Intervention de Patrice Verchère

Réunion du 6 novembre 2013 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Verchère, rapporteur pour avis :

Mes chers collègues, nous sommes saisis, pour avis, des articles 4 ter à 22 du projet de loi de programmation militaire que le Sénat a adopté le 21 octobre dernier. Je ne ferai donc aucun commentaire sur l'ensemble du texte, bien qu'il me semble fragiliser nos capacités militaires ; je m'en tiendrai à ces vingt-quatre articles sur lesquels la Commission s'est saisie pour avis et qui traitent principalement des dispositions relatives au renseignement, du contrôle parlementaire et du cadre juridique dans lequel agissent nos services.

Les amendements que je vous présenterai, cosignés par le président de notre Commission, s'inspirent largement des préconisations du rapport que le président Urvoas et moi avions présenté en mai dernier, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement qui avait duré près de neuf mois.

Notre Commission a longuement travaillé sur ces questions. Outre que nous avons récemment auditionné le coordonnateur national du renseignement et le directeur central du renseignement intérieur, j'ai entendu les responsables de tous les services de la communauté du renseignement ainsi que le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.

Depuis la création, en 2007, de la délégation parlementaire au renseignement, la fonction « connaissance et anticipation », érigée en fonction stratégique par le Livre Blanc de la défense et la sécurité nationale de 2008, est devenue un objet de réflexion pour le législateur.

Avec ce projet de loi de programmation militaire, nous avons une occasion historique d'affermir la légitimité de nos services et de renforcer les moyens juridiques dont ils disposent. Les amendements que je vous présenterai ont pour finalité de consolider et d'adapter le contrôle parlementaire, ainsi que de conforter le Premier ministre comme interlocuteur naturel de la délégation parlementaire au renseignement.

J'en viens aux articles sur lesquels nous devons formuler un avis.

Les articles 4 ter à 4 sexies contiennent des dispositions relatives au contrôle parlementaire de l'exécution de la loi de programmation. Ils ont été introduits dans le texte sur l'initiative de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Dans mon rapport écrit, je m'interrogerai sur l'article 4 ter, qui confie, sans fondement organique, des pouvoirs d'investigation sur pièces et sur place aux membres des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées de la défense, mais, à ce stade, je ne vous proposerai pas d'amendement.

À l'article 4 quinquies, le Sénat prévoit – là encore sans fondement organique – que les communications de la Cour des comptes seront transmises non seulement aux commissions des Finances, mais également, dans leur domaine de compétence, aux commissions chargées de la défense. Comme il n'existe aucune raison de réserver un sort particulier à ces dernières, je suggère d'étendre cette disposition à chaque commission permanente, dans son domaine de compétence.

L'article 5 renforce les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement. Celle-ci se voit ainsi reconnaître la mission générale d'exercer le contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement en matière de renseignement et d'évaluer la politique publique en ce domaine. Je présenterai plusieurs amendements ayant pour objectif de rendre plus cohérente la présentation des missions de la délégation et de préciser la nature des informations dont celle-ci dispose, de manière à lever toute ambiguïté.

Je propose ainsi que la délégation se voie communiquer des éléments d'information issus du plan national d'orientation du renseignement, plutôt que le plan lui-même, afin d'éviter qu'un autre document soit élaboré dans le seul but de ne pas communiquer aux parlementaires certaines informations.

Je propose également que la délégation puisse solliciter du Premier ministre la communication de tout ou partie des rapports de l'inspection des services de renseignement, ainsi que des rapports des services d'inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence. Cette rédaction me paraît plus judicieuse que celle retenue par le Sénat, qui prévoit la transmission systématique des rapports d'inspection, disposition qui pourrait être interprétée comme constituant une injonction au Gouvernement, ce que la Constitution ne permet pas. En outre, il ne semble pas opportun que la délégation se voie communiquer des rapports portant sur le détail de l'organisation des services – même si le contenu de certains d'entre eux peut lui être précieux.

S'agissant de la composition de la délégation, je suggère que les présidents des commissions chargées de la sécurité intérieure – en l'espèce, les commissions des Lois – et des commissions chargées de la défense ne soient plus membres de droit. Ils pourront naturellement être désignés par le président de l'assemblée concernée si ce dernier le souhaite, mais l'objectif est d'ouvrir la délégation aux parlementaires particulièrement intéressés par cette thématique. Ces nominations permettront en outre de consolider le pluralisme de la délégation.

Le Sénat a prévu, au terme d'un long débat, que celle-ci pourra entendre les agents des services de renseignement. Je vous invite à reprendre le texte d'un sous-amendement du Gouvernement rejeté par le Sénat, qui proposait que les directeurs puissent se faire accompagner des collaborateurs de leur choix, mais en ajoutant que ce choix serait guidé par l'ordre du jour de la délégation. Cette rédaction permettrait de consacrer à la fois la responsabilité du chef de service et le pouvoir d'évocation de la délégation.

