Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du 15 octobre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Présentation

Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances :

Mais il faut aussi reconnaître – vous le savez, monsieur Muet – que, d’après cette même littérature, cette stratégie ne peut pas être conduite indéfiniment, surtout lorsqu’on est dans une phase de redémarrage. À moyen terme, les hausses de prélèvements peuvent alors nuire au potentiel de croissance, donc à l’attractivité du territoire. Dès lors que l’activité commence – ce qui est le cas – à se raffermir, que les tensions financières se détendent – et c’est heureux –, que le rythme d’ajustement, tout en restant exigeant, est désormais plus raisonné, toutes les conditions sont réunies pour mettre l’accent sur la réduction des dépenses publiques. Aussi, mesdames, messieurs les députés, le budget que nous vous soumettons avec Bernard Cazeneuve prend le parti de faire du levier de l’investissement et de la compétitivité un moteur essentiel de la croissance de demain.

Cela n’est naturellement pas exclusif – bien au contraire – d’une démarche déterminée pour ramener à l’emploi ceux qui en sont les plus éloignés. Il est logique que notre politique structurelle s’accompagne d’un soutien conjoncturel, s’inscrivant sur une certaine durée que j’appelle de mes voeux, compte tenu de la situation que nous connaissons : je rappelle en effet que le déficit de demande privée en France ne sera pas résolu d’un coup de baguette magique.

Je l’ai dit en de nombreuses occasions, comme Michel Sapin : nous n’avons pas l’emploi aidé honteux. C’est conforme à nos principes dans une période économique qui reste difficile, et c’est surtout un complément, et non un substitut, à la politique de renforcement de notre tissu productif que je viens d’évoquer. Le projet de loi de finances pour 2014 déploie donc avec vigueur nos politiques volontaristes en faveur de l’emploi. Il finance la création d’ici fin 2014 de 150 000 emplois d’avenir, qui concernent les jeunes de 16 à 25 ans, la signature de 100 000 contrats de génération, la consolidation de 340 000 emplois aidés non marchands et la création d’un nouveau contingent de 2 000 postes à Pôle Emploi, après les 2 000 de 2013. En effet, nous le savons tous ici, le redémarrage de l’emploi est une condition essentielle – la principale, même – pour redresser le pouvoir d’achat, qui résulte d’abord des revenus d’activité et des salaires.

Dans ce projet de budget, de nombreuses mesures vont permettre, en outre, de soutenir le pouvoir d’achat des ménages, en particulier des classes moyennes et des plus modestes. Ne perdons en effet pas de vue que c’est près d’un milliard d’euros qui sera rendu aux Français en termes de pouvoir d’achat. Je veux revenir très rapidement sur ce point. Si je devais résumer notre action en faveur du pouvoir d’achat des Français dans le cadre de ce budget, je dirais qu’elle porte sur quatre fronts à la fois.

J’ai déjà évoqué le front de l’emploi, qui est capital : il s’agit même du premier d’entre eux. Les trois autres fronts sont ceux de l’action sur les dépenses contraintes, la maîtrise des prélèvements obligatoires et la lutte contre les inégalités par la progressivité de l’impôt.

Que sont les dépenses contraintes ? Ce sont des dépenses – qui concernent en premier lieu le logement et l’énergie – pesant de plus en plus sur le pouvoir d’achat des Français. Je vous renvoie ici aux mesures que nous avons prises depuis seize mois, par exemple l’encadrement des loyers dans les zones tendues, le plafonnement des frais bancaires – avec le concours actif de l’Assemblée nationale et plus particulièrement des groupes de la majorité – ou encore la détermination de tarifs sociaux de l’électricité et du gaz, qui devraient bénéficier à 4 millions de foyers – tel est notre objectif – contre 1,3 million auparavant.

