Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du 23 juillet 2013 à 15h00
Adaptation dans le domaine de la justice au droit de l'union européenne et aux engagements internationaux de la france — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure de la commission mixte paritaire :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, le projet de loi que nous allons adopter transpose onze instruments européens ou internationaux relatifs au droit pénal et de natures diverses puisqu’ils incluent des directives ou des décisions-cadres de l’Union européenne, des conventions du Conseil de l’Europe ou des Nations unies, et même une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Il marque une étape importante dans la construction d’une Europe de la justice. C’est en effet la première loi de transposition de directives dans le domaine pénal, ce qui est l’une des premières conséquences concrètes du traité de Lisbonne dans ce domaine.

Je ne reviendrai pas sur le contenu du projet de loi tel qu’il avait été modifié à l’issue de sa première lecture à l’Assemblée nationale. Je me concentrerai plutôt sur les ajouts opérés par la commission mixte paritaire, qui sont nombreux.

Avant cela, je souhaite revenir sur le sens global de l’adoption d’un tel projet. Le droit pénal, qui était traditionnellement considéré comme le symbole de la souveraineté nationale, devient l’un des domaines les plus directement concernés par l’internationalisation du droit.

Deux raisons expliquent ce phénomène : la globalisation croissante des activités, y compris celles qui sont prohibées, et l’universalisation croissante des droits des individus.

Cela étant souligné, j’en viens maintenant au travail mené au sein de la commission mixte paritaire.

Je tiens tout d’abord à souligner l’état d’esprit très constructif dans lequel nous avons travaillé, le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. Alain Richard, et moi-même, sur ce texte. Si les divergences entre les textes adoptés par les deux assemblées étaient en nombre limité, elles étaient toutefois significatives. Je me réjouis donc que nous soyons parvenus à un accord sur tous les sujets restant en discussion.

Les ajouts proposés par la commission mixte paritaire portent, en premier lieu, sur la lutte contre l’esclavage et la servitude. Pour les préparer, nous avons eu recours à une méthode inhabituelle, pour ne pas dire inédite, justifiée par l’importance des enjeux. Un groupe de travail commun à nos deux assemblées a été créé, en concertation avec la garde des sceaux, qui est très sensible à ces sujets. Il a mené une dizaine d’auditions auprès de hauts magistrats, d’universitaires, d’associations spécialisées dans la lutte contre l’esclavage. Ces auditions étaient ouvertes à tous les commissaires aux lois qui souhaitaient y participer. Il en est sorti quatre dispositions.

La première, qui figure à l’article 2 bis, a pour objet de créer un crime de réduction en esclavage et un crime d’exploitation de personnes réduites en esclavage. Cette définition pénale de l’esclavage est nécessaire : les textes internationaux incluant l’esclavage parmi les finalités de la traite des êtres humains, il faut, pour s’y conformer, définir cette notion dans le code pénal, afin de respecter le principe de légalité des délits et des peines

La définition retenue est celle qui figure dans les deux seuls instruments internationaux définissant l’esclavage, à savoir la convention de Genève relative à l’esclavage de 1926 et la convention supplémentaire du 7 septembre 1956. Aux termes de ces textes, l’esclavage est l’état ou la condition d’un individu sur lequel s’exerce l’un des attributs de la propriété. En d’autres termes, l’esclavage est la réification d’une personne, le fait de la traiter comme si elle était un objet. C’est la définition classique de l’esclavage, dont les formes contemporaines, parfois qualifiées de « modernes », seront plutôt réprimées au titre du délit de réduction en servitude.

Ce premier crime s’accompagne d’un second, l’exploitation d’une personne réduite en esclavage, qui correspond à la séquestration, la commission d’une infraction sexuelle ou la soumission à du travail forcé d’une telle personne, dès lors que l’auteur connaît sa condition.

Ces deux crimes sont punis de vingt ans de réclusion criminelle, trente ans en cas de circonstances aggravantes.

Contrairement aux idées reçues, même cette forme ancienne, extrême, de l’esclavage est malheureusement présente sur notre territoire. L’un des hauts magistrats que nous avons auditionné, qui est premier avocat général à la Cour de cassation, nous a ainsi montré la photo d’une victime vendue par un réseau de trafiquants d’êtres humains qui avait un « code-barres » tatoué dans le dos. Ce trafic aboutissait en France.

La deuxième disposition issue des travaux du groupe de travail a pour objet de créer le délit de réduction en servitude, qui vient compléter celui de travail forcé, voté conforme par nos deux assemblées. Elle figure au 4° de l’article 1er du projet de loi.

La création de ce délit est nécessaire pour plusieurs raisons, parmi lesquelles, comme pour l’esclavage, le fait que les textes internationaux définissant la traite des êtres humains incluent la servitude parmi les finalités de la traite. Rappelons également que la France a été condamnée à deux reprises, à sept ans d’intervalle, par la Cour européenne des droits de l’homme au motif qu’elle ne réprimait pas efficacement les comportements relevant de la servitude. Plus précisément, la CEDH a considéré que notre pays n’avait pas sanctionné effectivement de tels actes.

