Intervention de Philippe Wahl

Réunion du 17 septembre 2013 à 18h00
Commission des affaires économiques

Philippe Wahl :

Je suis très honoré de présenter devant vous ma candidature à la responsabilité de président du groupe La Poste, dont je commencerai par décrire la situation actuelle. La Poste est une grande entreprise publique de services de proximité – et parler de « services de proximité » est un acte fondateur au regard de postes étrangères qui n'ont pas fait ce choix. La Poste est une entreprise publique dont toutes les activités, courrier compris, sont soumises à la concurrence et qui, en même temps, a la responsabilité de quatre missions de service public. L'entreprise est fondée sur les valeurs postales de l'accès à tous et de la proximité et elle développe ces services publics.

Le groupe est aujourd'hui organisé en quatre métiers principaux : le courrier, le colis, la banque et enfin l'Enseigne, c'est-à-dire le réseau des bureaux de poste. Le groupe dans son entier et chacun de ces métiers séparément ressentent profondément l'impact de la révolution numérique. Elle ne fait pas que modifier les méthodes de production et de distribution comme dans tous les autres secteurs de l'économie : bien davantage est en jeu, car nos métiers mêmes – le transport physique de biens et de services – sont remis en cause sinon menacés. Cette grande entreprise de plus de 250 000 personnes, dont le chiffre d'affaires s'est établi, en 2012, à 21,5 milliards d'euros avec un résultat d'exploitation de 816 millions d'euros et un résultat net de 571 millions, confrontée à des changements majeurs, doit faire face à un défi industriel, à un défi économique et à un défi social.

Le défi industriel se mesure en quelques nombres. Entre 2007 et 2012, le volume du courrier transporté a chuté de 18,7 %. Entre 2007 et 2015 il aura décru de 30 % et, selon nos projections, de moitié entre 2008 et 2020 : alors qu'en 2007 nous transportions 18 milliards d'objets, en 2020 nous n'en transporterons plus que 9 milliards. L'enjeu industriel est donc considérable. Dans le même temps, alors que le taux de fréquentation physique des bureaux de poste continue de décroître régulièrement, le développement du commerce électronique entraîne une augmentation des flux qui peut représenter une opportunité pour le groupe. On constate donc une concomitance d'opportunités et de défis industriels pour La Poste.

Le défi économique n'est pas moindre, la baisse des volumes de courrier et celle de la fréquentation des bureaux de poste induisant de très importantes modifications. L'année 2012, bonne en résultat et en chiffre d'affaires, n'a pas complètement éclairé l'avenir ; c'est plutôt le premier semestre 2013 qui montre que nous sommes sans doute, cette année, à un point d'inflexion de notre histoire économique et sociale. En effet, le chiffre d'affaires a été stable au premier trimestre, mais le résultat d'exploitation a reculé de 24 %. Le défi économique que nous devons relever pour compenser la révolution industrielle est de trouver de nouvelles activités permettant à la fois d'assurer l'emploi et de développer notre chiffre d'affaires et notre résultat d'exploitation.

Le troisième défi est d'ordre social. La Poste emploie plus de 250 000 personnes ; l'évolution en cours représente une opportunité mais aussi une menace pour les emplois des postiers. Notre objectif est d'affronter l'avenir par le dialogue social et un projet partagé, mais le défi social est très lourd pour La Poste et nous nous y préparons.

