Intervention de Bernard Accoyer

Séance en hémicycle du 17 juillet 2013 à 15h00
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, engagée il y a trente ans avec les lois Defferre, la décentralisation était initialement présentée comme un véritable progrès, une promesse de simplification et d'efficacité pour la décision publique. Elle devait permettre d'alléger le fonctionnement d'un État appelé à se concentrer sur ses missions régaliennes. Elle devait permettre de bâtir une administration de proximité, au plus près des besoins des citoyens et des territoires.

Depuis trente ans, au gré des alternances, droite et gauche n'ont d'ailleurs eu de cesse que de renforcer ce processus de décentralisation, aussi bien avec la loi Chevènement en 1999 qu'avec les textes portés par Jean-Pierre Raffarin en 2003 et en 2004.

Avons-nous choisi le bon chemin pour réformer l'État ? Trente ans après les lois Defferre, le bilan que nous pouvons tirer est malheureusement décevant sur nombre de points. La décentralisation a globalement compliqué la vie des territoires, des collectivités et des citoyens. Les niveaux d'administration publique sont toujours plus nombreux, ne cessant d'alourdir le millefeuille territorial.

Avec 36 700 communes, 2 581 établissements publics de coopération intercommunale, 101 départements et 26 régions, avec, demain, les métropoles qui vont rajouter une strate supplémentaire, la France est un pays suradministré, empilant sans cesse davantage de structures administratives. Avec près de 40 000 collectivités locales, à lui seul, notre pays abrite 40 % du nombre total des collectivités locales des 28 pays membres de l'Union européenne. De leur côté, les effectifs des fonctions publiques ne cessent de croître. Ainsi, 600 000 fonctionnaires supplémentaires ont été recrutés en trente ans par les collectivités locales – soit une augmentation de 60 % –, ce qui porte à 1,6 million le nombre de fonctionnaires territoriaux.

Pourtant et paradoxalement, comme l'a relevé la Cour des comptes dans son rapport de 2009 sur le bilan de la décentralisation, les plus fortes augmentations d'effectifs n'ont pas été le fait des collectivités concernées par des transferts significatifs de compétences. Dans le même temps, l'État lui-même n'a pas réduit ses effectifs comme nous pouvions l'espérer. Au contraire, ce sont 400 000 fonctionnaires d'État supplémentaires qui ont été recrutés depuis 1982. Ainsi, un million de fonctionnaires supplémentaires ont été recrutés en France en trente ans.

Devant ce constat coûteux et angoissant pour les finances, 180 000 postes de fonctionnaires d'État partant à la retraite n'ont pas été remplacés entre 2003 et 2012. Cette politique courageuse a permis d'affecter deux milliards d'euros des économies générées à des mesures de revalorisation du traitement des agents de l'État.

À l'instar des collectivités locales dirigées par des élus proches de la majorité nationale, en particulier les régions, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a choisi de relancer massivement le recrutement de fonctionnaires d'État, en particulier dans l'éducation nationale, quitte à accroître encore les déficits et la dette publique.

Je livre à votre réflexion un petit calcul, madame la ministre. Un fonctionnaire d'État embauché à 25 ans dispose d'une espérance de vie d'environ 60 ans – pour le moment, car elle augmente sans cesse, ce qui est une bonne chose – et coûte 30 000 euros par an en moyenne – jusqu'à la fin de ses jours, puisqu'en l'absence de caisse de retraite des agents de l'État, les retraites de ces agents restent à la charge de l'État. Le coût de 60 000 agents supplémentaires à 30 000 euros par an pendant 60 ans représente une charge de près de 110 milliards d'euros – une traite de 110 milliards d'euros que le Gouvernement est en train de tirer sur la jeunesse de France.

Pendant ce temps, les normes, les lois et les règlements continuent à s'empiler. Alors que le recueil des lois publiées dans l'année comptait 620 pages en 1970, il en compte 1 900 aujourd'hui, ce qui représente une augmentation de 300 %. Chaque préfet de la République reçoit dans nos départements 80 000 pages de circulaires par an. Le rapport pour 2011 de la Commission consultative d'évolution des normes a évalué, au titre de cette même année, le coût pour les collectivités locales des normes créées à 728 millions d'euros.

Citoyens et entreprises continuent à être confrontés en permanence à un maquis inextricable de réglementations, de procédures et d'interlocuteurs différents, ce qui est source de redondances, de conflits de pouvoirs, de gaspillages de temps et d'argent.

Voilà ce qui écrase les entreprises, les collectivités et les citoyens.

Pendant ce temps, la dépense publique locale a mécaniquement augmenté dans des proportions importantes : elle atteint aujourd'hui quelque 230 milliards d'euros, soit 11 % du PIB, contre 8 % il y a trente ans. Pourtant, la Cour des comptes, dans son rapport de 2009 sur la décentralisation, estimait qu'un peu moins de la moitié de cette progression résultait réellement des transferts opérés par les lois de décentralisation.

Face à ce constat, pour répondre à cet état de fait, que propose le texte dont nous discutons ?

Malheureusement, ce projet de loi ne défend aucune vision claire. Il ne propose aucune véritable réforme de structure ambitieuse ni aucune simplification qui permettrait de répondre aux mutations actuelles de l'économie et de la société. Nous sommes bien loin du prétendu « acte III de la décentralisation » promis par le candidat François Hollande au cours de sa campagne. La plupart des associations d'élus locaux et des syndicats d'agents de la fonction publique territoriale ont d'ailleurs demandé – vous ont demandé, madame la ministre – de « revoir votre copie ».

En réalité, ce texte n'ouvre aucune perspective, ne clarifie pas les compétences, n'apporte aucune simplification au bénéfice des citoyens, des entreprises ni des acteurs socio-économiques des territoires.

En vérité, le Gouvernement a bricolé un texte si confus, à ce point indigeste, que les sénateurs de la majorité, après l'avoir forcé à découper le texte en tranches, ont profondément réécrit celui-ci en commission et en séance.

Encore une fois, le Gouvernement n'a pour seule ligne directrice, pour unique préoccupation que de détricoter méthodiquement…

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