Intervention de Pierre Minor

Réunion du 17 juillet 2013 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Minor, président du comité juridique de la Fédération bancaire française :

Je vous remercie de me donner l'occasion d'exprimer le point de vue de la Fédération bancaire française.

Le rapport qui nous a été présenté est très bon et contient des propositions intéressantes. La situation des avoirs en déshérence nécessite incontestablement une clarification juridique. Nous sommes favorables à la mise en place d'un cadre juridique cohérent et sécurisé, dans l'intérêt partagé des établissements de crédit et des clients.

La loi actuelle est en effet « lacunaire » : elle est à la fois imprécise et incomplète sur bien des aspects. Fondée sur une approche compte par compte, actif par actif, elle traite des avoirs en déshérence par le biais de la prescription acquisitive de trente ans, mais ne comporte que peu ou pas de dispositions sur le point de départ de la prescription et les obligations des établissements de crédit. Elle est en outre dépassée dans la mesure où elle fait toujours référence aux valeurs mobilières, aux titres et aux dépôts de titres, sans que l'on connaisse très bien le périmètre de ces notions. La Cour de cassation, dans un arrêt de la chambre commerciale du 27 mars 2012, a par exemple exclu les bons de caisse de ces catégories et considéré qu'ils étaient soumis à la prescription de droit commun, alors qu'ils constituent des titres négociables et pouvaient donc être assujettis à la prescription trentenaire.

Nous préconisons une approche « client », celui-ci ayant généralement plusieurs comptes, dont des comptes et des produits d'épargne réglementés n'ayant pas vocation à faire l'objet de mouvements. En effet, les comptes d'épargne réglementés sont très souvent inactifs.

Nous sommes favorables à une définition législative des comptes en déshérence – ce qui permettrait d'unifier toutes les pratiques liées à la détermination des comptes inactifs, puis en déshérence – et du point de départ précis de la prescription, qui est un élément fondamental. La nouvelle législation devrait être applicable, non seulement aux établissements de crédit, mais aussi aux établissements de paiement, de monnaie électronique et aux prestataires de services d'investissement. Il serait souhaitable que ce sujet fasse l'objet d'une harmonisation européenne, des disparités importantes existant entre plusieurs États membres de l'Union européenne. Il serait également nécessaire de prendre en considération des situations spécifiques, comme les comptes gelés du fait de réglementations particulières – liées aux embargos, voies d'exécution ou séquestres – échappant au régime de la déshérence.

Cependant, nous avons plusieurs réserves.

D'abord, nous ne sommes pas favorables au caractère obligatoire du transfert à la Caisse des dépôts et consignations des avoirs inactifs au bout de dix ans. Les banques sont en effet en mesure de gérer ces comptes – c'est leur métier –, d'autant qu'existerait un cadre juridique clair et précis prévoyant notamment des conditions d'information spécifiques des clients et un renforcement des contrôles. Cette solution permettrait aux clients de conserver la même relation commerciale ; en outre, ils n'auraient pas à subir les inconvénients de la clôture de leurs comptes – laquelle entraînerait une perte des droits acquis pour les produits d'épargne réglementés ou poserait des difficultés particulières s'agissant des comptes titres dont la liquidation pourrait s'avérer nécessaire.

Deuxièmement, le délai de deux ans suivant le décès est trop court pour faire état d'une succession en déshérence : le fait qu'il ne se soit rien passé pendant cette période n'implique pas nécessairement une déshérence ! Il faut en effet des délais importants pour accomplir les recherches et formalités, notamment pour des successions internationales, des litiges sur succession ou la recherche d'un héritier supplémentaire. Les textes aujourd'hui applicables aux successions en déshérence nous paraissent suffisants. Je rappelle que l'État doit demander l'envoi en possession conformément aux dispositions du code civil.

Troisièmement, la consultation obligatoire du RNIPP pour les comptes des clients inactifs et des clients âgés ne nous paraît pas appropriée. Les banques ont déjà mis en oeuvre des dispositifs dans le cadre de leur contrôle interne pour veiller au respect de leur obligation de connaissance du client et de prévention des cas de fraude. La création d'une obligation légale supplémentaire n'est donc pas nécessaire. En outre, ce fichier ne comprend que les personnes nées en France. De plus, sa consultation nécessitera une adaptation des systèmes informatiques pour permettre notamment le croisement des données et la détection des homonymies.

Par ailleurs, la profession bancaire ne souhaite pas être associée à la liquidation de certains actifs de ses clients, comme ceux des coffres-forts, qui font l'objet de plusieurs mentions dans le rapport de la Cour des comptes. Si nous sommes favorables à ce qu'une législation règle le sort de ces coffres, les banques ont aujourd'hui l'obligation de conserver leur contenu au-delà de trente ans. Une procédure à la charge des banques, similaire à celle des objets abandonnés – laquelle est régie par une loi de 1903 –, serait lourde et coûteuse et irait au-delà de leurs attributions.

En ce qui concerne les titres en général et les titres non négociables en particulier – comme les parts de SCPI ou l'or papier se trouvant sur les comptes titres –, nous ne souhaitons pas être associés à leur liquidation. Cela irait au-delà de nos attributions. La liquidation de titres, surtout lorsqu'ils ne sont pas négociés sur un marché réglementé, nécessite la mise en oeuvre d'une procédure lourde, supposant un coût et une responsabilité qu'il n'appartient pas à la banque de supporter.

Enfin, je rappelle que les comptes inactifs ne sont pas morts : il faut les surveiller pour éviter tout risque de fraude interne ou externe, ainsi que faire attention aux mouvements non autorisés et les rejeter. Leur suivi et leur gestion nécessitent de nombreuses interventions humaines qui ont un coût. En outre, ces comptes exigent un stockage informatique et doivent être isolés pour être inscrits dans une rubrique spéciale. Cela étant, leur coût est assez raisonnable dans la mesure où il se situe entre 0 et 100 euros par an – sachant que la matière n'est pas réglementée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion