Intervention de Marcel Rogemont

Séance en hémicycle du 24 juillet 2013 à 15h00
Indépendance de l'audiovisuel public — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcel Rogemont, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation :

Laissons de côté ces arguties pour rappeler l’essentiel : le texte de loi que vous nous proposez, madame la ministre, est responsable et audacieux.

Il est responsable, car il propose de mettre à distance du politique les nominations des présidents de l’audiovisuel public. Nous redonnons au CSA ce pouvoir de nomination. Et pour garantir l’indépendance, nous réformons les dispositions gouvernant les nominations de ses conseillers.

Il est audacieux, car il propose tout simplement de tenir compte du fait qu’ici comme au Sénat, il y a une majorité et une, ou des, minorités. C’est un progrès démocratique que de faire appel à ces minorités pour désigner les membres du CSA. En effet, les décisions prises par les présidents de l’Assemblée et du Sénat devront recevoir l’avis conforme des commissions compétentes à la majorité des trois cinquièmes, associant dès lors nécessairement la ou les minorités à la décision.

C’est un progrès démocratique nouveau et important dans la Ve République que de ne pas confondre majorité et unanimité. C’est un gage d’indépendance supplémentaire pour le CSA, et donc pour l’audiovisuel public en ce qui concerne la régulation et les nominations.

Sur ce dernier point, il est souhaitable que les présidents puissent rester en place plus longtemps qu’un seul mandat ou qu’une fraction de mandat. Ainsi, alors que je n’étais pas des plus ardents défenseurs de la nomination de M. de Carolis à la tête de France Télévisions, j’estime que cette société aurait gagné à conserver son président un mandat de plus.

Il me semblerait souhaitable que la reconduction du mandat soit plus souvent au rendez-vous. Il n’est qu’à décompter les présidents de l’audiovisuel privé et ceux du public pour comprendre qu’un peu de constance dans les responsabilités ne nuit pas.

J’entends que les pouvoirs du Parlement seraient affaiblis par ce texte. Qu’en est-il vraiment ?

Les conditions de son exercice dans le cadre de la loi de 2009 sont telles que personne ne peut raisonnablement exciper de cet argument. Je rappelle que les commissions étaient saisies pour avis sans que celui-ci n’engage l’autorité chargée de la nomination, d’une part, et qu’un avis contraire devait recevoir la majorité des trois cinquièmes, d’autre part. Chacun s’accordera à reconnaître qu’une telle majorité était et reste improbable. Le pouvoir du Parlement sur les nominations des présidents n’était donc que de pure forme.

Même la commission spéciale en 2008 n’avait pas envisagé cette modalité. Elle proposait que le CSA suggère deux ou trois personnes au conseil d’administration de chaque société qui, in fine, nommait le président

Une fois qu’ils seront nommés, l’audition par les commissions compétentes des présidents des sociétés nationales de programmes sur leur projet stratégique confirmera le rôle du Parlement dans sa fonction de contrôle à la fois de l’exécutif et des opérateurs publics.

Dès lors, ce débat sur l’affaiblissement du rôle du Parlement est faible et ne prospérerait que pour atténuer l’audace démocratique de la majorité actuelle à faire confiance aussi à la minorité dans les décisions de nomination au Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Et le CSA dans tout cela ?

Le texte appelle notre attention sur ses pouvoirs de sanction, qui sont à mettre en conformité avec les règles européennes. Dont acte.

La commission vous propose, dans le cadre de l’affirmation de l’indépendance de l’audiovisuel public, d’examiner le fonctionnement du CSA à travers quelques questions.

D’abord, il s’agit de le doter d’une personnalité morale. Aujourd’hui, le CSA est une autorité administrative indépendante. La commission vous propose d’en faire une autorité publique indépendante. Il y gagnera une plus grande liberté de gestion et donc plus d’indépendance.

La commission souhaite que ce projet de loi soit aussi l’occasion d’approfondir les règles d’incompatibilité et de déontologie des membres du CSA.

