Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 1er octobre 2013 à 14h00
Commission des affaires économiques

Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif :

Je vous remercie, monsieur le président, de cette invitation. Il n'y a naturellement de notre part aucune volonté de tenir le Parlement à l'écart, bien au contraire : la renaissance de la politique industrielle est portée au plus haut niveau de l'État, nous voulions le souligner, mais elle doit être partagée par notre pays tout entier.

Un livret détaillant ces trente-quatre projets vous a été remis, et je serai bien sûr disponible pour revenir sur le détail de chacun d'entre eux ; à l'invitation de votre président, je vais aujourd'hui plutôt vous indiquer la méthode que nous avons suivie.

Dès mon entrée en fonction, nous avons travaillé avec les filières, quelle que soit leur situation : certaines travaillent bien ensemble, comme l'aéronautique, d'autres mal, comme l'automobile ; certaines sont très délabrées, d'autres naissent ou renaissent, comme l'industrie extractive ou l'industrie robotique. Nous avons réuni l'ensemble des acteurs : les grandes entreprises leaders de leur marché, les PME, mais aussi les fédérations professionnelles, les partenaires sociaux, les pôles de compétitivité… Les projets que j'ai présentés sont le résultat d'une année de travail. Très peu sont issus d'un travail technocratique – quel que soit par ailleurs le mérite considérable des fonctionnaires, et je dis cela sans ironie aucune. Ce sont des projets issus d'un travail collectif, voire participatif, des filières industrielles elles-mêmes.

Le Gouvernement a retenu trente-quatre plans, mais les filières elles-mêmes ont aussi d'autres projets, qui ne sont pas considérés comme stratégiques, même s'ils ne sont pas oubliés – je pense par exemple à la nécessité de disposer de veaux vaccinés contre la teigne en quantité suffisante pour alimenter l'industrie du cuir, secteur important de la mode et du luxe.

Ces projets constituent donc nos priorités, ceux pour lesquels nous allons mobiliser toutes les ressources nécessaires. Nous voulons une alliance des forces productives ; syndicats et patronat ont d'ailleurs salué ce plan, ce qui est suffisamment rare pour être noté. Nous voulons une collaboration entre la recherche publique et la recherche et développement de l'industrie, entre les grandes et les petites entreprises, entre les pôles de compétitivité – eux-mêmes déjà une collaboration territorialisée entre différents acteurs – et les branches industrielles. Nous voulons créer une alliance de l'initiative privée et de la volonté publique.

Vous le voyez, nous ne nous encombrons pas de débats théologiques sur le rôle de l'État ! Nous formons une alliance consensuelle et pragmatique, où l'État est fédérateur et apporte son aide là où elle est utile – il peut apporter des financements, mais aussi de la commande publique, de la recherche publique, ou encore proposer des changements réglementaires ou législatifs là où ils sont utiles. L'État participe, organise, fédère : il rallie à son panache les fantassins de l'économie engagés sur le front de la mondialisation.

Nous nous avançons vers trois frontières nouvelles.

La plus importante, c'est la frontière énergétique : comment dépasser notre dépendance aux hydrocarbures ? Cela concerne des domaines très divers : mobilité, logement…Grâce à l'innovation technologique, nous voulons réaliser l'avion électrique ou permettre à tous d'acquérir un véhicule qui consomme moins de deux litres aux 100 kilomètres – aujourd'hui, tous les constructeurs européens savent en fabriquer, mais l'objectif est qu'il soit au prix d'un véhicule de segment C, c'est-à-dire celui d'une 208 ou d'une Clio. Pour cela, constructeurs et équipementiers doivent s'unir : pour la première fois, nous avons réuni autour d'une table PSA, Renault et les quatre grands équipementiers – Faurecia, Valeo, Michelin, Plastic Omnium – et nous avons dégagé une feuille de route technologique, un horizon économique, un calendrier, des objectifs précis. Concrètement, un véhicule à moins de deux litres, cela veut dire ôter les rétroviseurs extérieurs pour améliorer l'aérodynamique, réduire le poids du véhicule de 300 kilos, améliorer les pneus, le moteur… Nous sommes déjà très bons dans le domaine des moteurs peu gourmands en carburant ; pour monter sur la première marche du podium mondial de la petite voiture économe, ce qui est notre objectif, nous avons décidé de rassembler toutes nos forces. PSA annonce pour 2018 un moteur à air comprimé qui consommera 2,9 litres : il reste un litre à conquérir !