Telle est la situation actuelle du groupe, et l'on peut dire que les postières et les postiers ont, depuis 2002, déjà largement porté un projet de modernisation de leur groupe. Je rends hommage à Jean-Paul Bailly qui a conduit depuis cette date les mutations que les postiers ont déjà réalisées. J'en rappelle certaines : le règlement de la difficile question de la retraite des postières et postiers ; les investissements et la modernisation des plateformes industrielles du courrier ; l'internationalisation du colis ; la création de la Banque postale ; la modernisation, saluée par la population, des bureaux de poste, assortie pour l'essentiel de la disparition des files d'attentes, deux jours au début du mois exceptés ; l'augmentation de capital de 2,7 milliards d'euros, qui donne au groupe les moyens d'investir et de progresser avec son nouvel actionnaire et nouveau partenaire, la Caisse des dépôts ; la capacité de développer une politique d'entreprise responsable dont témoignent notre politique d'achat, notre empreinte carbone et la volonté d'exemplarité des postières et postiers dans la transition écologique ; enfin, le lancement en 2012 et 2013, du « grand dialogue » et des réalisations qui lui sont liées. Voilà ce qui a été réalisé sous la conduite de Jean-Paul Bailly dans le passé récent, et l'on peut caractériser cette période en disant que les postiers ont déjà beaucoup changé.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, la difficulté à laquelle doit faire face La Poste maintenant est celle de l'accélération, avec les transformations qu'elle implique. Compte tenu de la taille de nos effectifs, de l'ampleur des problèmes à gérer et de la complexité des équations stratégiques, je ressens comme un honneur d'être proposé à la nomination à la présidence du groupe par le Premier ministre, et je pense avoir, par mon parcours professionnel, les moyens de conduire cette mutation.

Je suis un postier puisque, depuis janvier 2011, j'ai la responsabilité de la Banque postale, devenue le premier contributeur au résultat d'exploitation du groupe. Depuis 2011, toute mon action a consisté à mettre la Banque dans La Poste : nous sommes la banque des postiers. J'ai mené les choses en accélérant le développement de la Banque et en répondant à certaines exigences de l'intérêt public – comme lorsqu'en 2011, à la demande du Gouvernement, la Banque postale, avec la Caisse des dépôts, les élus et leurs associations, a construit, ex nihilo, une banque des collectivités locales qui, en moins d'un an, a pu répondre à l'impasse de financement que connaissaient les collectivités territoriales après la résolution ordonnée de Dexia. Outre cela, mon parcours professionnel m'avait amené à croiser La Poste par deux fois déjà. En 1990, j'ai participé à l'élaboration du rapport Prévot et de la réforme Quilès des postes et télécommunications ; puis, en 2004, alors consultant, j'ai, à la demande de M. Jean-Paul Bailly, travaillé à deux rapports : l'un sur la Banque et son réseau, l'autre sur l'organisation des fonctions « corporate » de La Poste dès lors qu'elle aurait une banque. Je connaissais donc bien le groupe avant même de devenir postier.

Mon parcours professionnel a été double, se déroulant dans le service public et dans le secteur privé. Dans le service public d'abord : je suis fonctionnaire, j'ai été élève de l'ENA et membre du Conseil d'État et j'ai participé, en tant que conseiller technique auprès de M. Michel Rocard, alors Premier ministre, à quelques réformes importantes pour notre pays : l'élaboration de la contribution sociale généralisée ; la réunion des ailes de la France –Air France, Air inter, UTA – ; la création de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale ; la négociation, particulièrement complexe, du nouveau régime de TVA européen ; d'autres dossiers de modernisation encore.

Puis, à partir de 1991, j'ai entrepris dans le secteur privé une carrière de banquier, à la Compagnie bancaire d'abord, avant de prendre les fonctions de directeur général du groupe des Caisses d'épargne, participant à sa transformation. Aux côtés d'un très grand entrepreneur français, M. Vincent Bolloré, j'ai aussi redressé, en qualité de directeur général, la société Havas, alors en extrême difficulté, avant de revenir à la banque pour exercer de 2007 à 2010 les fonctions de directeur général pour la France de la Royal Bank of Scotland, qui a elle-même connu des difficultés.

Banquier j'ai donc été, mais banquier-manager, puisque j'ai dirigé de nombreuses sociétés qui comptaient un nombre impressionnant d'employés : 11 000 à la Compagnie bancaire, plus de 40 000 à l'Écureuil, plus de 50 000 à la Banque postale… J'ai enfin une double expérience française et à l'étranger, ayant passé au Royaume-Uni l'année 2008.

Tel a été mon parcours professionnel, diversifié et marqué par mon goût pour la transformation, apparent dans chacune des responsabilités que j'ai exercées. Si vous confirmez la confiance qui m'est accordée par le Premier ministre, j'essayerai de mettre mon expérience, mon énergie et mon engagement au service du groupe La Poste pour le faire grandir et s'adapter à des mutations qui seront encore plus difficiles au cours des années à venir qu'elles ne l'ont été au cours de la décennie écoulée.

