Intervention de Gilles Bouvenot

Réunion du 3 octobre 2012 à 9h00
Commission des affaires sociales

Gilles Bouvenot, président de la commission de la transparence :

Tout à fait, vous êtes plus prudent que moi. Le Multaq, utilisé dans le traitement de l'arythmie cardiaque, est une dronédarone, c'est-à-dire une cordarone désiodée, ce qui laisse espérer qu'il n'affecte pas la thyroïde, contrairement à la cordarone chez certains sujets. Si le projet partait d'une bonne intention du laboratoire, le dossier du Multaq fait état d'un essai comparatif avec l'ancien produit où il se révèle moins bon que celui-ci. Face à cela, la commission de la transparence agit comme si l'index thérapeutique relatif était en vigueur. Concluant que le nouveau produit est inférieur, elle ne l'admet pas au remboursement. Ce n'est pas incohérent avec le fait qu'il ait reçu une autorisation de mise sur le marché. Le Multaq la mérite sans nul doute car ses bénéfices l'emportent sur ses risques. Mais la commission de la transparence, elle, a pour rôle de n'admettre au remboursement que les produits les meilleurs. Vu les incidences économiques et financières de ses décisions, cette mission ne peut être remplie que par une structure que le législateur a voulu en 2004 totalement indépendante. Il n'y a aucune incohérence pour un nouveau médicament à posséder une autorisation européenne de mise sur le marché et n'être pas admis au remboursement dans notre pays. C'est tout simplement qu'il n'est pas assez efficace ou pas plus efficace que les produits existants.

S'agissant des pilules contraceptives de troisième génération, je ne peux que confirmer les propos de Jean-Luc Harousseau. Nous n'avons jamais dit qu'elles devaient être retirées du marché. Outre qu'une telle décision de toute façon ne nous incomberait pas, nous ne souhaiterions pas ce retrait. Mais les comparant à celles de deuxième génération, nous avons constaté que le risque de phlébite et d'embolie pulmonaire était doublé. D'où notre avis de ne plus les admettre au remboursement. Il faut d'ailleurs souligner que beaucoup de fabricants n'avaient pas sollicité leur inscription au tableau des spécialités remboursables afin de pouvoir en fixer librement le prix. Nous n'en aurions jamais proposé le déremboursement si les pilules de deuxième génération n'avaient pas existé, sans compter qu'il existe d'autres moyens de contraception. La ministre de la santé a reporté la décision de déremboursement au 30 septembre 2013, souhaitant que la Haute Autorité procède à une revue d'ensemble des moyens contraceptifs en même temps que l'ANSM réexaminera leur rapport bénéfices-risques. Bien que la commission de la transparence, qui se contente d'éclairer la décision publique, ne commente jamais les décisions de déremboursement, je dirai ici que nous avons apprécié le report de la décision car le danger n'est pas tel que les femmes qui prennent une pilule de ce type doivent arrêter immédiatement leur traitement. Je le redis, notre seule préoccupation est que ne soient proposés au remboursement que les produits les meilleurs.

Je n'ai aucune légitimité pour m'exprimer ni sur l'Agence européenne du médicament ni sur son homologue française. Leurs relations sont ce qu'elles sont. Simplement n'oublions pas que les décisions d'autorisation de mise sur le marché sont désormais prises au niveau européen.

Pourquoi certaines de nos décisions tardent-elles ? Leurs incidences économiques et financières lorsqu'il s'agit d'évaluation des produits de santé sont telles que les firmes pharmaceutiques n'hésitent pas à déposer un recours devant le Conseil d'État dès qu'une occasion leur en est donnée, notamment si les procédures réglementaires n'ont pas été strictement respectées. Une fois que nous avons rendu un projet d'avis, elles ont le droit de le contester au terme d'une période dite contradictoire. Durant cette période, elles peuvent être auditionnées, éventuellement accompagnés de leurs propres experts. Lorsque nous rendons un avis mi-juillet, vu que la période contradictoire peut durer un mois et demi ou deux, il est quasi-certain, avec les congés d'été, que l'audition est reportée à septembre, ce qui peut donner l'impression que la décision définitive traîne. Soyez rassurée, madame la députée, il n'y a dans ces délais rien de dilatoire, en tout cas, ajouterai-je, faisant cette fois preuve de la même prudence que M. Bapt, de notre côté.