Enfin, il conviendrait que les observations et recommandations de la délégation soient « adressées » au président de chaque assemblée, et pas seulement « transmises ». Bien évidemment elles seront également adressées au président de la République et au Premier ministre. Il serait paradoxal qu'un organe parlementaire ait pour vocation d'informer en priorité l'exécutif. Je vous proposerai donc une rédaction plus équilibrée.

L'article 6 fait de la commission de vérification des fonds spéciaux une formation spécialisée de la délégation parlementaire au renseignement ; ses quatre membres seront donc membres de celle-ci. Nous proposons de préciser qu'ils seront désignés « de manière à assurer une représentation pluraliste ». Cette formulation est en effet préférable à celle retenue par le Sénat, qui évoque une parité entre la majorité et l'opposition ; or, si cette dernière est définie juridiquement, ce n'est pas le cas de la première – nous savons tous qu'une majorité peut fluctuer au gré des événements…

En outre, de manière à souligner que la commission de vérification conservera sa spécificité et son identité, il serait bon de préciser que le poste de président est maintenu et que son titulaire sera choisi chaque année.

Il conviendrait également que le rapport de cette commission soit remis au Premier ministre, et non à chacun des ministres concernés, de manière à conforter celui-ci comme interlocuteur naturel des instances parlementaires chargées du contrôle du renseignement. L'amendement que je présenterai prévoit également que l'information soit livrée d'abord aux présidents et rapporteurs généraux des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances, puis au président de la République et au Premier ministre.

L'article 7 permet l'audition d'agents des services de renseignement en dehors des tribunaux et des locaux des services enquêteurs, afin de préserver leur anonymat.

Les articles 8 et 9 étendent les possibilités, pour les agents de renseignement, de consulter des fichiers administratifs tels que les fichiers nationaux des immatriculations, des permis de conduire, des cartes nationales d'identité ou des passeports.

L'article 10 instaure un Passenger name record (PNR) français, dans l'attente de la publication d'une directive européenne. Ce fichier, placé sous la responsabilité des ministres chargés de l'intérieur, de la défense, des transports et des douanes, sera mis en oeuvre par une « unité d'information passagers », composée de membres des services de la douane, de la police et de la gendarmerie. Je présenterai un amendement visant à garantir que les données « sensibles » – données à caractère personnel susceptibles de révéler l'origine « raciale » ou ethnique d'une personne, ses convictions religieuses ou philosophiques, ses opinions politiques, son appartenance à un syndicat, ou données concernant sa santé ou sa vie sexuelle – seront exclues du dispositif.

Les articles 11 et 12 permettent aux services de renseignement du ministère de la défense d'accéder aux fichiers de police judiciaire dans le cadre d'enquêtes administratives ou d'interventions.

L'article 13, extrêmement important, clarifie le cadre juridique relatif à la géolocalisation en temps réel. La commission des Lois du Sénat a estimé que celle-ci se rapprochait, en termes d'atteinte aux libertés, d'une interception de sécurité ; elle a d'autre part observé que son insertion dans l'article L. 34-1-1 du code des postes et des communications électroniques la cantonnait à un usage antiterroriste, alors que les services de renseignement peuvent en avoir besoin pour les finalités plus larges prévues par la loi du 10 juillet 1991. Elle a donc opéré la fusion des dispositifs de recueil des données de connexions, sur le modèle des interceptions de sécurité. Le président Urvoas et moi vous proposons d'aller jusqu'au bout de cette logique et d'aligner la durée d'autorisation de la géolocalisation sur celle applicable en matière d'interception de sécurité, soit quatre mois – au lieu des dix jours renouvelables retenus par le Sénat.

Les articles 14, 15, 16, 16 bis et 16 ter traitent de la protection des infrastructures vitales contre la cybermenace.

Les articles 17 à 21 comportent des dispositions relatives au traitement pénal des affaires militaires. L'article 17 prévoit que la mort violente d'un militaire au cours d'une action de combat se déroulant dans le cadre d'une opération militaire est présumée ne pas avoir une cause inconnue ou suspecte. Puisqu'il s'agit d'une présomption simple, l'officier de police judiciaire des forces armées ne pourra ouvrir d'enquête sur les recherches des causes de la mort que s'il apporte des éléments tendant à indiquer que les circonstances de celle-ci sont inconnues ou suspectes.

Enfin, l'article 22 étend la protection fonctionnelle aux ayants droit des militaires décédés en opérations ainsi qu'à ceux de certains personnels civils.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion