Intervention de Denis Masseglia

Réunion du 3 octobre 2012 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français :

Premièrement, s'agissant de l'éthique et de l'intégrité du sport qui sont à la base de l'action de tout dirigeant sportif, il faut commencer par bien distinguer l'affaire des paris truqués – due à une certaine stupidité, osons le mot – et les jeux en ligne où opèrent des réseaux mafieux. Il y a 205 comités nationaux olympiques affiliés au CIO, mais 15 pays seulement se sont dotés d'une instance de surveillance des jeux en ligne. C'est dans les autres que sont faits les paris qui peuvent influencer des épreuves se déroulant en France ou en Europe. C'est pourquoi il faut se doter de règles internationales, prévoyant des sanctions en cas de manipulation. Il faut saluer les progrès accomplis en vingt ans en matière de dopage, et s'inspirer de l'AMA pour établir une coopération internationale. Mais il faut mesurer les difficultés. Le CIO a pris le problème en main, mais il a aussi le devoir de fédérer… Vouloir brûler les étapes peut faire perdre du temps. Je peux vous assurer que les paris en ligne préoccupent le président Rogge et les membres du CIO.

Toutefois, la volonté du mouvement sportif ne suffira pas ; il faut associer les États, les forces de police, Interpol… L'influence des réseaux mafieux constitue une véritable menace pour l'intégrité du sport. À côté, le reste ne représente pas grand-chose. Un incident de parcours ne doit pas faire oublier l'extraordinaire engagement du mouvement sportif au bénéfice de la jeunesse, et même du reste de la population. Le sport n'échappe pas aux maux de la société. Il y a, de temps en temps, des sportifs qui ne respectent pas les règles. Dans ce cas, il faut des sanctions pour que cela ne se reproduise pas.

D'autre part, le CIO et quelques fédérations internationales ont autorisé certains signes distinctifs parce qu'ils ont jugé préférable que des femmes participent, même voilées, plutôt que de rester à l'écart à cause de la culture de leur pays. Une position rigide aurait conduit à une non-participation, qui se serait traduite concrètement par une fermeture. Je n'exprime pas le point de vue du Comité français, j'explique celui du CIO.

Deuxièmement, la transversalité du sport : heureusement qu'il n'y a pas que le sport de haut niveau ! Je rêve que le sport ne soit plus considéré comme une charge. Après tout, le sport est excellent pour la santé de tous, pourvu qu'il soit adapté. Il est un formidable outil de cohésion sociale : dans un stade ou dans les vestiaires, tout le monde est à égalité. C'est en outre un moyen d'ascension sociale. Il contribue également au développement durable, et à l'éducation. C'est un de mes dadas d'ancien enseignant en physique, il faut combler le fossé entre l'école et le monde associatif. Il n'est pas normal que son rôle auprès des jeunes ne soit pas reconnu et qu'un club qui veut faire un peu de publicité en faveur des jeunes qui s'adonnent à la compétition ne trouve pas un relais naturel à l'école où, faut-il le rappeler, tous les enfants passent. Le monde sportif aussi participe à l'éducation.

Troisièmement, en ce qui concerne une éventuelle candidature française, Londres aura marqué une étape : il y aura un avant et un après. Dans leur film de présentation, les Britanniques avaient dit, par l'intermédiaire de Nelson Mandela, que les Jeux de Londres changeraient la façon de voir le sport au service de l'humanité. En le voyant, à Singapour, j'en avais eu la chair de poule et, à Londres, j'ai vérifié que ce message avait été traduit en actes. La ferveur du public témoignait de la volonté de se servir du sport pour améliorer la société. J'espère que cet enthousiasme dépassera les îles Britanniques.

Quand, après le vote sur la candidature d'Annecy, nous sommes revenus de Durban avec la gueule de bois, le conseil d'administration du CNOSF s'est réuni et a pris deux positions. D'abord, une candidature ne doit pas et ne peut pas ne pas s'appuyer sur un projet. Le plaisir d'organiser ne suffit pas et, au-delà même des équipements, il faut un projet sociétal. C'est ce que les Anglais nous ont montré et il faut s'en inspirer. Ensuite, il faut une action conjointe des trois acteurs impliqués, à savoir l'État, le territoire et le mouvement sportif. Il ne suffit pas d'une initiative prise par des élus qui mettent ensuite l'État et le monde sportif devant le fait accompli, sans leur laisser d'autre choix que de suivre. Enfin, on ne renonce pas en cours de route, même en cas de défection. Si l'on n'a pas arrêté en amont le financement et la gouvernance, et obtenu l'accord des trois parties, ce n'est pas la peine de se lancer.

