Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 11 septembre 2013 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Dussopt, rapporteur :

Les consultations organisées en octobre 2012, par le Sénat, préalablement à la réunion des États généraux de la démocratie territoriale, ont confirmé que l'amoncellement des normes réglementaires qu'ils doivent appliquer quotidiennement constituait pour les élus locaux un problème important. En effet, si l'édiction de règles répond à un besoin essentiel de sécurité technique et juridique, la surproduction normative est à l'origine de difficultés pour les collectivités territoriales en raison de la complexité des procédures et de coûts importants pour les budgets locaux.

Ce constat n'est malheureusement pas nouveau et a encore été mis en exergue tout récemment par le rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative, confiée à MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard. Celui-ci insiste plus particulièrement sur la nécessité, non seulement de limiter le flux des nouvelles normes, mais aussi de soumettre le stock des normes applicables dans notre pays à un réexamen généralisé. C'est la tâche à laquelle le Gouvernement s'est attelé depuis un an, dans le cadre des trois comités interministériels sur la modernisation de l'action publique

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des Lois du Sénat, ont élaboré la présente proposition de loi, avec à l'esprit la volonté de ne pas de balayer les progrès significatifs qui ont été réalisés ces dernières années, notamment grâce au commissaire à la simplification, à la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) et à la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES) : tous trois ont contribué, par le dialogue et la concertation, à une réelle évolution des méthodes de travail des administrations centrales. Au contraire, les auteurs de ce texte ont cherché à offrir à ces organes des compétences et des moyens renforcés pour étendre leur action, notamment en leur ouvrant la faculté de réexaminer le stock de normes existantes.

À l'occasion de l'examen du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, votre rapporteur avait proposé à l'Assemblée nationale d'adopter au sein de ce véhicule législatif les avancées adoptées par le Sénat, et notamment de faire du conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales une formation spécialisée du Haut Conseil des territoires. Cependant, le sujet de la maîtrise de la production normative, qui concerne tous les parlementaires, nécessite bien un examen spécifique plus approfondi. J'imagine que c'est la raison principale de l'inscription par le Gouvernement de cette proposition de loi à notre ordre du jour !

Je ne reviendrai que brièvement sur un constat qui est désormais partagé par tous les membres de notre Commission, qui ont pu prendre la mesure de la contrainte normative pesant sur les collectivités territoriales. Déjà en 1991, le Conseil d'État mettait en garde contre l'inflation des prescriptions et des règles, allant jusqu'à parler d'une « logorrhée législative et réglementaire ». Plus de vingt ans après, le constat est le même, illustré par de nombreux travaux : par exemple, le rapport de M. Claude Belot au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat sur les normes applicables aux collectivités territoriales, intitulé « La maladie de la norme » ; celui de M. Éric Doligé sur la simplification des normes applicables aux collectivités locales, qui a débouché sur une proposition de loi en cours de navette ; le rapport parlementaire au président de la République sur la simplification des normes au service du développement des territoires ruraux rédigé notamment par notre collègue Pierre Morel-A-L'Huissier, et enfin le rapport au Premier ministre de la mission de lutte contre l'inflation normative, déjà cité, qui préconise notamment d'étendre la compétence de la commission consultative au stock de normes.

Le poids des normes est considérable : on évoque le nombre de 8 000 lois et de 400 000 normes de toute nature, tant législatives que réglementaires, applicables par les collectivités territoriales.

Une telle prolifération est d'abord facteur de complexité, donc de difficultés d'application et partant d'inapplicabilité, au moins partielle. Elle a aussi un coût. Selon le rapport de M. Belot, « les 163 projets de normes de l'État, qui ont donné lieu à une évaluation en 2009, représentaient plus de 580 millions d'euros […] ; pour 2010, le coût des 176 projets évalués représentait 577 millions ». Au total, quelque 2,3 milliards d'euros étaient engagés fin 2011 par les collectivités territoriales pour assurer l'application des seules normes imposées entre 2009 et 2011.

