toujours plus insupportable pour le contribuable.

Combien de temps faudra-t-il attendre avant de rationaliser enfin notre système de fonctionnement, qui allie inefficacité et gaspillage ? Le millefeuille territorial ne cesse de croître. Toujours plus dense, il compte toujours plus d'échelons. En effet, la métropole est bien un échelon supplémentaire. Elle ne remplacera pas la commune ni le département mais les affaiblira en grignotant leurs compétences respectives. Les Français sont perdus dans un tel méandre d'organisations. Qui décide quoi ? Les Français ne le savent pas.

La cohérence du territoire ne peut être réalisée que dans la clarté et la simplicité et suppose une véritable cohérence de nos institutions. La simplification des échelons est une ardente obligation. S'il faut certes adapter les collectivités locales aux nécessités actuelles, il faut aussi supprimer corollairement les anciens échelons. Si nous voulons un territoire plus efficace, plus rentable, plus cohérent et plus pratique, il faut d'abord réfléchir au fonctionnement des collectivités qui gèrent les territoires avant d'envisager une nouvelle forme d'organisation du territoire. C'est un travail long, qui nécessitera des choix cohérents, mais c'est la seule voie qui s'offre à nous si nous voulons que les Français reprennent confiance dans leurs institutions et leurs représentants. J'invite ceux qui pensent qu'une telle démarche est impossible à venir voir ce qui se fait dans certaines communes bien gérées. On y constate la disparition de l'endettement, la baisse constante des impôts, un autofinancement important et une réduction du nombre d'employés municipaux allant de pair avec une plus grande efficacité des services. De telles communes sont en France et ce qui s'y fait pourrait donc être fait partout.

Il est encore plus tragique que le projet de loi propose d'étendre à tous la clause de compétence générale alors qu'il faudrait au contraire l'interdire. En effet, une telle mesure ne peut conduire qu'au saupoudrage financier, à l'endettement des collectivités et à l'aggravation de leur irresponsabilité. Dans le cadre du jeu concurrentiel entre collectivités, il est naturel que chacune tente d'affirmer son autorité sur le territoire en agissant sur tous les fronts. J'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi visant à mettre fin à la multiplicité des compétences des collectivités territoriales et vous invite, mesdames les ministres, à l'étudier avec soin. Vous y trouverez des idées pour tenter de mettre fin à la gabegie actuelle qui nous mène droit dans le précipice budgétaire.

Dans le cadre des métropoles, le danger est encore plus flagrant. Ces nouvelles entités, qui ont vocation à prendre en charge les compétences du département et certaines compétences de la région, vont par définition affaiblir et l'une et l'autre. Or, ces collectivités ne cesseront pas pour autant d'exister et continueront à agir sur le même espace. Ainsi, le département du Rhône continuera de mener des politiques s'appliquant à l'ensemble du département, y compris la métropole lyonnaise, même indirectement et même si celle-ci dispose pour son territoire de la compétence concernée.

En outre, chacune des trois métropoles que nous étudions a ses propres particularités de fonctionnement. Je ne prétends pas nier les particularités locales, mais la loi au cas par cas ne peut raisonnablement constituer un moyen efficace de gouvernement. La loi doit par essence avoir une portée générale. Nous voici donc face à un texte compliqué dans lequel chaque métropole a ses propres règles et ses propres conditions d'existence. Cela présage de son inanité.

Le texte comporte une autre création, les pôles ruraux, qui sont la neuvième, dixième ou onzième strate, on ne sait même plus ! Ils visent à créer une nouvelle forme d'organisation des territoires ruraux. Nous parlons ici de territoires extrêmement vastes puisqu'il s'agit de réunir des EPCI dans une association de communes rurales. Mais quelle taille auront les pôles ? Au moins une bonne partie du département. Ainsi, au lieu d'aménager le territoire à l'échelle du département, on agit sur des parcelles à peine plus petites. Cela n'est pas sans rappeler les contrats de pays, qui existent toujours et visaient à rassembler les communautés de communes autour de certains projets communs. Ces structures se sont dotées en personnel, ce qui a créé des coûts car elles ne mettent pas fin à l'échelon intercommunal. Au mieux, les pôles ruraux ne feront que se superposer aux structures existantes, au pire ils généreront des conflits de compétences et une inefficacité générale.

Ce dont la France a besoin, c'est un véritable plan de rationalisation des collectivités, des économies budgétaires et la disparition du millefeuille territorial. Tout le monde le dit, personne ne le fait, hélas ! La France a besoin que chaque citoyen soit à même d'identifier qui fait quoi sur son territoire. Après tout, pour qu'une entreprise puisse fonctionner, il faut définir précisément les tâches de chaque service afin d'éviter les doublons. Or nous faisons exactement l'inverse aujourd'hui avec les collectivités locales. Voulons-nous détruire notre pays à toujours faire l'inverse de ce que le bon sens imposerait ?

Voilà à quoi mène une décentralisation désordonnée : des collectivités aux ressources réduites mais aux compétences larges et aux coûts de fonctionnement énormes. Nous sommes en train d'organiser l'inefficacité et la faiblesse des collectivités locales, qui seront bientôt incapables de mener à bien leur mission. La création des métropoles n'est pas la solution aux problèmes de la France. Nous avons besoin d'économies et de simplification, le projet de loi ne propose que dépenses et enchevêtrement de compétences. Il faut en finir avec la logique de multiplication des coûts et des échelons territoriaux ainsi qu'avec l'inflation normative.

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