Intervention de Clotilde Valter

Séance en hémicycle du 18 septembre 2013 à 15h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClotilde Valter, rapporteure de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’économie et des finances, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les députés qui ont travaillé à la mise au point de ce texte, plus particulièrement le premier d’entre eux, François Brottes, président de la commission des affaires économiques, qui en a été l’initiateur et a repris le travail engagé par François Hollande et Jean-Marc Ayrault en février 2012, mais aussi Guillaume Bachelay, Jean-Louis Destans, Jean-Marc Germain, aujourd’hui rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Jean Grellier, Michel Liebgott, Marie-Françoise Bechtel, Christophe Borgel, Cécile Untermaier, Christophe Léonard, et beaucoup d’autres. Je ne peux les citer tous, et je les prie de m’en excuser.

Mais surtout, je pense, et nous pensons tous aux salariés des sites qui ont fermé ces dernières années et qui se sont battus pour leur entreprise : Petroplus, Pilpa, ArcelorMittal, d’aucy, Moulinex, Plysorol, Goodyear et beaucoup d’autres. La crise profonde que nous traversons depuis 2008 est celle d’un système économique qui, après des années de déréglementation et de financiarisation, est entré dans une phase de destruction de l’économie réelle, destruction de notre outil industriel, destruction de nos entreprises et de nos emplois. C’est le résultat d’une logique trop exclusivement financière qui conduit à favoriser les intérêts financiers de très court terme en sacrifiant les stratégies de long terme, de développement des entreprises et des filières industrielles, de recherche et d’innovation.

Cette financiarisation de notre économie met en danger nos entreprises, nos salariés, nos territoires et nos filières industrielles. Parce que l’État doit être le protecteur des entreprises et des salariés, nous devons réagir. C’est ce que nous faisons avec cette proposition de loi, qui affirme que l’on ne peut fermer impunément un site rentable, que l’entreprise qui veut fermer a des obligations à l’égard des salariés et du territoire, à commencer par celle de rechercher un repreneur, et enfin que nous voulons aider les entrepreneurs qui s’engagent pour le développement économique et l’emploi dans notre pays.

Cette proposition de loi a aussi pour objectif d’assurer le primat de l’économie réelle sur la finance en protégeant les entreprises et les salariés des opérations purement financières pour stabiliser leur actionnariat dans la durée au bénéfice de leur intérêt social et de leur stratégie de long terme. La reprise des sites rentables marque notre volonté de reconquête industrielle. Nombre d’entre nous ont été, depuis plusieurs années, confrontés à des fermetures de sites, qui sont des drames industriels et humains mais aussi une source d’appauvrissement du territoire et souvent de disparition de savoir-faire. Notre pays a ainsi perdu 750 000 emplois industriels en dix ans.

Dès lors que le site est rentable, les salariés, les élus et les habitants sont face à l’incompréhensible, l’absurde, l’inacceptable. Nous voulons répondre à cette situation avec ce texte qui garantit la recherche effective d’un repreneur, avec la mise au point d’une procédure spécifique, et établit un mécanisme de dissuasion, avec une sanction financière prononcée par le tribunal de commerce, pour l’entreprise qui refuserait une offre de reprise sérieuse. Notre préoccupation a été double : concilier des principes contradictoires inscrits dans notre droit – liberté d’entreprendre, droit à l’emploi et droit de propriété – et garantir la cohérence du dispositif proposé avec la loi sur la sécurisation du marché du travail.

Ce dispositif est de nature à changer la donne. Le champ retenu, celui des entreprises de plus de 1 000 salariés, permet de couvrir 15 % des plans de sauvegarde de l’emploi, mais 30 % des suppressions d’emplois dans ce cadre. Le dispositif garantit une véritable recherche permettant d’explorer toutes les solutions possibles avec une sanction dissuasive en cas de refus de donner suite à une offre sérieuse. La sanction financière modifie les données de la décision de l’entreprise avec un possible doublement du coût. Il fait prévaloir également le dialogue social sur le conflit avec un diagnostic partagé et une association des salariés à la recherche.

Suite aux recommandations du Conseil d’État, nous avons plus particulièrement veillé à définir certains points du texte, tels que l’offre sérieuse, les conditions dans lesquelles l’entreprise refuse la cession, le montant et l’affectation de la pénalité. Nous avons également tenu compte des expériences de terrain, notamment concernant l’information des élus, le bilan environnemental ou le remboursement des aides publiques perçues.

Nous voulons un modèle de gouvernance qui protège l’entreprise des excès de la finance. Le deuxième volet du texte pose les bases d’un nouveau modèle de gouvernance des entreprises. En effet, notre système économique, avec les excès de la finance, met en danger les entreprises, les salariés et les territoires. Trop souvent, les intérêts des actionnaires vont à l’encontre des intérêts de long terme de nos entreprises, de leurs salariés, de nos territoires et de nos filières industrielles. La situation est particulièrement préoccupante en France où les entreprises sont spécialement exposées aux risques d’instabilité du fait d’un actionnariat de long terme trop faible, qui doit donc être protégé.