Identifier les causes de cette inflation n'est pas aisée. Une première raison serait à rechercher dans la pratique, voire la « culture », des autorités susceptibles d'édicter des normes, notamment dans « l'incompréhension grandissante entre l'échelon central et le niveau local. […] La volonté de réformer, d'améliorer, de répondre à l'urgence médiatique pousse le législateur et les administrations centrales à l'élaboration constante de règles nouvelles. Cette croyance inconditionnelle dans les vertus de la norme, dans sa capacité à améliorer l'intérêt général favorise un certain zèle normatif. » Par ailleurs, la culture des autorités productrices de normes n'est pas, toujours selon M. Belot, sans lien avec l'état d'esprit d'une société « inquiète, voire angoissée, à la recherche du "zéro risque absolu" ».

Cette prolifération a aussi son origine dans la diversité des autorités susceptibles d'édicter des normes : l'État, comme législateur et comme autorité exerçant le pouvoir réglementaire, les autorités européennes, les organismes de droit privé détenteurs d'un pouvoir réglementaire, telles les fédérations sportives, ainsi que les collectivités territoriales elles-mêmes, par exemple lorsqu'elles édictent des clauses techniques dont le respect conditionne l'attribution de subventions.

Une troisième raison est liée à l'étendue des domaines susceptibles d'être concernés par l'inflation normative. Il est révélateur de ce point de vue que les secteurs qui semblent le plus souffrir de cette inflation aux yeux des élus locaux ne coïncident pas nécessairement avec ceux identifiés par les commissions permanentes du Sénat.

Il convient enfin de mentionner la question des normes applicables aux équipements sportifs. Selon Alain Richard, rapporteur de la présente proposition de loi au Sénat, « 80 % des infrastructures sportives françaises sont gérées par les communes et leurs établissements publics. En conséquence, les décisions prises par les fédérations sportives affectent directement la gestion des équipements sportifs locaux et, in fine, les budgets des collectivités territoriales. »

Une récente étude de l'Assemblée des Communautés de France relève que « les collectivités très impliquées dans le développement des clubs sportifs locaux se sentent bien souvent "prises en otages" par les exigences des fédérations nationales imposant régulièrement des améliorations des équipements ».

Face à ce constat, des réponses de nature organisationnelle ou législative ont déjà été apportées : le développement des études d'impact, consacrées par la révision constitutionnelle de 2008 ; la création en 2008 de la commission consultative d'évaluation des normes ; le moratoire imposé par le Premier ministre en 2010 sur l'adoption de mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales. La circulaire du Premier ministre en date du 17 juillet 2013 substitue au moratoire un « gel de la réglementation » : à compter du 1er septembre 2013, toute édiction d'une nouvelle norme devra s'accompagner de la suppression ou de l'allégement d'une norme ancienne.

Au-delà, le Premier ministre a proposé d'améliorer l'évaluation par l'administration de l'impact juridique et financier des projets de textes réglementaires qu'elle élabore. La démarche d'évaluation préalable concernera désormais l'ensemble des textes applicables aux collectivités territoriales, aux entreprises ainsi qu'au public. En outre, l'administration devra veiller à ce que les projets de transposition des directives européennes ne créent pas des normes plus rigoureuses en « surtransposant » les exigences européennes. Tout choix qui conduirait à la situation inverse devra être désormais expressément justifié et validé. Enfin, le pouvoir réglementaire devra respecter un principe de proportionnalité en laissant des marges de manoeuvre pour la mise en oeuvre ou en prévoyant des modalités d'adaptation aux situations particulières ». Au cours des trois réunions du Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP), le Gouvernement a rendu public un programme de simplification pour les années 2014, 2015 et 2016.

Le Parlement a aussi pris des initiatives en faveur de la simplification du droit : je voudrai ici rappeler les quatre propositions de loi étudiées sous la législature précédente à l'initiative du président Warsmann, mais aussi la proposition de loi Doligé en cours de navette, ainsi que le récent projet de loi destiné à habiliter le Gouvernement à adopter par ordonnances différentes dispositions relatives au droit de l'urbanisme.

La présente proposition de loi vise à renforcer l'évaluation préalable et a posteriori de la production législative. Elle prévoit ainsi de transformer l'actuelle commission consultative d'évaluation des normes en conseil national et de lui adosser la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs.

La composition du futur conseil national serait similaire à celle de la CCEN actuelle, en prévoyant toutefois un nombre de membres plus élevé. Afin de prévenir une participation insuffisante des élus, la proposition de loi prévoit une composition plus souple, en précisant que chaque niveau de collectivité territoriale ou de leurs groupements serait représenté, non par des présidents, mais par des élus « de base ». Cette nouvelle composition ferait de cette nouvelle autorité un organisme distinct du comité des finances locales, permettant ainsi de rompre le lien organique unissant les deux institutions.

