Intervention de Juvénal Remir

Réunion du 9 juillet 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Juvénal Remir :

La situation de l'agriculture martiniquaise est très contrastée. D'abord, le foncier agricole est sous-utilisé. Pour des raisons aussi diverses que des héritages ou des indivisions non réglés, 13 000 hectares de friche ont été récupérés par l'État et l'ONF qui, en les classant en zones boisées, les ont soustraits du potentiel agricole. Aucune des démarches entreprises, tant par les syndicats agricoles que par la chambre d'agriculture, pour obtenir une analyse sérieuse de cette situation et un plan d'action de retour à l'agriculture de ces surfaces n'a abouti positivement.

Alors que de plus en plus de terres sont classées inconstructibles, se poursuit le développement d'un habitat diffus, construit anarchiquement en dehors de tout plan d'urbanisme et très souvent sans permis de construire. C'est ainsi qu'est advenu le mitage complet des terres agricoles avec la complicité de nombreux élus – de manière incidente, je regrette d'ailleurs qu'aucun député de la Martinique ne soit présent aujourd'hui. Hormis la SAFER, à laquelle l'État et les collectivités ne donnent pas les moyens financiers de jouer son rôle de garde-fou, il n'y a pas de structure dédiée à la gestion du patrimoine agricole.

Depuis deux ou trois ans, à défaut d'herbicide efficace, la canne, le rhum et le sucre souffrent de fortes chutes de rendement agricole. La production de canne est passée de 175 000 tonnes en 2012 à 165 000 tonnes en 2013, le rendement tombant à moins de 60 tonnes à l'hectare. Si de nouveaux herbicides sont en cours d'homologation, leur efficacité est toutefois connue pour être médiocre. Cette situation extrêmement préoccupante est révélatrice de l'insuffisante prise en compte par le Gouvernement et l'exécutif de nos régions de la spécificité d'un climat tropical humide qui interdit toute vision angélique d'une agriculture sans pesticide. La référence permanente à la production bio n'est pas une option réaliste en climat tropical, ni pour la culture de la canne ni pour toute autre culture.

L'insuffisante évolution du prix de la tonne de canne a eu des conséquences directes sur le revenu des planteurs qui ne n'en sortent plus. Elle est à l'origine de la disparition de nombre de petits exploitants et d'un désintérêt de plus en plus marqué pour la culture de la canne, conduisant à une raréfaction préoccupante du produit. Plusieurs distilleries manquent déjà cruellement de canne, tandis que l'usine à sucre du Galion a traité moins de 50 000 tonnes pour la saison 2013. Quant au rhum, Bruxelles l'expose actuellement à de graves difficultés en remettant en cause son système de protection fiscale, pourtant essentiel face à la concurrence. Le sucre se résume à la production de l'usine du Galion, que la forte diminution de la production de canne a transformée en gouffre financier. Une politique plus attentive à l'avenir de la filière canne devrait déterminer si cette unité de production doit être maintenue ou encore s'il faut privilégier une meilleure alimentation des distilleries.

S'agissant du maraîchage et de la culture vivrière, les chiffres pour la Martinique sont assez fantaisistes. Selon un récent document d'évaluation du POSEI, la consommation est de 80 000 tonnes tous fruits et légumes confondus, et l'importation de 59 000 tonnes. De leur côté, les douanes estiment l'importation en Martinique à 24 000 tonnes. Retenons néanmoins les chiffres d'évaluation du POSEI qui concordent avec ceux de la consommation globale de la Guadeloupe, elle aussi de 80 000 tonnes, et qui permettent de penser que la production locale en Martinique serait de 21 000 à 30 000 tonnes, certains produits comme le ti-nain ayant du mal à être quantifiés, et de 50 000 tonnes en Guadeloupe.

Il existe bien en Martinique une marge de développement, même si la consommation reste conditionnée par les habitudes des habitants, plus tournés vers les produits européens. Quoi qu'il en soit, la stagnation de ces produits est directement liée à l'absence d'une politique claire de la part des pouvoirs publics.

Au cours des cinq dernières années, plus de 250 millions d'euros ont été mis à la disposition de la diversification des cultures outre-mer. Pourtant personne, et surtout pas les chambres d'agriculture, n'a jamais pris la peine de mettre en évidence ce montant faramineux. L'enveloppe du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM), mise en place en 2010 pour les années 2010 à 2013, s'élevait à elle seule à 155 millions d'euros, mais pour quels résultats, en termes d'emplois et de volumes produits ?

Pourtant ces importants soutiens financiers ont donné des résultats très positifs dans l'agriculture réunionnaise, ce qui nous amène à nous interroger sur la situation dans les Antilles, et particulièrement en Martinique. La réponse est que ni l'État, ni les collectivités publiques n'ont clairement défini de règles obligeant les producteurs qui souhaitent bénéficier de fonds publics à adhérer à des organisations compétentes et structurées et à respecter un cahier des charges, celui-ci comportant des obligations en matière d'utilisation des produits phytosanitaires, de traçabilité alimentaire, de commercialisation et de mise sur le marché de la production.

