Intervention de Pascal Ferey

Réunion du 9 juillet 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Pascal Ferey, vice-président de la FNSEA :

Mesdames, Messieurs les députés, merci de votre invitation. C'est une heureuse initiative que de profiter de la préparation de la loi d'avenir pour l'agriculture pour jeter un regard particulier sur les agricultures des départements d'outre-mer. Je suis moi-même agriculteur sur la presqu'île du Cotentin où l'eau est un peu moins chaude et l'agriculture plus continentale, mais je m'intéresse, depuis 1992, à l'évolution des agricultures des départements d'outre-mer.

Qu'elles soient pratiquées dans l'océan Indien ou sur la côte atlantique, ces agricultures se caractérisent par des points d'ancrage importants. Outre-mer, on distinguera, d'une part, le pôle sucre, qui est très important à La Réunion et en Guadeloupe, et où la restructuration, dans les années 1990, de la sucrerie Gardel, à laquelle nous avons participé avec l'ODEADOM, a été l'occasion de mettre en place, à travers une organisation forte des producteurs, une politique très structurée et structurante sur les deux îles. Par ailleurs, en Martinique, le sucre est surtout transformé en rhum dont la qualité est renommée. Et on distinguera, d'autre part, le pôle banane, qui est très encadré, très structuré et bien accompagné par l'Union européenne aux Antilles. Aujourd'hui, ces deux productions essentielles représentent plusieurs milliers d'emplois non délocalisables qui gravitent autour de l'agriculture.

Ces deux points forts de l'agriculture s'accompagnent d'éléments de faiblesse. Les expérimentations conduites avec nos collègues agriculteurs d'outre-mer ont montré que, en matière d'élevage et de maraîchage notamment, il fallait repenser le modèle de développement. Bien sûr, cela passe par la formation des hommes, en particulier des jeunes, mais aussi des salariés. Le Fonds national d'assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles (FAFSEA) s'investit beaucoup dans ce dossier. C'est ainsi qu'après les différents cyclones, le fonds a fait en sorte d'éviter le chômage aux salariés d'exploitations agricoles en les prenant en charge. Nous avons alors collectivement décidé que, quel que soit le budget, toutes les demandes seraient satisfaites.

Le volet économique suscite beaucoup d'amertume, sauf, peut-être, à La Réunion qui apparaît comme un modèle en matière d'encadrement et d'organisation de la production, de formation des agriculteurs et de performance des outils agroalimentaires. Cette île est devenue, pour certaines productions animales ou végétales, exportatrice nette, ce qui n'est pas toujours simple, alors qu'on sent quelques crispations dans les échanges avec nos amis mahorais. Les Antilles, en revanche, donnent moins de satisfaction en ce qui concerne les secteurs animal, végétal et de maraîchage. Sur 160 000 tonnes consommées, seules 15 000 à 20 000 tonnes sont produites localement, le reste étant importé. Toutes les expériences lancées dans le cadre de l'ODEADOM ont échoué. L'échec le plus criant, en Martinique, a concerné la production d'ananas au Morne-Rouge ou au Gros-Morne : malgré une production existante et un outil industriel moderne, l'offre n'était pas structurée.

Si la loi d'avenir revient sur les fondamentaux, le volet accompagnement des agriculteurs doit comporter des mesures d'aide à la structuration de l'offre. On ne peut pas continuer à investir dans des outils inadaptés, comme cet abattoir en Martinique financé il y a trois ans, qui était censé traiter 65 000 poulets par jour mais qui atteint péniblement les 35 000. Il faudra faire preuve d'audace. Cette agriculture, en bien des endroits, ressemble à celle de métropole. Pourquoi, en matière de productions animales, telles que le porc et la volaille, ne pas favoriser les plans de modernisation des bâtiments d'élevage pour le secteur hors-sol ? Structurer les bâtiments, c'est aussi pérenniser les outils de production après les dégâts occasionnés par les cyclones et les ouragans. Trop de bâtiments agricoles tombent en désuétude après ces catastrophes naturelles, malgré l'intervention très forte des collectivités et de l'État. Un premier point serait donc de permettre aux agriculteurs d'accéder aux aides à la modernisation. En contrepartie, les filières devront être organisées. On ne peut pas continuer d'injecter des centaines de milliers d'euros au titre du particularisme insulaire sans les assortir d'obligations. En métropole, les aides sont conditionnées à la structuration de la production. Sur ce point, il nous faut nous organiser collectivement.

Troisième sujet, l'avenir. Alors que la France vient de signer son engagement sur le budget de l'Europe et sur la PAC, on peut se demander si les deux éléments structurants financiers que sont les organisations communes de marché (OCM) de la banane et du sucre pourront perdurer. Plaide en leur faveur la volonté politique forte de maintenir de l'emploi dans l'agriculture et l'agroalimentaire, qui sont les premières richesses après le tourisme. Toutefois, nous sommes de plus en plus isolés sur l'échiquier européen : l'Espagne et le Portugal, ayant réglé leurs problèmes, considèrent que l'éloignement et l'insularité ne sont plus des questions européennes mais purement françaises et ne sont plus disposés à nous accompagner sur la banane. La renationalisation des politiques serait extrêmement dangereuse, non seulement pour les deniers de l'État, mais aussi pour l'insertion de l'agriculture domienne dans l'Union européenne.

Il faudrait avoir un jeu d'avance. Je ne pense pas qu'on maintiendra très longtemps le principe du couplage des aides financières et de la production. On le voit sur l'OCM sucre, qui est aujourd'hui préservé parce que la France ne remplit pas son quota de sucre blanc. Le sucre roux étant contingenté dans le même volume, on a pu sauver cette particularité française. Il nous faut anticiper selon la périodicité budgétaire de l'Union européenne et regarder à l'horizon 2020-2026 pour déterminer quels seront les grands enjeux. Selon que le couplage restera la règle ou non, les réponses seront différentes. La FNSEA propose d'avoir une politique volontariste pour produire et manger local. Il n'est pas supportable d'avoir aujourd'hui des dizaines de milliers d'hectares de terres inutilisés alors qu'en organisant la production maraîchère et les marchés locaux, on pourrait créer de l'emploi et se donner pour ambition de produire au moins 50 % des légumes ou des végétaux nécessaires à l'équilibre alimentaire de nos départements d'outre-mer. Il faut néanmoins bien distinguer entre légumes, tubercules et autres, en raison des particularités très fortes de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion.

J'insiste encore sur la nécessité absolue de formation des jeunes agriculteurs, mais aussi d'un accompagnement et d'un encadrement de qualité, qui ne s'évalue pas en nombre de techniciens et d'ingénieurs, mais en niveau d'expérience de l'insularité. J'appelle l'INRA et le CIRAD à continuer à chercher activement des techniques alternatives aux produits chimiques, des méthodes permettant à l'agriculture de ces départements d'entrer dans le XXIe siècle.

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