Forts de notre expérience, nous avons demandé un rapport d'expertise qui ne peut être fait que par quelqu'un d'extérieur au système. Celui de la société Keneo qui devrait être remis fin octobre servira de base à notre réflexion. La suite dépendra des résultats des candidatures pour les Jeux de 2020, mais notre ambition olympique est intacte. Reste qu'il faudra être prudent et ne pas y aller la fleur au fusil.

Quatrièmement, comment améliorer le dispositif ? L'expérience m'a fait arriver à la conclusion qu'il n'y a pas de vérité absolue. La pensée unique n'est pas de mise en matière de sport. Au retour d'Atlanta, Francis Luyce, qui venait de prendre la tête de la fédération de natation, a hérité d'un système centralisé à Paris. Pour relever le niveau, il a d'abord limité l'accès à la haute performance : aux championnats du monde de 2001, il n'y avait que trois nageurs français. Il fallait montrer que l'objectif était difficile et que la participation se méritait. À Athènes, il y avait Laure Manaudou. Ensuite, une rupture s'est produite entre Pékin – une médaille d'or – et Londres – 4 médailles d'or – car on a misé sur un système décentralisé avec des entraîneurs de clubs qui ont des « écuries ». À Marseille, il y a une cinquantaine de nageurs, dont certains viennent des Pays-Bas, d'Espagne ou de pays du Maghreb, entre lesquels s'est instaurée une véritable émulation si bien que tout le monde est dans la piscine à cinq heures du matin. Nice suit le même schéma, comme Mulhouse ou Amiens. Et les entraîneurs de club conservent la responsabilité de leurs nageurs jusqu'à l'échéance finale. Le système a fait la preuve de son efficacité, mais l'INSEP, qui fonctionne sur une base centralisée, obtient aussi des résultats. L'athlétisme est organisé autrement encore. Renaud Lavillenie, qui a obtenu une médaille d'or, était entraîné par le titulaire d'un emploi précaire du conseil général du Puy-de-Dôme. Mahiedine Mekhissi est entraîné par un bénévole à Reims, comme Christophe Lemaître à Aix-les-Bains. Il est d'autres disciplines, comme le canoë où l'encadrement technique d'État donne d'excellents résultats. Conclusion : il n'y a pas de recette miracle. À chacun de trouver ce qui marche. Mais cela suppose une forme d'expertise extérieure qui s'appuie sur les expériences nationales et internationales et qui ne soit pas conduite uniquement par l'encadrement technique d'État.

Incidemment, je regrette que, sur les milliards du grand emprunt destinés à la recherche, aucun euro ne soit allé au sport. Or, c'est dans l'innovation et la recherche que se joue le futur de nos performances. Dans ce domaine aussi, les Anglais ont pas mal d'avance.

Concernant la place des femmes, Pékin constituait une régression exceptionnelle et je ne me l'explique pas. Londres marque le retour à la normale : les résultats sont à la hauteur de la capacité du sport féminin français.

Pour ce qui est de la présence des femmes dans les instances dirigeantes, il y a deux méthodes : des progrès à petits pas, au fur et à mesure que les sportives sont de plus en plus nombreuses et qu'elles ont envie de prendre des responsabilités. Si la commission des athlètes de haut niveau du CNOSF fonctionne comme elle fonctionne, elle le doit à une athlète, Isabelle Severino, qui s'est impliquée comme personne. Quand les femmes osent et prouvent qu'elles peuvent, elles peuvent faire école. Il y aura peut-être demain d'autres femmes présidentes de fédération, c'est même souhaitable, mais il faudra auparavant plus de présidentes de clubs, de comités régionaux ou de ligues… Quand les femmes auront, comme la plupart d'entre nous, gravi tous les échelons, elles y arriveront. Quant à accélérer le processus, les progrès ne sont pas évidents, mais la volonté y est.

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