Intervention de Rudy Salles

Séance en hémicycle du 12 juin 2013 à 15h00
Respect de l'exception culturelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRudy Salles :

Monsieur le président, madame la ministre du commerce extérieur, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le président des affaires culturelles, je veux à mon tour saluer Jack Ralite, ardent défenseur de la culture, qui nous fait l’honneur et le plaisir d’assister à nos débats, et commencer mon intervention en souhaitant un joyeux anniversaire à tous ceux de mes collègues qui ont été élus comme moi le 12 juin 1988, il y a vingt-cinq ans – je ne sais pas si nous sommes très nombreux. Quoi qu’il en soit, je suis heureux et fier que ce débat sur l’exception culturelle se tienne ce jour, car nous sommes au coeur de ce qui constitue l’exception française.

L’exception culturelle est sans doute la seule exception qui fasse l’unanimité.

L’unanimité, dans notre pays comme dans nos travées, est si rare qu’elle en deviendrait presque suspecte. Mais, à la façon de la République assiégée, cette unanimité est fragilisée au sortir immédiat de nos frontières.

Naturellement, une première question affleure : serait-ce là un combat d’arrière-garde, que l’esprit du temps rendrait définitivement ringard et dérisoire ? Ou bien s’agit-il d’un enjeu à l’issue capitale ?

Nous avons été stupéfaits, nous aussi, du choix délibéré de la Commission de ne pas respecter cette règle, jusqu’alors toujours observée en matière de négociation commerciale, qui consiste concrètement à ne pas inclure les services culturels et, surtout, audiovisuels, au fondement de l’exception culturelle européenne.

Mais au fond, ce n’est pas si surprenant.

Il est vrai qu’à certains égards, et à l’égard de certains, le concept d’exception culturelle est devenu une formule consacrée et caricaturale d’une politique culturelle inspirée par la France.

Vanité hexagonale ou peur gauloise pour ceux qui n’y croient pas et s’étonnent qu’un pays qui se fait, disent-ils, une idée si haute de lui-même, adopte des attitudes aussi crispées. Les mêmes font également mine de s’étonner qu’un tel pays prétende imposer à l’Europe des valeurs qui semblent un mélange d’étatisme et de corporatisme et affichent, avec une fausse candeur, leur étonnement de voir des créateurs revendiquant tout à la fois leur espace de liberté et aspirant à se lover docilement derrière des protections et des barrières. À ceux-là, je voudrais préciser deux ou trois choses.

Cette idée d’exception n’est pas nouvelle et elle n’est pas spécifiquement française.

C’est en 1917 que, pour la première fois, un dispositif juridique est élaboré pour contrôler l’importation de films étrangers. Le cinéma européen voit en effet déjà pointer la menace américaine, avec ses comiques et ses westerns muets. Mais cette initiative, ce n’est pas la France qui la prend : c’est l’Allemagne, s’inspirant des thèses, exposées vers 1830 par Friedrich List, sur le « protectionnisme éducateur ». En 1927, c’est au tour de la Grande-Bretagne d’instituer des quotas à l’importation qui obligent les salles de cinéma à offrir au public un pourcentage déterminé de films nationaux.

En France, ce n’est vraiment qu’en 1946 qu’une démarche de cette nature est engagée avec les accords de Washington, signés le 28 mai, dits accords Blum-Byrnes, qui apportent à la France un prêt de 650 millions de dollars à faible taux d’intérêt en contrepartie d’une abrogation de toute mesure douanière restrictive.

Plus tard, c’est vrai, dans les accords du GATT, puis de l’OMC, la France a été à la manoeuvre. Ce n’est pas tout à fait un hasard, car elle est le pays européen le plus concerné par l’industrie du cinéma. Mais la France, c’est aussi une balance culturelle qui, bien que tendanciellement excédentaire, est fragilisée par l’industrie culturelle. La compensation vient du solde commercial positif des oeuvres d’art. Autrement dit, faute d’une puissante volonté au service de l’exception culturelle et cinématographique, nous liquidons doucement notre patrimoine et nous fragilisons une contribution non négligeable des secteurs culturels et de l’audiovisuel au PIB européen, contribution qui excède 3 %. Vous avez, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, très précisément rappelé ces données économiques.

Cette fragilisation ne concerne pas seulement un secteur, que l’on pourrait classer parmi d’autres. Elle concerne, en fait, un certain état du monde auquel nous sommes bien amenés à réagir : un monde multipolaire où l’hégémonie bienveillante passe par l’importance stratégique des facteurs culturels, un monde où les facteurs de la puissance ont changé.

Désormais, la realpolitik de l’ère de l’information passe par l’établissement de normes technologiques, qui structurent l’infrastructure globale. Ce qu’ont réussi les États-Unis, c’est-à-dire mettre l’administration fédérale au service des entreprises dont le dynamisme et la réussite assurent la puissance collective, nous ne pouvons nous contenter de le constater. Nous le pouvons d’autant moins qu’une certaine façon de faire et même d’être est en cause ici. Est visé un modèle culturel qui s’efforce de proposer à chacun le plus large accès possible à la culture, qui s’efforce de proposer un soutien aux créateurs grâce à des dispositifs d’aide et à des mécanismes de rémunération de la création. C’est un modèle qui assure la promotion de la diversité.