La définition proposée est conforme à la définition internationale de la servitude, en particulier à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui la définit comme une forme de travail forcé aggravé. Les éléments constitutifs supplémentaires par rapport au travail forcé sont les suivants : en premier lieu, la vulnérabilité ou l’état de dépendance de la victime, qui permettront de prendre en compte, par exemple, le fait que celle-ci soit en séjour irrégulier, éloignée de son pays et de ses parents, sans ressources, non scolarisée, etc. ; en second lieu, le caractère habituel de l’infraction, qui exige une exploitation durable de la victime.

Les peines prévues sont de dix ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. En cas de circonstance aggravante, elles sont de quinze ans de réclusion criminelle et 400 000 euros, et de vingt ans et 500 000 euros s’il y a cumul de circonstances aggravantes.

Les deux dernières dispositions issues des réflexions du groupe de travail sur l’esclavage et la servitude opèrent des modifications de coordination à l’article 2 du projet de loi afin de tirer les conséquences de la création des infractions de travail forcé, de réduction en servitude et de réduction en esclavage. Elles complètent cet article afin, d’une part, d’autoriser les associations dont l’objet statutaire inclut la lutte contre l’esclavage à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne ces infractions et, d’autre part, de faciliter l’indemnisation des victimes de ces trois infractions, en les ajoutant à la liste de celles qui sont mentionnées par l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Cet ajout permettra aux victimes ou à leurs ayants droit d’obtenir une réparation intégrale de leur préjudice en adressant une demande d’indemnisation à la commission d’indemnisation des victimes d’infractions du tribunal de grande instance compétent.

Les ajouts de la commission mixte paritaire concernent, en deuxième lieu, l’abrogation du délit d’offense au chef de l’État. L’article 17 bis du projet de loi, que l’Assemblée nationale avait ajouté et que le Sénat avait supprimé, a pour objet d’abroger le délit d’offense au chef de l’État. Le compromis auquel la CMP est parvenue consiste à rétablir cet article, en accompagnant l’abrogation de ce délit, qui est donc acquise, de la mise en place d’un mécanisme alternatif de protection en tous points comparable au droit commun applicable aux fonctions gouvernementales ou parlementaires. Il s’agit, en d’autres termes, de ne faire ni plus ni moins

Le délit d’offense au chef de l’État, héritier du crime de lèse-majesté de l’Ancien Régime, n’a plus sa place dans une démocratie moderne. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme nous l’a rappelé récemment en condamnant la France à ce titre pour violation de la liberté d’expression. L’offense aux chefs d’État étrangers a d’ailleurs déjà été abrogée pour ce même motif par la loi du 9 mars 2004 et, je le rappelle, le Président de la République lui-même s’est félicité de cette abrogation lors de sa conférence de presse du 16 mars dernier. Cela constitue donc également une avancée pour notre république.

Il convient cependant de compléter cette abrogation par la mise en place d’un mécanisme alternatif de protection du chef de l’État, comme l’avait proposé M. Alain Richard à la commission des lois du Sénat. À cette fin, le texte issu de la CMP prévoit que la diffamation contre le Président de la République sera punie de la même peine que celle qui vise, à raison de leurs fonctions, un membre du Gouvernement, un parlementaire ou un fonctionnaire, à savoir une amende de 45 000 euros.

Par ailleurs, le régime d’engagement des poursuites est précisé. Il est identique à celui qui est prévu pour les parlementaires : les poursuites seront subordonnées à une plainte de l’intéressé. À cette occasion, dans un souci de clarification et de simplification, le régime d’engagement des poursuites prévu pour les ministres, qui faisait intervenir le garde des sceaux, est fusionné avec celui qui est applicable aux parlementaires.

En troisième lieu, il vous est proposé de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 14 juin 2013 qui a annulé les dispositions prévoyant que la décision de la chambre d’instruction statuant sur une demande d’extension des effets d’un mandat d’arrêt européen est « sans recours ». Je rappelle que la question prioritaire de constitutionnalité ayant donné lieu à cette décision a conduit le Conseil à adresser pour la première fois une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

Enfin, je souhaite dire un mot sur les dispositions relatives aux pouvoirs du membre national d’Eurojust. Sur ce point, madame la garde des sceaux, j’ai accepté, en tant que rapporteure, que l’on s’en tienne au texte adopté par le Sénat, qui correspondait à la rédaction initiale du projet de loi. Le membre français d’Eurojust sera par conséquent doté d’un pouvoir non pas de décision, mais uniquement de proposition.

Je tiens cependant à rappeler que le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture n’était nullement, comme cela a pu être dit, une anticipation de la proposition de règlement visant à créer un parquet européen – la Commission européenne l’a d’ailleurs présenté le 17 juillet dernier –, mais une transposition fidèle de la décision du Conseil du 16 décembre 2008 sur le renforcement d’Eurojust.

En conclusion, c’est un texte substantiellement enrichi par les travaux parlementaires qui vous est soumis. Ces apports démontrent que, même sur un texte de transposition, le Parlement conserve une marge de manoeuvre significative si ses membres ont la volonté politique d’exercer leurs prérogatives. Avec la contribution du Gouvernement et de Mme la garde des sceaux, nous avons pu mener ce travail inédit de définition et de réécriture du droit en CMP. Je vous remercie infiniment de votre confiance.

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