Intervention de Benoît Hamon

Séance en hémicycle du 24 juin 2013 à 16h00
Consommation — Présentation

Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le 2 mai dernier, avec Pierre Moscovici, nous avons présenté en Conseil des ministres le projet de loi relatif à la consommation que vous allez examiner. C’est un honneur pour moi, à la suite du ministre de l’économie et des finances, d’ouvrir la discussion générale sur ce projet porteur de plusieurs ambitions.

Je veux commencer par situer ce texte dans deux contextes. Le premier est économique, le second politique.

Le premier contexte est celui d’une société de consommation de masse dans une Europe minée tant par la dette que par la modération des salaires, la montée du chômage et des inégalités sociales. Comment évoquer la consommation sans évoquer le pouvoir d’achat, qui a reculé en 2012 et 2013 ? Le Gouvernement veut inverser cette tendance par une politique de l’emploi, mais aussi par la réduction des dépenses contraintes des familles. Le texte que nous discuterons aujourd’hui, après la loi bancaire présentée par Pierre Moscovici et avec l’encadrement des loyers proposé par Cécile Duflot, redonnera du pouvoir d’achat aux Français.

Mais, si une partie du bonheur de nos concitoyens dépend de leur pouvoir d’achat, nous savons aussi que ce bonheur ne se résume pas au pouvoir d’achat. L’examen de ce projet de loi nous invite à aller un peu plus loin dans la réflexion et l’action. Depuis de nombreuses années, le progrès signifie souvent posséder plus. Est-on aujourd’hui plus heureux parce que l’on possède le smartphone dernier cri, le dernier modèle d’écran plat ou la dernière berline toutes options ?

À cela, l’économiste américain Richard Easterlin a répondu non, et quiconque s’intéresse aux questions de consommation connaît les travaux remarquables de cet économiste : il a mis en évidence le paradoxe qui porte désormais son nom, et qui démontre que l’augmentation du PIB n’entraîne pas forcément l’augmentation du bonheur. Le paradoxe d’Easterlin a ainsi été récemment décelé dans l’augmentation du nombre de Chinois insatisfaits de leur vie, passé de 14 % à 37 % de la population, selon l’institut Gallup, alors que le PIB par habitant a été multiplié par 2,5 au cours de la même période. Le paradoxe d’Easterlin se fonde sur une réalité vieille comme l’humanité, qui n’a pas attendu la civilisation de la consommation de masse pour faire réfléchir les philosophes et les économistes.

L’être humain est un être de comparaison, et son bonheur n’est pas forcément corrélé à ce qu’il possède ou à sa richesse en valeur absolue, mais à la satisfaction qu’il tire de l’examen de sa situation comparée à celle de ses semblables – ce que Tocqueville résumait ainsi dans De la démocratie en Amérique : « Dans la confusion des classes, chacun essaie de paraître ce qu’il n’est pas et se livre à de grands efforts pour y parvenir. Pour satisfaire ces nouveaux besoins de la vanité humaine, il n’est point d’imposture auxquels les arts n’aient recours ». Remplacez les arts par le marketing ou la publicité, et vous aurez la révélation éclatante de l’actualité de ces observations faites par Tocqueville dans l’Amérique du XVIIIe siècle.

Ces réflexions font également écho à l’ouvrage remarquable de Jean Baudrillard sur La Société de consommation – véritable bible pour tous ceux qui s’intéressent à la consommation – dont la thèse est relativement simple : pour les sociétés occidentales est devenue la consommation un moyen de différenciation et non de satisfaction. L’auteur précise que l’homme vit dans et au travers des objets qu’il consomme ; mieux même, ce sont les objets qui nous consomment.

En clair, l’herbe est toujours plus verte dans le champ du voisin. C’est bien connu, l’envie et le désir ardent de paraître sont parmi les moteurs les plus sûrs des désirs de consommation des individus ; les marques agissent sur ces ressorts.

