Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Séance en hémicycle du 31 octobre 2013 à 9h30
Indépendance de l'audiovisuel public — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain, rapporteure de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, notre hémicycle est aujourd’hui saisi du projet de loi ordinaire et du projet de loi organique relatifs à l’indépendance de l’audiovisuel public, déposé le 5 juin 2013 sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Après une première lecture dans notre assemblée le 24 juillet dernier, puis la traditionnelle navette parlementaire et enfin son passage en commission mixte paritaire le 15 octobre dernier, ce texte important et ambitieux aborde la dernière étape du travail législatif avant d’être transmis à l’exécutif qui le mettra en oeuvre.

Ces textes ont pour objectif de modifier le mode de nomination des présidents des sociétés nationales de programme, que sont respectivement France Télévisions, Radio France et la société de l’audiovisuel extérieur français, devenue le 27 juin dernier France Médias Monde.

Pourquoi les modifier ? En effet, depuis 2009, ces personnes étaient nommées par le Président de la République, certes après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel et après avis public des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée.

Or il nous semble que cette procédure jetait un doute sur l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif des personnes appelées à présider ces institutions importantes qui portent la responsabilité d’informer et de donner à voir ce qui compte, ce qui bouge, ce qui change dans nos sociétés, et de le faire au nom de la responsabilité publique. Il importe donc, à notre sens, que ces nominations se fassent d’une manière compatible avec les exigences d’une démocratie moderne, d’une démocratie mature. C’est le sens du texte ici présenté.

Notre collègue Michel Françaix, spécialiste connu et reconnu du monde des médias, à cette même tribune, le mardi 25 novembre 2008, mettait des mots justes et forts sur une situation à laquelle nous remédions aujourd’hui : remise en cause du dispositif anti-concentration et du droit d’auteur des journalistes ; affaiblissement des ressources de France Télévisions ; renforcement de celles des chaînes privées par l’accroissement de leur régime publicitaire ; nomination et révocation, enfin, par le Président de la République du président de France Télévisions. Le texte fut néanmoins voté, il a mené sa vie. Dont acte.

Car la loi peut tout, commettre des erreurs puis les réparer. Là est sa noblesse, son rôle : faire évoluer la société et évoluer avec elle. Souvenons-nous de l’ORTF et des temps où les sujets traités par la « grand-messe du vingt heures » étaient fixés le matin même au ministère. Souvenons aussi de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et de la mise en place de la Haute autorité de la communication audiovisuelle – devenue en 1989 le Conseil supérieur de l’audiovisuel – qui permis une véritable émancipation de l’audiovisuel public à l’égard du pouvoir exécutif et que soit instaurée une procédure transparente et objective de nomination des présidents des sociétés afférentes par une autorité administrative indépendante.

La loi organique du 5 mars 2009 a donc effectivement marqué un recul puisqu’elle consacrait la nomination des responsables de l’audiovisuel public par le Président de la République lui-même, faisant ainsi peser une présomption de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif, du pouvoir politique et de son administration.

À l’époque, il avait été argué que, finalement, ce retour à une nomination directe par le pouvoir politique était une sorte de sortie de l’hypocrisie. La belle affaire ! C’était faire fi du professionnalisme des personnes nommées au CSA, de la fierté du métier de ces professionnels, de leur souci d’indépendance, et du respect qu’ils ont – parfois même ombrageux – de leur corporation.

Car qui dit ombre dit aussi lumière. C’est en effet sur ce respect mutuel entre pouvoir d’agir et pouvoir d’informer, entre devoir d’agir et devoir d’informer que se construisent les démocraties. Et celles-ci ont besoin de corps intermédiaires pour les réguler.

Ce projet de loi restitue donc au Conseil supérieur de l’audiovisuel, autorité administrative indépendante, le soin de désigner, à la majorité de ses membres, les présidents des trois sociétés nationales de programme. Ainsi revenons-nous aux règles qui étaient applicables avant l’entrée en vigueur de la loi organique du 5 mars 2009.

Ce dispositif est pleinement conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, lequel a constamment veillé à ce que la procédure de nomination des dirigeants des sociétés nationales de programme garantisse l’indépendance de ces derniers. En témoigne d’ailleurs la décision du 26 juillet 1989 selon laquelle la nomination de ces dirigeants par le CSA permet « d’assurer l’indépendance des sociétés nationales de programme chargées de la conception et de la programmation d’émissions de radiodiffusion sonore ou de télévision et de concourir ainsi à la mise en oeuvre de la liberté de communication proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».