Voilà pourquoi nous sommes unanimes sur ce point : il n’y a rien de polémique, en effet, dans un nymphéa de Monet, une mélodie de Fauré, un oiseau de Braque, un papier découpé de Matisse, un homme qui marche de Giacometti, un bocal de Morandi ou une composition de Rothko. J’aurais pu parler du cinéma, mais Marietta Karamanli, avec qui je prépare un rapport au sein de la commission des affaires européennes, en a déjà parlé. Cette diversité des créations correspond nécessairement à une diversité des exceptions, laquelle doit être respectée et sauvegardée.

Nous approuvons donc à 100 % cette proposition. Nous l’approuvons et nous sommes stupéfaits de cette décision communautaire qui semble confondre les chiffres et les lettres, mais qui, en réalité, se trompe aussi sur les chiffres… Vous le voyez bien, tout cela n’a vraiment rien à voir avec une forme de nationalisme culturel !

Mais pourquoi ne pas évoquer à cette tribune les choses sensibles, aussi tangibles que les démonstrations économiques ? Pourquoi ne pas dire que la culture est une dimension intérieure qui apparaît au moment de l’émotion, de l’émerveillement, du saisissement ? C’est une rencontre par laquelle chacun se trouve meilleur, plus intelligent, transporté plus haut par une impression, une association d’idées. Pourquoi ne pas dire que le législateur que nous sommes a vocation, si ce n’est à tout protéger, du moins à contribuer à ces moments de grâce ?

Pourquoi ne pas dire que ce dont nous parlons ici, c’est du plus beau et du plus insaisissable des objectifs d’une politique culturelle : celui de permettre au plus grand nombre de s’élever, de célébrer et de transmettre les valeurs d’une civilisation, d’une nation, en faisant partager le socle commun du patrimoine, les héritages esthétiques, les références visuelles qui font sens et qui ont une utilité sociale dans un monde toujours tenté par la distinction sociale, les marqueurs et les postures de différenciation ? C’est bien de cela qu’il est question ici ! Voilà pourquoi il y a un sens à considérer que les créations culturelles ne sont pas des oeuvres comme les autres, y compris du point de vue de l’intérêt général.

Il est vrai que, lorsque la convention de l’UNESCO est entrée en vigueur, le 18 mars 2007, la vidéo à la demande, la télévision de rattrapage, les jeux vidéo en ligne, la radio numérique ou la télévision connectée n’existaient pas encore. La musique en ligne, quant à elle, n’avait pas donné toute sa mesure. Enfin, l’audiovisuel, entré depuis dans l’ère du tout numérique, promet aujourd’hui aux oeuvres dématérialisées un rayonnement culturel non seulement local, mais aussi international. Il est également vrai que la diffusion des oeuvres par internet peut contribuer au rayonnement culturel des pays ou des continents, et nous n’avons aucune raison de nous en inquiéter, bien au contraire.

Faut-il pour autant sombrer dans une sorte de démagogie qui est en fait l’expression d’une psychologie de la résignation et de la soumission, un nouveau fatalisme ? Il est vrai que les canaux de diffusion de la culture se sont multipliés, et c’est tant mieux. Mais faut-il pour autant accepter les abus de position dominante, notamment sur internet ? Pourquoi accepterait-on, par exemple, que les mécanismes de référencement reconstituent sur la toile ce qu’ils produisent dans le monde physique, rejouant l’histoire éternelle du gros qui use de son pouvoir pour empêcher la croissance des petits ?

La fonction de l’État, c’est de protéger la culture quand elle repose sur des passionnés, sur des passeurs, sur le talent de gens qui ont « un oeil » ou « une oreille », sur les responsables de lieux de culture. Il relève donc du devoir moral de la puissance publique de dire non à ceux qui disent non à la culture. Fondamentalement, l’Europe s’oublie quand elle oublie la culture et l’industrie culturelle. Car l’Europe n’est pas seulement un négociateur commercial international qui dispose de la taille critique. L’Europe, c’est une culture et une conscience qui sont nées sur les ruines de la pire des barbaries ; c’est une aspiration à l’universel, bien loin de toute « ligne Maginot ».

En Europe plus que partout ailleurs, peut-être, la résignation n’est pas une politique. Mais la position défensive n’est pas non plus totalement satisfaisante. Comme l’observait le stratège chinois Sun Tseu, il y a plus de 2 500 ans, si elle permet de résister, elle n’offre jamais la victoire. Or, c’est un peu, avouons-le, la posture européenne. À l’inverse, la puissance permet de remporter des victoires, mais non d’emporter l’adhésion, ni d’assurer la paix. C’est la posture américaine. Alors, que devons-nous porter ?

Nous pensons que notre signature doit être celle de la diversité culturelle, que les enjeux culturels ont une dimension stratégique qui nous impose une approche adaptée au contexte de la mondialisation. Nous pensons qu’il n’existe aucune solution magique aux défis inédits que présente la mondialisation culturelle.

Nous le pensons, non pour des raisons égoïstes, mais comme une alternative au choc des civilisations. Au fond, nous sommes convaincus qu’au-delà de la présente résolution, l’enjeu est celui de l’élaboration de nouvelles formules politiques qui permettront de baliser les rapports de force en exploitant la réalité des interdépendances pour en faire un moteur de mobilisation.

Le groupe UDI adoptera cette proposition de résolution, mais nous espérons que la réflexion se poursuivra bien au-delà. En la matière, vous pourrez compter sur la contribution de l’UDI.

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