Intervention de Thomas Thévenoud

Séance en hémicycle du 24 juin 2013 à 16h00
Hommage à aimé césaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Thévenoud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’exprime aujourd’hui devant vous sans avoir jamais connu Aimé Césaire, contrairement à plusieurs des orateurs qui m’ont précédé. Je ne l’ai pas connu en chair et en os : pour moi, Césaire est un homme de papier. Je salue, bien sûr, l’initiative de notre collègue Serge Letchimy, à qui je rends hommage. Avec ses mots à lui, le successeur de Césaire a dit l’amitié qui l’unissait au poète, à l’homme public et à l’élu de Martinique.

Comment connaître un poète en vrai ? Comment connaître la vérité d’un poète ? Où est la vérité d’un poète élu, d’un poète parlementaire ? Pour répondre à ces questions, il faut lire les mots de Césaire. Aimé Césaire était un homme de mots rares – pas de mots précieux, mais de mots rares. Pour toucher au surréalisme, au merveilleux, il empruntait ces mots au vocabulaire de la science et du vaste monde, il se nourrissait des mots de la botanique, de l’astrologie, de l’agronomie, de la faune et de la flore, et d’abord des mots de son île, car Aimé Césaire était avant tout un îlien.

Sa poésie est une poésie de l’enfermement, des limites, des rivages qu’il faut quitter, et une poésie du retour au pays natal. Avec ses mots, il désigne par exemple « les rhagades de nos lèvres d’Orénoque désespéré », il identifie les marques « plus butyreuses que des lunes » de nos visages, il nomme les « haïsseurs », les bâtisseurs, les traîtres, les Hougans, il « force la membrane vitelline » qui nous sépare de nous-mêmes. Ses mots, il les recopie dans les dictionnaires et les encyclopédies de la bibliothèque de l’Assemblée nationale, et c’est sur du papier à en-tête bleu-blanc-rouge que naissent les brouillons de ses poèmes.

Cet homme de mots était aussi un homme de dissidence, pour reprendre l’expression par laquelle on désigna, aux Antilles, ceux qui défièrent le pouvoir pétainiste, le nazisme et son supplétif zélé, le fascisme colonial d’occupation. C’est l’appel de 1941 qui ouvre le premier numéro de la revue Tropiques et qui marque l’avènement du discours chez le poète. Avant même d’être élu pour la première fois en 1945, Césaire appelle à la mobilisation collective : « Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n’importe lesquels d’entre ses fils. Les plus humbles. L’Ombre gagne. Ah ! tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder en face ! Les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière, mais il n’est plus temps de parasiter le monde, c’est de le sauver plutôt qu’il s’agit. Il est temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme. »

Cet appel de 1941, qui était le premier texte publié d’Aimé Césaire depuis le Cahier parisien de 1939, est capital pour comprendre son oeuvre, son engagement et son action à venir. L’appel de 1941, c’est l’ouverture au combat internationaliste, c’est la naissance d’un peuple qui se lève, qui s’exprime et qui se crée, c’est le prolongement du message, des valeurs, de l’universalisme des valeurs de la Révolution française. Si celle-ci est un bloc, elle se perpétue, aujourd’hui encore, dans les combats que nous menons, ici et maintenant, pour la laïcité et pour la liberté. Parlons-en, de la laïcité et de la liberté, en rappelant ces mots de Césaire dans Les Armes miraculeuses : « Mais Dieu ? comment ai-je pu oublier Dieu ? je veux dire la Liberté. »

Et si la vérité de la politique résidait dans les mots choisis par les poètes, les mots choisis par les poètes parlementaires ? À l’heure où, tous, nous nous interrogeons sur la vérité en politique, cette question mérite d’être posée. Sinon, pourquoi faire de la politique au moyen de la poésie ? D’autres que Césaire s’y sont engagés, notamment ses frères d’élection Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor, mais aussi d’autres, plus anciens – je pense à Alphonse de Lamartine, qui partageait, avec Aimé Césaire, le goût du lyrisme poétique et le refus de l’esclavage ; je n’oublie pas que l’un des derniers à avoir défendu Alphonse de Lamartine ici même, à cette tribune, fut Victor Schoelcher, à qui l’on doit l’abolition de l’esclavage. La Deuxième République, qui vit l’abolition de l’esclavage, fut aussi celle qui agrandit la démocratie.

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