Cette référence nous honore. Elle montre en effet qu’il est tout à l’honneur de notre assemblée de vouloir poser de nouveau ce principe même d’indépendance intellectuelle, morale et constitutionnelle. Ce retour à la nomination des présidents des sociétés nationales de programme par une autorité administrative indépendante, en l’occurrence le CSA, permettra, comme c’était le cas par le passé, de lever tout soupçon d’immixtion du pouvoir exécutif dans ce secteur particulièrement important au regard de la préservation de la liberté de communication. Ainsi l’indépendance des sociétés audiovisuelles et de radiodiffusion publiques sera-t-elle garantie, conformément aux exigences constitutionnelles, de même que celle des journalistes.

Tirant les conséquences de ce nouveau mode de nomination, le projet de loi organique abroge, en son article 1er, la loi organique du 5 mars 2009 et supprime, en son article 2, les références aux présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France dans le tableau annexé à la loi organique no 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Mais, au-delà de l’esprit de cette loi, je souhaite en aborder maintenant la lettre.

Certains, issus de la précédente majorité, n’ont pas manqué durant les débats en première lecture de souligner que l’un des aspects positifs de la loi du 5 mars 2009 avait été de permettre aux assemblées parlementaires de rendre, à l’occasion de leur nomination, un avis sur le projet stratégique des candidats à la présidence des sociétés de l’audiovisuel public. Je tiens à cet égard, et pour répondre à d’éventuelles inquiétudes, à préciser que cette réforme-ci conserve ce principe d’une étroite association du Parlement, car les présidents nouvellement désignés transmettront au président de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’aux commissions permanentes compétentes, en l’occurrence celles des affaires culturelles, un rapport d’orientation, dans un délai de deux mois après le début de leur mandat. Et nous, parlementaires, conservons la possibilité d’auditionner, si nous le souhaitons, sur la base de ce rapport, les présidents après leur nomination. Dans le respect de la séparation des pouvoirs, cette procédure permettra donc de porter à la connaissance du Parlement les projets stratégiques des présidents de France Télévisions, de Radio France, et de France Médias Monde. Ayant connaissance du projet, nous aurons tout loisir, chers collègues, d’en mesurer ultérieurement l’accomplissement, les évolutions, les changements : il nous sera donc loisible de mesurer et de dire.

Qu’on me permette aussi d’évoquer la grande innovation de cette dernière lecture, qui prouve, s’il en était besoin, que le travail parlementaire est important, et qu’il pèse. A été introduite par le Sénat une nouvelle disposition qui soumet aussi, c’est important, la nomination du président de l’Institut national de l’audiovisuel à l’avis des commissions culturelles respectives de nos deux assemblées avant que le Président de la République ne prenne sa décision. Cette novation intéressante et inattendue marque l’arrivée de l’image animée historique dans le monde institutionnel de la culture médiatique de l’image animée vivante, cette image animée historique dont l’INA s’est vu confier la conservation et la mémoire, cette image animée historique qui est notre mémoire collective. Peut-être oeuvrons-nous ainsi, par cette innovation institutionnelle, à l’ouverture d’autres portes, par exemple pour les nominations futures des responsables de nos établissements culturels et autres lieux d’histoire et de mémoire. À travers cette disposition nouvelle, nous continuons donc à inventer la modernité et dessinons une société nouvelle articulée autour de trois piliers : le politique et son administration ; la communication et les médias ; la société civile. Il nous appartiendra donc, chers collègues, de ne pas reproduire les trois ordres du passé, la noblesse, le clergé et le tiers état, ordres par trop oublieux du peuple et qui, trop souvent, s’affrontaient ou s’arrangeaient dans les lieux feutrés des pouvoirs.

Pour nos sociétés modernes, nous assumons donc ici l’existence non seulement de contre-pouvoirs, comme l’on disait autrefois dans nos sociétés bloquées et frileuses, mais aussi de moments et de lieux explicites qui permettent l’articulation et le dialogue en public. C’est cette publicité qui permet d’éventuelles réfutations, c’est cette publicité qui est la force des démocraties.

Nous faisons donc bien oeuvre originale, une oeuvre qui bousculera bien des codes, des schémas et des habitudes : pas de nomination directe par le politique, mais un pouvoir d’audition du Parlement, et donc d’interpellation, et l’introduction des oeuvres de mémoire dans le dispositif. Dont acte : la loi avance, intègre les lois précédentes et invente l’avenir. C’est son rôle.

Je veux enfin me féliciter de la qualité du travail parlementaire sur ce texte et de l’écoute dont le Gouvernement, notamment Mme la ministre de la culture a su faire preuve. La complémentarité entre les deux chambres du Parlement a parfaitement fonctionné, au service de l’enrichissement du texte, et c’est un texte complet, ambitieux, audacieux, novateur et, oserai-je dire, innovant que nous avons l’honneur de vous demander de voter.

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