Des travaux récents l’ont montré : le rapport d’information du Sénat de Christian Gaudin et Philippe Marini en 2007, l’ouvrage de Jean-Louis Beffa, le rapport de Louis Schweitzer et Olivier Ferrand et, enfin, celui de Louis Gallois en 2012. Notre objectif est de rechercher le bon équilibre entre l’attractivité indispensable pour assurer le financement de notre économie par l’apport de capitaux, notamment étrangers, et la protection des investisseurs qui s’engagent dans la durée et qui, de fait, protègent les entreprises, les salariés, nos filières industrielles et nos territoires.

Nous voulons tout d’abord redonner le primat à l’économie réelle sur la finance, ce qui signifie conforter les actionnaires de long terme, mieux protéger nos entreprises des prédateurs et associer les salariés à la vie de l’entreprise. C’est pour conforter les actionnaires de long terme que nous préconisons la généralisation du droit de vote double et renforçons l’actionnariat salarié, sur la base d’une proposition de Laurent Grandguillaume.

C’est pour donner aux entreprises des moyens pour résister aux OPA hostiles et aux prises de participation rampantes que nous voulons permettre aux dirigeants de s’opposer à une OPA, avec l’abandon du principe de neutralité des organes de direction, rendre caduque toute OPA à l’issue de laquelle l’auteur de l’offre détient moins de 50 % du capital et enfin limiter les prises de participation rampantes.

Enfin, conformément à la logique du Gouvernement et de la majorité, nous avons mieux associé les salariés à la vie des entreprises. C’est la raison pour laquelle nous avons conforté et renforcé la place du comité d’entreprise dans la procédure d’OPA. Il peut demander la désignation d’un expert et l’avis qu’il rendra après la remise du rapport pourra être intégré dans la note en réponse de l’entreprise cible.

Nous voulons aussi mener le combat pour protéger les entreprises françaises. Nos entreprises sont moins bien protégées que certaines de leurs concurrentes étrangères, américaines, asiatiques et parfois même européennes. Des secteurs industriels comme la sidérurgie et l’aluminium ont été frappés au cours de la décennie écoulée par des OPA hostiles, dont les effets se révèlent désastreux. Inutile de citer Arcelor ou Pechiney, nous savons tous quel désastre industriel cela a été, quel désastre pour les salariés et les territoires.

Ainsi, entre le modèle libéral anglo-saxon que l’Europe lui a imposé et les pratiques développées en Amérique du Nord et en Asie, la France doit, pour défendre ses intérêts, construire un nouveau modèle de gouvernance qui la protège des effets dévastateurs du capitalisme financier, en évaluant l’utilisation de l’action spécifique et d’autres dispositifs mis en place récemment par l’État actionnaire, en examinant les expériences menées en Europe et, au-delà, aux États-Unis, au Canada et en Asie, en définissant le rôle que peut désormais jouer la BPI à travers le FSI en cas d’OPA hostile contre une entreprise française stratégique en raison non seulement de son objet mais aussi du nombre de salariés et des filières concernées, et enfin en orientant mieux l’épargne de long terme vers le financement de notre économie.

Nous ne pouvons rester inactifs face aux effets des excès de la finance sur notre économie et sur l’emploi. Ce texte est une première étape. Il y en aura d’autres, car l’enjeu est majeur. Dans la guerre économique que nous connaissons, nos entreprises participent de l’image, de l’influence et du poids de notre pays dans le monde. Nous en avons besoin dans l’équipe de France 2025, et nous ne devons pas oublier que, dans notre histoire nationale, l’entraîneur de l’équipe de France s’appelle l’État. Ce n’est pas parce que le libéralisme échevelé a submergé la planète que nous devons être naïfs et nous priver des dispositifs de protection indispensables. La volonté politique est essentielle. Regardons ce qui se passe à l’étranger, regardons nos partenaires et concurrents.

Le 6 septembre dernier, un grand quotidien du soir faisait état de l’expérience suédoise et mettait en valeur le modèle suédois d’actionnariat, avec de grandes familles, un système de droit de vote à deux vitesses, des écarts de 1 à 10 chez Ericsson et la présence de salariés au conseil d’administration.

Alors, ne soyons pas frileux ! Préférons le modèle suédois au modèle libéral anglais pour remettre la finance au service de l’économie. Une fois la proposition de loi votée, poursuivons ce chantier avec la plus grande détermination. Pour cela, monsieur le ministre, mes chers collègues, je compte sur vous.

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