En Martinique, nous avons un certain nombre d'organisations de producteurs dont la coopérative SOCOPMA, mais celle-ci, jusqu'à une date récente, pratiquait une gestion peu scrupuleuse, au profit de quelques-uns, sous l'oeil impuissant sinon complice des autorités régionales et nationales. La situation des producteurs a conduit les chambres d'agriculture à proposer un assouplissement des conditions d'accès au POSEI à ceux qui ne sont membres d'aucune organisation.

L'importation de produits vivriers et maraîchers provenant des pays de la zone Caraïbe ne fait l'objet d'aucun contrôle phytosanitaire et d'aucune exigence de traçabilité alimentaire, alors même que le laxisme de ces pays est notoirement connu. La pollution par le chlordécone a diminué de 15 à 20 % la surface des terres exploitables, pourtant aucune réflexion n'a été engagée sur la possibilité d'y développer d'autres activités qui n'auraient pas à craindre la contamination.

La filière animale a connu, au cours des dernières années, une évolution très positive liée à la création de MADIVIAL. Cette union des coopératives d'élevage, qui regroupe l'ensemble des organisations de producteurs de viandes de Martinique, organise et contrôle l'abattage et la transformation des produits sur l'île et elle est un interlocuteur crédible de la grande distribution. En 2012, nous avons produit 2 000 tonnes de volailles, 500 tonnes de porc et 400 tonnes de bovin, ce qui représente une augmentation de 15 % par rapport à 2011. Cette réussite a été obtenue en mettant un peu de discipline et d'organisation dans le fonctionnement de la filière, de la production à la mise sur le marché.

Mais beaucoup reste à faire. Les produits congelés représentent une grande part des 22 000 tonnes de produits consommés à la Martinique, et la production locale ne peut rien contre la concurrence de ces produits importés.

Le point faible de la filière réside incontestablement dans les difficultés liées à l'alimentation animale, mais ce problème est difficile à résoudre car l'étroitesse du marché ne laisse pas de place à un deuxième provendier. Il est clair que l'unique provendier de l'île, Martinique nutrition animale (MNA), ne prend pas ses responsabilités en matière de développement des filières d'élevage. La qualité des produits et leur prix entraînent de vives confrontations entre MNA et les éleveurs. La solution serait de conditionner les aides versées à MNA et aux éleveurs au respect de modes de fonctionnement prenant en compte les besoins des élevages et les contraintes du provendier. Il y a trois ans, un protocole d'accord a été signé mais il n'a jamais été mis en oeuvre, l'administration n'ayant pas usé de sa légitime autorité pour le faire appliquer.

Le préfinancement des aides directes POSEI constitue l'une des difficultés majeures pour les filières de diversification car les aides qu'elles pourraient percevoir sont liées au volume de la production et non à l'adhésion des producteurs à une organisation professionnelle. Il est donc impossible pour ces filières de connaître au préalable le montant des aides qui leur seront attribuées, tandis que les producteurs de la filière banane perçoivent des aides basées sur des références historiques, ce qui leur permet d'établir un dossier de préfinancement en cours d'année. Cette impossibilité de préfinancer les aides POSEI conduit les producteurs à limiter leurs investissements et leurs achats d'intrants, ce qui est préjudiciable à la régularité et à la qualité de leur production.

J'en viens à l'activité recherche et développement. Depuis longtemps les relations entre les agriculteurs et les organismes de recherche – le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'Institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement (CEMAGREF) – n'étaient pas satisfaisantes du fait d'un manque de coordination entre la recherche et les besoins du monde agricole. La création, en 2010, de l'Institut technique tropical (IT2), dirigé par les producteurs des filières végétales de la Guadeloupe et de la Martinique, a permis à la recherche de satisfaire les besoins réels, à court et moyen terme, du monde agricole.

Je regrette que l'Office de développement de l'économie agricole (Odeadom) n'ait pas de représentant efficace à la Martinique et que le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) manque d'une vision globale lorsqu'il procède à l'attribution de ses aides. En effet, toutes les filières et les organisations professionnelles déposent leurs propres demandes de subvention sans tenir compte des priorités et de l'intérêt général. De ce fait, certaines enveloppes sont indisponibles pour des projets prioritaires et des sommes importantes sont dépensées de façon inefficace alors que, bien utilisées, elles auraient pu servir efficacement la filière. Ce devrait être à l'administration, qui seule a une vision globale du développement agricole, d'arbitrer toutes ces demandes, pourtant elle reste en retrait.

La filière banane est un bon exemple d'organisation et d'efficacité, tant en termes de production que de mise sur le marché, et ce résultat est reconnu dans le monde entier. Le plan « banane durable » a permis à la production de Guadeloupe et de Martinique d'atteindre la première place mondiale eu égard à la maîtrise de l'environnement et à l'utilisation raisonnée de pesticides.

Pourtant une menace pèse sur cette production, actuellement contaminée par la cercosporiose, maladie qui exige un traitement par voie aérienne. Fortement combattu par différentes associations écologistes – qui bénéficient de la clémence des instances judiciaires – le traitement aérien est sérieusement remis en cause, mais son arrêt menacerait directement la production bananière, mettant en péril 10 000 à 15 000 emplois directs et indirects, soit 75 % des emplois salariés permanents dans l'agriculture antillaise. Les efforts de recherche et développement en agriculture tropicale étant essentiellement soutenus par la filière banane, c'est à une menace globale de démembrement de notre agriculture que nous pourrions être confrontés à court terme.

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