Intervention de Jean-Claude Fruteau

Séance en hémicycle du 24 juin 2013 à 16h00
Hommage à aimé césaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Fruteau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cent ans presque jour pour jour après la naissance d’Aimé Césaire, notre assemblée examine une proposition de résolution qui entend exprimer notre attachement à l’héritage de cet homme de lettres qui, pendant de nombreuses années, fut également notre collègue.

Exprimer notre attachement à son oeuvre littéraire et politique est toujours nécessaire, tant les valeurs qu’il a portées et défendues résonnent encore. Face à la montée des extrêmes, de l’indifférence sociale, de la xénophobie et de l’intolérance, nous devons nous battre pour que la diversité soit une ressource, une force qui nous permette de construire un avenir commun, respectueux des pratiques culturelles, des croyances et des coutumes qui façonnent notre identité.

L’outre-mer a trop longtemps souffert de la condescendance, voire du mépris de la « métropole » à l’égard de ses cultures. Aimé Césaire, chantre de la négritude, a défendu toute sa vie le pluralisme face à l’aliénation culturelle profonde des élites – ou soi-disant telles – qui, en Martinique, privilégiaient les références provenant de la métropole coloniale.

À La Réunion, nous aussi avons subi cette aliénation culturelle. Pendant des dizaines d’années, nos artistes populaires, Gramoun Lélé ou Firmin Viry, ont dû se cacher dans les champs de canne à sucre pour chanter notre chant traditionnel, le Maloya. Et pendant ce temps là, à l’école, les professeurs nous enseignaient que nos ancêtres étaient les Gaulois et nous interdisaient de parler le créole, notre langue maternelle.

L’élection de François Mitterrand en 1981, avec le formidable vent de liberté qui a soufflé sur les médias, a mis un terme à ces errements. Le pluralisme culturel nous rassemble car, malgré nos différences, il contient un socle commun qui nous permet de faire société. Le pluralisme culturel est aussi une richesse inestimable, notamment dans l’exercice des responsabilités, qu’elles soient individuelles ou collectives, mais qui ne doit absolument pas tomber dans le travers du folklore ou du communautarisme. Face à des situations de détresse sociale dans nos territoires, nous devons et nous savons faire preuve de créativité. Mais cette créativité doit pouvoir s’exprimer dans l’unité de la République.

La capacité d’expérimentation de nos territoires doit être renforcée et des réponses spécifiques doivent être apportées, compte tenu des défis que nous avons à relever, de notre situation géographique, de notre éloignement, de notre environnement régional, de nos climats. Cette différenciation de l’action publique n’est pas incompatible avec les valeurs de la République. Néanmoins, trop souvent par le passé, cette différenciation a été appliquée dans le mauvais sens, pour nous priver de l’accès au droit commun, alors même que nous étions censés être des Français à part entière ! Ce temps-là est révolu et j’espère qu’il le restera !

Aujourd’hui, avec l’examen de cette proposition de résolution, nous voulons réaffirmer l’idée selon laquelle le vivre ensemble ne peut avoir de sens et d’avenir que dans le respect des différences et des identités, un respect qui les valorise. Si la culture distingue, il ne faut pas oublier que c’est elle aussi qui rapproche. Les différences ne doivent pas être des problèmes ; elles doivent permettre, au contraire, d’inventer des solutions.

Dans un monde qui s’accélère, où les repères sont toujours plus flous, nous ne savons pas exactement où nous devons aller. Mais nous ne devons en aucun cas oublier d’où nous venons. Un monde sans culture, sans mémoire et sans histoire, c’est un monde qui n’est promis à aucun avenir. Aimé Césaire l’avait bien compris.

On me pardonnera de conclure cette intervention en évoquant une expérience personnelle. A l’occasion des élections européennes de 1999, j’ai eu l’insigne honneur d’être reçu par Aimé Césaire dans sa mairie de Fort-de-France. J’ai été frappé par l’extraordinaire simplicité de ses manières et de son accueil et par la profondeur de ses analyses.

Cela fait maintenant cinq ans que cette immense voix s’est éteinte, mais elle résonne encore dans la tête et dans le coeur des femmes et des hommes d’outre-mer et du monde entier, comme un signal, comme un appel à refuser toute domination, comme une marche à suivre vers la liberté, qu’elle soit individuelle ou collective. C’est avec une émotion toute particulière que je voterai cette proposition de résolution.

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