La maîtrise des prélèvements obligatoires, c’est le refus d’une hausse générale d’impôts, au-delà de la réforme des taux de TVA déjà votée, alors que la contrainte budgétaire reste forte. En parallèle – cela a été dit tout à l’heure par le ministre du budget – le barème de l’impôt sur le revenu sera réindexé sur le coût de la vie, après deux années de gel décidé par le précédent gouvernement : cette action va permettre de réduire l’imposition des Français dont les revenus n’ont pas augmenté et de préserver les revenus des plus modestes. Ce qui est choquant, en effet, est que l’impôt augmente à situation ou revenu inchangé. Maîtriser les prélèvements passe aussi par cette décote renforcée dont vont bénéficier les classes moyennes – au total, près de 7 millions de contribuables. Avec ces mesures, je le répète, c’est près d’un milliard d’euros qui est rendu aux ménages, alors que la contrainte reste forte.

Le pouvoir d’achat passe enfin par une plus grande progressivité de l’impôt, compte tenu de la progression des inégalités, en 2010, aux deux extrémités des niveaux de vie. Depuis lors, cette fracture s’est aggravée : le niveau de vie a augmenté, pour la moitié la plus aisée de la population, et reculé pour la moitié la plus modeste. Il faut résoudre ce problème. Comme le disait le philosophe Norberto Bobbio, « l’étoile polaire de l’égalité » est le trait distinctif entre la droite et la gauche, le critère qui résiste toujours à l’usure du temps. En supprimant plusieurs niches fiscales, nous rendons l’impôt plus juste et notre système plus redistributif. Il va de soi que, pendant cette discussion, Bernard Cazeneuve et moi-même serons à votre écoute pour conforter, dans le cadre des équilibres en vigueur que nous ne pouvons guère écorner, ce volet « pouvoir d’achat » du projet de loi de finances. Nous nous sommes d’ores et déjà prononcés en faveur d’une majoration du plafond de revenus en-deçà duquel les contribuables bénéficient d’exonérations, autrement dénommé le plafond de référence. Cela préservera les plus modestes et évitera que les retraités ayant de petites pensions ne voient leurs impôts augmenter. Nous serons également – le ministre délégué le dira – en mesure de faire d’autres ouvertures ou d’être compréhensifs sur tel ou tel point.

Un dernier point rapide, mesdames, messieurs les députés : le projet de loi de finances que nous vous présentons répond à l’urgence, qui est de stimuler la croissance et dynamiser l’emploi. Mais l’urgence doit s’articuler avec la préparation de l’avenir. Cela se manifeste de plusieurs façons dans les textes financiers de l’automne. D’abord, je le répète, le cap de l’équilibre structurel en fin de mandat est maintenu, parce que le désendettement est à la fois une nécessité pour notre souveraineté et un gage d’efficacité pour la dépense publique. Nous voulons aussi construire un État plus agile, plus stratège, en soutien de la compétitivité. C’est pour cela qu’il est à ce point fondamental de moderniser l’action publique, et de faire de cette modernisation un levier pour nos économies. Pierre Mendès France, que j’ai déjà cité, disait : « Ne disposant que de moyens limités, nous devons soigneusement veiller à les affecter aux objets essentiels, à éliminer ce qui est moins important au profit de ce qui l’est davantage. Dans tous les domaines, nous aurons à transférer l’effort de l’improductif au productif, du moins utile au plus utile. Ce sera la règle d’or de notre redressement, règle universelle valable pour les activités privées comme pour le secteur public. » Je crois qu’il y a là une voie – dans tous les sens du terme – pour une réelle modernisation de l’action publique.

Préparer l’avenir, c’est aussi consolider notre modèle social, dont les déséquilibres financiers menacent la pérennité. C’est le sens de la réforme de la famille. C’est le sens, également, de la réforme des retraites qui vient d’être votée par la majorité de cette assemblée.

Enfin, le projet de budget consacrera le lancement du nouveau programme d’investissements d’avenir de 12 milliards d’euros, annoncé en juillet par Jean-Marc Ayrault. Plus de la moitié de ce programme sera consacré à des investissements directs ou indirects pour la transition écologique. Ces investissements seront soigneusement choisis en fonction d’un objectif : renforcer la croissance potentielle en France. Si nous voulons, en effet, inverser durablement la courbe du chômage, il faut revenir à un taux de croissance potentielle qui soit bien supérieur à 1%.

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