La proposition de loi prévoit un champ de compétences plus large que celui qui est actuellement celui de la CCEN. Le nouvel organisme serait désormais obligatoirement consulté par le Gouvernement sur l'impact financier des projets de texte réglementaire, des projets de loi et des projets d'acte européen créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

La proposition de loi étend par ailleurs à d'autres autorités la faculté de saisir la nouvelle instance. Ainsi, les présidents des deux assemblées pourraient saisir l'autorité d'une proposition de loi déposée par un de leurs membres, sauf si son auteur s'y oppose.

En outre, la nouvelle autorité pourrait, soit sur auto-saisine, soit sur saisine du Gouvernement, des parlementaires ou des collectivités territoriales, évaluer toute norme réglementaire déjà en vigueur ayant un impact technique ou financier sur les collectivités territoriales ou leurs groupements.

Cette autorité disposerait d'un délai de six semaines, contre cinq semaines actuellement, à compter de la transmission d'un projet de texte réglementaire ou d'une demande d'avis, pour rendre son avis. Une procédure d'urgence est prévue permettant, à la demande du Premier ministre, de réduire ce délai à deux semaines.

La proposition de loi adosse à cette autorité la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, en reprenant, dans une large mesure, les dispositions réglementaires régissant cette commission aujourd'hui rattachée au Conseil national du sport. Cette formation restreinte serait composée de représentants des administrations compétentes de l'État, du Parlement et des collectivités territoriales. Ce texte ne prévoit pas en revanche la participation de représentants du monde sportif, ce que nous vous proposerons de modifier.

Le Sénat a adopté, notamment à l'initiative de son rapporteur M. Alain Richard, plusieurs amendements destinés à compléter et préciser le dispositif de la proposition de loi.

La commission des Lois du Sénat n'a pas souhaité retenir l'appellation de Haute autorité d'évaluation des normes, cette nouvelle instance n'ayant pas le statut d'autorité administrative indépendante. L'appellation de conseil national d'évaluation des normes lui a semblé plus appropriée s'agissant d'une commission consultative administrative adossée à une administration centrale, en l'occurrence la Direction générale des collectivités locales.

En outre, afin de garantir l'autonomie financière du futur conseil national, elle a prévu qu'il bénéficierait, à l'instar du comité des finances locales, d'un prélèvement budgétaire sur la dotation globale de fonctionnement.

Le Sénat a aussi élargi les compétences du futur conseil sur les projets de normes en lui permettant de se saisir lui-même de toute norme technique résultant d'activités de normalisation et de certification ayant un impact technique ou financier sur les collectivités territoriales. Cette disposition concerne les normes de type AFNOR ou ISO qui, malgré leur caractère non obligatoire, s'imposent souvent de facto aux collectivités. La commission des Lois du Sénat a par ailleurs étendu l'obligation de saisine aux projets d'amendements du Gouvernement, ainsi que, à la demande des présidents des deux assemblées, aux projets d'amendements de l'un de leurs membres, sauf si ce dernier s'y oppose.

Cependant, cette dernière disposition présente une double difficulté. Premièrement, les projets d'amendement n'ont pas d'existence légale : seuls les amendements déposés peuvent faire l'objet d'un examen. Par ailleurs, une telle procédure apparaît incompatible avec les règles du droit parlementaire.

Le Sénat a également renforcé le rôle du conseil national en matière d'examen des normes réglementaires en vigueur, en prévoyant qu'il puisse, dans le cadre de son examen, proposer des mesures d'adaptation si l'application de certaines normes entraîne pour les collectivités territoriales des conséquences matérielles, techniques ou financières disproportionnées au regard des objectifs poursuivis, voire proposer l'abrogation de normes obsolètes.

Les amendements que je vous proposerai conservent l'architecture et le sens de l'évolution proposée par nos collègues sénateurs, tout en simplifiant notamment la rédaction de certaines dispositions peu nécessaires ou pouvant difficilement être mises en oeuvre et en réorganisant certaines dispositions, relatives notamment à la publication des avis du conseil national. En cela, ils visent à donner l'exemple de règles claires, strictes et d'une ampleur proportionnée au but recherché.

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