Il s’agira d’examiner son fonctionnement en réaffirmant le principe de la collégialité et de limiter les interventions publiques de ses membres en dehors de cette collégialité. Il s’agira également de s’interroger sur le respect du principe de l’indépendance lorsqu’une personne conserve un lien avec une entreprise qu’elle est chargée de contrôler.

Par ailleurs, nous proposons d’approfondir la responsabilité économique du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Il nous semble en effet qu’il ne tient pas suffisamment compte de l’impact économique de ses décisions d’attribution de la ressource radioélectrique. Comment ne pas s’interroger, par exemple, sur le lancement de six nouvelles chaînes gratuites en haute définition, dans un contexte de ralentissement du marché publicitaire ? Comment ne pas s’interroger sur l’attribution d’une fréquence pour la chaîne CFoot, qui n’aura émis que durant quelques mois ?

De même, comment justifier l’attribution d’une fréquence à une société qui a fait faillite avant même d’émettre le moindre signal, comme ce fut le cas de la chaîne Select TV ? Nous nous sommes donc attachés à ce que les notions d’étude d’impact et de motivation des décisions deviennent la règle au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Si la conjoncture n’est pas favorable, il sera explicitement autorisé à différer le lancement d’appel à candidature. Il conviendra dès lors qu’il soit attentif à exposer aux commissions compétentes, lors de la présentation de son rapport, le suivi des décisions d’un point de vue économique. J’attends par exemple que le CSA se justifie sur les décisions que je viens d’évoquer.

Enfin, le texte est l’occasion d’affirmer l’indépendance de l’audiovisuel public en revenant sur les textes relatifs à la publicité faite par France Télévisions. L’indépendance de l’audiovisuel public et plus encore la nécessaire prévisibilité de la gestion, en particulier pour la régie publicitaire, qui est un élément de stabilisation d’un projet, suppose également des garanties de ressources. Ce projet de loi est l’occasion de faire un choix définitif sur le sort de la publicité en journée.

En effet, la décision prise le 8 janvier 2008 par le Président de la République de supprimer la publicité en soirée, puis en journée avait surpris tout le monde, y compris le ministre et les députés de la majorité comme de la minorité. Pour le téléspectateur, deux conséquences étaient attendues : faciliter le virage éditorial et avancer les programmes de première et de deuxième partie de soirée. Comme on pouvait s’y attendre, la réforme a déstabilisé le service public sans conduire à une rénovation de son modèle culturel ni à l’avancement espéré des programmes.

En soumettant le groupe à un financement de l’État, donc à la tutelle politique, la loi réduisait l’indépendance financière de France Télévisions.

La précédente majorité s’était engagée à respecter un deuxième principe : la mise en place de deux taxes, compensées à l’euro près. Force est de constater, comme nous l’avons vu en commission, que le coût de l’opération pour le budget de l’État se monte à 745,7 millions d’euros. C’est quand même beaucoup, et si cette décision était prolongée en journée, il en coûterait 350 millions supplémentaires chaque année. La loi du 5 mars 2009 avait prévu la suppression complète de la publicité en 2011. Cela a été reporté en 2016. Il est grand temps aujourd’hui, pour favoriser l’indépendance du groupe mais plus encore la visibilité de ses ressources, de clore le débat. La commission vous propose donc la suppression du dispositif visant à faire disparaître la publicité en journée au 1er janvier 2016. Je rappelle que cela coûterait au budget de l’État 350 millions d’euros supplémentaires.

Ainsi, la commission ne vous propose pas de revenir à un financement reposant uniquement sur la redevance et la publicité, comme ce fut le cas pendant des années, mais bien d’affirmer l’indépendance de l’audiovisuel public par rapport au pouvoir politique, tout simplement. Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui est un texte audacieux, qui réaffirme à la fois le principe de démocratie et la nécessaire force de notre politique audiovisuelle. Grâce à lui, nous nous inscrivons dans une volonté politique tendant à davantage de transparence, de cohérence, de légitimité et de responsabilité partagée.

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