Ces principes ont ils résisté à la crise économique majeure qui traverse l’Europe depuis plusieurs années ? Oui. Comment ? Grâce à l’économie low-cost, promue et encouragée en Europe, notamment par plusieurs gouvernements libéraux et conservateurs européens, et qui s’étend à des aspects de plus en plus nombreux de la consommation des ménages. À entendre ceux-ci, ce modèle résume l’intérêt général européen au développement de la consommation de masse. Or quand les revenus sont comprimés par la crise ou par l’augmentation de la rémunération du capital au détriment des salaires, maintenir une consommation de masse passe par l’économie low-cost.

Ainsi, depuis dix ans, nous sommes passés du textile low-cost au téléphone low-cost, aux vacances low-cost – trajets en avion compris – et à l’alimentation low-cost. Hard discounters, casseurs de prix et autres enseignes à tout petits prix se sont multipliés sur le marché européen, comme pour entretenir l’illusion d’une démocratie économique où tous les biens, tous les services seraient accessibles à tous et à tous les prix.

Mais ce modèle a justement un prix, celui du démantèlement méthodique des modèles sociaux européens. Car quand le consommateur arbitre systématiquement en faveur du prix le plus bas, il encourage évidemment la réduction des coûts de production, donc du coût du travail, donc du financement de la protection sociale par les entreprises. Le consommateur qui n’a pas d’autre choix que de consommer low-cost en raison de son faible revenu, arbitre contre son intérêt de salarié et de futur retraité. C’est là la cruelle ironie de cette prétendue démocratisation de l’accès aux biens et aux services. Dans la tromperie à la viande de cheval ou dans le dumping social de certains abattoirs qui embauchent, en Europe, des salariés payés 4 euros de l’heure, soit 720 euros à temps complet par mois, on mesure le coût économique et social de ce système pour le salarié européen mais aussi, comme nous l’avons vu dans l’affaire de la viande de cheval, pour le consommateur européen qui perd légitimement confiance dans la qualité de ce qu’il achète et de ce qu’il consomme.

Cela me permet de vous dire, dès cette étape, ce que ne sera pas cette loi et ce qu’elle sera un peu.

Cette loi n’est pas une loi de libéralisation tous azimuts du marché français au motif qu’en toute chose et en toutes circonstances, la concurrence serait le meilleur système économique qui soit. Les secteurs où ce texte renforcera la concurrence, ce qui montre notre absence totale de dogmatisme sur ce point, sont pour l’essentiel les secteurs des dépenses contraintes des Français, ces dépenses incompressibles qui diminuent ce que l’on appelle le revenu arbitral disponible, c’est-à-dire ce qu’il reste d’argent à dépenser librement une fois toutes les factures payées.

Notre ambition est à plus long terme. Ce texte de loi échafaude des réponses nouvelles et ouvre le débat sur les changements d’attitude indispensables pour encourager une consommation plus responsable et plus durable. Il structure l’ambition, qui ne se réduit pas à cette loi, qui consiste à ne pas laisser croire qu’une société de consommation avec des acteurs, sans régulation ni contre-pouvoir, sera le moteur du progrès. C’est la raison pour laquelle cette loi donnera des pouvoirs nouveaux aux consommateurs en France.

Le pouvoir, c’est l’élément de contexte politique que je veux évoquer devant vous avant de détailler les propositions concrètes de ce projet de loi.

Permettez-moi de revenir quelques minutes sur ce qui s’est passé ce week-end à Villeneuve-sur-Lot et sur la dynamique électorale de l’extrême droite. Qu’est-ce que cela a à voir avec un texte sur la consommation, me direz-vous ? Je vais essayer de vous donner mon avis sur le sujet. Nous vivons dans une société où nos concitoyens enchaînent les épreuves. Chacun sait que l’existence n’est pas un long fleuve tranquille. Mais il n’y a rien de plus désespérant que de subir sa vie comme une succession d’épreuves sur laquelle on n’a ni contrôle ni maîtrise. Quand l’absence d’horizon personnel rencontre l’absence d’horizon collectif incarné par l’échec répété des gouvernements depuis plus de dix ans à lutter contre le chômage, la tentation de la grande lessive est forte. La dynamique de l’extrême droite se nourrit d’abord de ce désespoir.

Comme ministre – et je pense que Pierre Moscovici partage mon point de vue –, je sais que dans quatre ans nous n’aurons pas éliminé tout le chômage, toute la pauvreté, toutes les inégalités !

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