La deuxième frontière, c'est la frontière technologique ; partout, les États financent l'innovation technologique de façon considérable : nous assumons ce choix de financer cette industrie. Cela veut dire des investissements importants dans les supercalculateurs, le big data, le cloud computing, la souveraineté numérique… Le Premier ministre a ainsi lancé, à Crolles, le plan « Nano 2017 », destiné à développer les nanotechnologies. Nous disposons du premier site européen de production de composants électroniques : nous avons décidé de le soutenir !

La troisième frontière, c'est la frontière sociétale. Demain, nous nous logerons, nous nous soignerons, nous nous éduquerons… différemment. Nous voulons donc promouvoir l'hôpital numérique, l'e-Éducation, les biotechnologies médicales…

Ces trente-quatre projets ont été élaborés par les professionnels eux-mêmes et ont fait l'objet de discussions interministérielles. Nous espérons bien sûr trente-quatre grands succès, mais si vingt ou vingt-cinq réussites nous permettent déjà de rendre à la France la fierté de son industrie et de mobiliser toutes les énergies, alors nous n'aurons pas perdu notre temps ! Ces projets intéressent tous les Français, entrepreneurs, employeurs, travailleurs, élus… Ils doivent devenir des causes nationales. Quand le prototype de l'avion électrique aura, comme Blériot, traversé la Manche, nous aurons franchi une limite – et nous en franchirons bien d'autres !

Ces projets, ce sont trente-quatre actes de foi et de fierté. Il était temps ; la France ne peut pas éternellement se faire son propre procureur. Souvenons-nous des mots de Romain Gary : « le patriotisme, c'est l'amour des siens ; le nationalisme, c'est la haine des autres ». Soyons patriotes !

Enfin, je veux souligner les choix innovants que nous faisons en matière de politiques publiques. La politique, comme la guerre, est un art de l'exécution ; nous ne nous contentons pas d'effets d'annonce ! C'est pourquoi – pour éviter que ces projets ne se perdent dans des méandres bureaucratiques – nous avons voulu choisir des chefs de projets qui sont eux-mêmes des industriels du secteur. Leur intérêt, c'est de réussir ! Nous organisons ainsi la convergence des intérêts de la France et des entreprises engagées dans ces projets. La liste des chefs de projets – qui ont accepté cette tâche à titre personnel – sera rendue publique le 7 octobre ; vous serez naturellement conviés. Nous ne signons pas de contrat : c'est un engagement moral dans une dynamique qui doit être nationale ; mais nous écrirons ensemble une feuille de route.

Je me suis rendu hier à Cherbourg aux côtés du Président de la République ; ce déplacement était consacré aux énergies marines – hydroliennes, énergie houlomotrice, éoliennes flottantes, éoliennes offshore… Nous écrirons la feuille de route qui devra nous permettre de prendre le leadership dans chacun de ces compartiments. À l'évidence, le soutien des parlementaires nous sera précieux. Ce ne sont pas les projets du Gouvernement, mais du pays tout entier !

Nos projets sont pleinement mercantilistes : nous ne cherchons pas la prouesse technologique pour la prouesse technologique, même si la France a donné au monde un grand nombre d'inventions – d'ailleurs trop souvent ignorées de nos concitoyens. Ce que nous voulons, c'est faire gonfler la part du made in France dans le monde. Vous le savez, je ne déteste pas surprendre : nous nous sommes adjoint les services du cabinet de conseil McKinsey, qui est une sorte de Pythie de la mondialisation. Eh bien, pour eux, nos projets peuvent, en dix ans, créer ou préserver 480 000 emplois !

Nous ferons peut-être mieux, peut-être moins bien ; mais, en tout cas, nous aurons pris le taureau par les cornes.

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