Le socle de l'action que je pourrais conduire, c'est le projet stratégique actuel de La Poste, dit « Confiance partagée », dont la définition a fait l'objet d'une démarche participative. À ce stade, c'est encore un projet, qui deviendra un plan d'actions dans quelques mois. Il a été défini après que 150 000 postiers ont été consultés. En exprimant leur avis sur les grands défis que doit affronter le groupe, ils ont donné des indications très puissantes. Leur première demande a été que nous exploitions mieux les synergies du groupe. Montrant qu'ils ont conscience de nos enjeux commerciaux, ils nous ont dit aussi qu'il nous fallait vendre mieux, et plus. Leur troisième demande était une de mande de reconnaissance et de responsabilisation, qu'ils souhaitent voir mise en oeuvre par une plus grande autonomie dans l'action des diverses entités du groupe. Si je vous parle des demandes des postiers, ce n'est pas par hasard mais parce que je considère le dialogue social avec eux et avec les organisations syndicales comme la clef de notre réussite actuelle et future.

Par le biais de ce projet, nous avons défini quatre orientations qui devront être approfondies. La première est de faire de La Poste le leader de la distribution de services de proximité et de services à domicile ; avec plus de 80 000 facteurs et 17 000 points de contact, auxquels nous sommes tous attachés, comme nous le sommes au développement du territoire, nous en avons les moyens. Le deuxième axe de la confiance partagée, c'est le développement d'une offre numérique et la numérisation de certaines de nos méthodes et organisations. Nous souhaitons aussi approfondir et accélérer ce que nous faisons déjà en termes de métiers, et nous voulons enfin accélérer la croissance interne et externe par des acquisitions, notamment dans le colis, à l'international, sur une base européenne.

Cet ensemble d'actions que nous estimons particulièrement efficaces mais aussi lourdes pour l'avenir du groupe devra être conduit dans le respect de trois objectifs : la satisfaction du client ; la bonne santé de La Poste, sans laquelle il ne peut y avoir d'avenir pour les emplois et pour le service public ; la qualité de vie au travail pour les 250 000 collaborateurs qui accompagnent les changements en cours.

Si je devais exercer la présidence de La Poste, je le ferais dans cet esprit. Aussi ma priorité irait-elle au développement commercial, économique et financier de l'entreprise car c'est de lui que viendra la capacité d'investir, de créer des emplois, de faire face à la disparition de certains métiers et de préparer l'avenir d'un service public essentiel à l'avenir de notre pays.

D'autre part, les transformations sociales en cours montrent la nécessité de moderniser chaque service public dont nous avons la responsabilité, voire d'en inventer de nouveaux. Nous avons des responsabilités en matière d'aménagement du territoire, avec 17 000 points de contact ; de transport et de distribution de la presse ; d'accessibilité bancaire ; et aussi, bien sûr, en matière de service postal universel, responsabilité que nous exerçons pour quinze ans depuis le 1er janvier 2011. Le service public est évidemment au coeur de nos valeurs ; il rassemble les postiers, qui seront d'autant plus confiants et engagés qu'ils auront le sentiment que ces valeurs seront modernisées.

Enfin, je crois au dialogue social et, au-delà, au progrès social. Débattre, convaincre, disputer : c'est là une philosophie propre à mobiliser l'engagement du personnel et une méthode partagée. Au-delà, une entreprise publique comme La Poste, où tout est affaire de grands nombres – quand elle passe commande de véhicules électriques, elle en commande dix mille ; quand elle investit, c'est un milliard d'euros… – a une responsabilité sociétale, c'est-à-dire sociale et économique. Elle l'exerce en contribuant au développement responsable de notre pays – ainsi l'empreinte carbone de tous nos métiers de transport est-elle nulle, soit que nous ayons très nettement diminué nos émissions de gaz à effet de serre, soit que nous les compensions par des actions menées en Afrique ou en Amérique du Sud. En témoigne aussi une politique d'achat responsable visant à faire de La Poste un acteur de la transition écologique de notre pays. En fera preuve enfin la liaison que nous opérerons entre les hommes et l'entreprise pour participer au développement de la France. Voilà ce que signifie être une entreprise publique, et tel serait l'esprit de mon action : priorité au développement, modernisation du service public, participation au progrès social.

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