S'agissant des anti-arthrosiques que vous avez évoqués, oui, nous avons immédiatement demandé le déremboursement de l'un d'eux alors que nous attendons pour les autres les résultats d'une étude. Celui que nous pouvons donner l'impression d'avoir traité plus sévèrement est un produit qui, dans le cadre d'un essai comparatif, n'a pas apporté la preuve qu'il était au moins équivalent aux autres. Vu que nous sommes en période contradictoire, je ne peux en dire davantage – sauf à risquer un recours de la firme devant le Conseil d'État ! La commission de la transparence a voulu réévaluer ces médicaments pour voir s'il était toujours pertinent qu'ils soient remboursés mais aussi parce que les rhumatologues faisaient valoir qu'ils étaient surtout pris par des personnes âgées, auxquelles les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont vivement déconseillés vu leurs potentiels effets indésirables – hémorragie digestive, perforation de l'estomac, hypertension, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale. Nous nous sommes dit que si nous démontrions que la prise des anti-arthrosiques visés pouvait éviter aux sujets âgés de prendre ces anti-inflammatoires, il vaudrait peut-être la peine de ne pas les dérembourser. Les laboratoires, qui ont pris le sujet à coeur, ont mené une étude post-inscription tout à fait éclairante, qui n'aura vraisemblablement pas montré ce que tout le monde espérait dans l'intérêt des patients. Voilà donc pour ce qui concerne le Structum, le Chondrosulf et alii.

Mme Orliac déplore que nos concitoyens puissent parfois n'avoir pas accès à un médicament ayant obtenu une autorisation européenne de mise sur le marché et donc disponible dans les autres pays européens alors qu'il ne l'est pas en France au motif qu'il a reçu une AMSR 5. Permettez-moi de vous dire que les choses ne se passent pas tout à fait ainsi. Lorsque la commission de la transparence donne une ASMR 5 à un produit, elle n'est pas défavorable à son remboursement, elle dit simplement que, comme il n'apporte pas de progrès, il doit, aux termes mêmes du code la sécurité sociale, coûter moins cher. Pour autant, vous n'avez pas tort, madame Orliac : ce que vous regrettez arrive parfois. La négociation entre la firme et le Comité économique des produits de santé peut en effet achopper et si la firme refuse le prix qu'on lui propose, elle peut décider de ne pas commercialiser le produit.

Je souhaiterais ici appeler solennellement l'attention de la représentation nationale : la commission de la transparence ne peut pas servir de variable d'ajustement dans la politique du médicament. Cette commission rend, comme l'a dit le président Harousseau, des avis strictement médico-techniques, fondés sur des arguments scientifiques. C'est le cas de l'avis qu'elle a rendu sur saisine du directeur général de la santé au sujet des pilules de troisième génération. Je n'ai aucune réticence à dire que le collège de la Haute Autorité aurait pu ou aurait dû se prononcer après les commissions compétentes. Seulement il se trouve que ce n'est pas lui qui a été interrogé, mais la commission de la transparence. Les pouvoirs publics souhaitaient sans doute tirer eux-mêmes les conséquences de notre avis, en prenant en compte diverses considérations d'ordre sociétal et éthique. Ils ont d'ailleurs fait connaître très vite leur décision, le soir même de notre rendu d'avis.

Sommes-nous plus sévères en France que ne l'est l'Agence européenne du médicament ? Je ne sais. Toujours est-il que l'égalité d'accès aux soins entre les différents pays européens me paraît satisfaisante. Je souligne ici, sans nul chauvinisme, qu'en matière de médicaments, y compris pour les maladies orphelines, la France est « bonne mère », pour reprendre une expression de votre ancien collègue Yves Bur. Nous n'avons vraiment pas à rougir. Je n'ai pas connaissance d'un seul cas où un médicament de valeur exceptionnelle serait disponible dans un autre pays européen et ne le serait pas en France. Si d'aventure le cas se présentait, je demanderais à savoir pourquoi et je pense que la situation ne serait pas imputable à la Haute Autorité.

Un tiers de nos concitoyens aurait, dites-vous, dû renoncer à des soins. La commission de la transparence, qui veille à ne céder à aucune des nombreuses pressions qui s'exercent sur elle, de la part des associations de patients, des professionnels de santé ou des industriels du médicament, a pleinement conscience des conséquences de ses avis. Mais je ne vois pas d'exemple de maladies sérieuses qui ne seraient pas prises en charge et dont ceux de nos concitoyens qui en sont atteints ne pourraient être soignés. Des traitements qui coûtent jusqu'à 12 000 euros par an et par personne sont disponibles sans rationnement pour ceux qui en ont besoin.

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