Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 5 novembre 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, corapporteur :

La Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale a eu la volonté de se saisir de la question de l'agriculture ultramarine le 26 février 2013.

La réflexion s'est orientée autour de quatre grands thèmes : les structures agricoles, l'installation des jeunes agriculteurs, le statut social des agriculteurs et enfin, le fonctionnement des filières agricoles.

Au terme de ce vaste examen de toutes les composantes de l'agriculture ultramarine, le rapport a conclu avec trente-neuf propositions qui doivent, selon les rapporteurs, constituer comme autant d'éléments pour une réforme ambitieuse dans ce secteur d'avenir.

Je vais d'abord présenter à grands traits les caractéristiques principales de l'agriculture outre-mer ; ensuite, je m'attacherai à décrire les problèmes liés aux structures foncières, ainsi que les solutions que préconise le rapport pour faire face à ces problèmes.

Mme Chantal Berthelot fera de même pour les trois thématiques concernant l'installation des jeunes, le statut des agriculteurs et le fonctionnement des filières agricoles.

Quelques mots donc sur les caractéristiques principales de l'agriculture outre-mer. En effet, les agricultures des départements et des collectivités d'outre-mer sont diverses mais on peut distinguer un certain nombre de points communs :

– dans les DOM, l'agriculture représente, en terme de poids économique et d'emplois, le double de ce que représente ce secteur en métropole ;

– les agricultures ultramarines sont des agricultures de type tropical ; elles nécessitent donc l'utilisation de produits phytosanitaires ;

– elles ont appris à se tourner néanmoins, et de manière tout à fait résolue, vers l'agro-écologie ; un exemple remarquable, en ce sens, est la culture de la banane qui n'utilise presque plus de pesticides ; mais on peut citer aussi la canne à sucre qui – avec son dérivé : la bagasse – alimente la biomasse ;

– au niveau des structures agricoles, il convient de noter la prééminence des petites exploitations gérées en faire-valoir direct (de 2 à 5 hectares en fonction des territoires) ;

– ces petites exploitations coexistent avec de grands domaines dédiés aux cultures traditionnelles : la canne à sucre et la banane ;

– les grands domaines, via des organisations professionnelles, exportent leurs productions vers le marché européen et même, au-delà, vers des marchés mondiaux sectorisés ;

– l'ensemble des produits agricoles ultramarins subit une forte concurrence, tant sur les marchés locaux que sur les marchés mondiaux ; cette concurrence émane notamment des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et également, dans une large mesure, des États-Unis ;

– enfin, on assiste actuellement à l'essor de filières agricoles de diversification, animale et végétale, en vue d'améliorer l'autosuffisance dans les approvisionnements des consommateurs locaux ;

– cette diversification n'assure pas, cependant, l'autonomie alimentaire complète des territoires et tous, globalement, sont encore importateurs nets de produits agricoles, malgré quelques belles réussites, notamment à La Réunion ;

– À noter, bien entendu, que, sur ce problème de l'autonomie alimentaire, il n'est pas question seulement d'équilibre entre les filières ; les structures de consommation entrent aussi en ligne de compte, si bien que l'on ne peut pas tout imputer à l'économique.

À partir de ce panorama, le rapport s'est attaché à analyser tout particulièrement la question des structures foncières outre-mer.

En fait, les structures foncières outre-mer sont en butte à quatre grands problèmes, problèmes qui déterminent beaucoup d'autres difficultés auxquelles l'agriculture ultramarine se trouve confrontée.

Ces quatre problèmes sont les suivants :

– tout d'abord, à cause de la pression foncière et de la hausse des prix des terrains constructibles, les superficies agricoles diminuent chaque année (sauf en Guyane) et on note la présence, dans les DOM, de multiples jachères dont les propriétaires espèrent qu'après déclassement, elles pourront devenir des terrains destinés à l'habitat ; il est d'ailleurs difficile de prendre l'exacte mesure des jachères dans les DOM, car les statistiques du ministère de l'Agriculture présentent la superficie en jachère des exploitations existantes ; mais si la jachère concerne une exploitation qui a cessé de fonctionner depuis plusieurs années, elle n'est plus comptabilisée ; de même, si les jachères se sont boisées, leur recensement devient problématique ;

– les agriculteurs vendent aussi leurs terrains par lots pour s'assurer des liquidités en fin de carrière ; ces lots font l'objet de constructions multiples à usage d'habitation, de telle sorte que les parcelles cadastrales connaissent le phénomène du mitage, c'est-à-dire du zonage mixte agricole-urbain ; or, sur de telles parcelles mixtes, les SAFER ne peuvent pas exercer leur droit de préemption ;

– les SAFER n'ont d'ailleurs pas assez de ressources ; leurs ressources proviennent principalement de la différence entre le prix des préemptions et le prix des reventes de parcelles ; mais le propriétaire d'une parcelle préemptée peut toujours retirer le bien immobilier de la vente ; d'autre part, la différence entre les deux prix ne dégage pas des plus-values très conséquentes ;

– enfin, les jeunes agriculteurs, faute d'un patrimoine suffisant, et du fait également du manque d'exploitations disponibles – à cause de la multiplication des indivisions au décès des agriculteurs âgés qui paralysent la transmission des entreprises – n'arrivent pas à s'installer ; ils deviennent exploitants assez tard (en moyenne à 35 ans) et ils doivent souvent pratiquer des activités secondaires pour compléter le revenu tiré de leur activité agricole ;

Ce phénomène de la pluriactivité est d'ailleurs un phénomène ancien. Autrefois, j'ai été conduit à consacrer un rapport à cette question. Très exactement, le rapport portait sur les droits des pluriactifs.

Face à ces quatre problèmes, le rapport a suivi, lui-même, quatre pistes :

– En ce qui concerne la sauvegarde du foncier agricole, il est apparu, au cours des auditions, que les CDCEA (Commissions départementales de consommation des espaces agricoles) étaient des organismes très bien adaptés, quoique d'instauration récente.

Le rapport propose donc d'améliorer le fonctionnement de ces commissions en leur fournissant, bien avant leur saisine officielle, des études d'impact sur les incidences éventuelles, dans le domaine agricole, des projets élaborés au niveau départemental. Ce dispositif sera de nature à faciliter l'examen des dossiers par les CDCEA et il leur permettra même de participer, en amont, à l'élaboration des projets à incidence agricole.

– Il faut aussi améliorer l'environnement de ces commissions, c'est-à-dire le fonctionnement des instruments qui – en dehors de l'intervention des CDCEA sur des projets précis pour donner un avis conforme – empêchent le déclassement des terres agricoles au jour le jour et font que les espaces agricoles restent dédiés à leur fonction. Le rapport détaille plusieurs pistes en ce domaine. En particulier, il faut simplifier la procédure de définition des ZAP (Zones agricoles protégées).

– Il faut également donner des moyens financiers et techniques complémentaires aux SAFER. C'est ainsi que le rapport propose de donner la possibilité d'affecter aux SAFER une petite partie des recettes issues de la taxe spéciale d'équipement prélevée en faveur des établissements publics fonciers urbains et de leur donner également la possibilité de préempter sur les zones mixtes.

– Enfin, pour faciliter l'installation des jeunes agriculteurs, il est néces-saire de remettre le foncier en mouvement, c'est-à-dire, d'une part, d'accroître l'usage des modes de cession juridique existants qui, en permettant la transmission progressive des exploitations, sont susceptibles d'éviter les indivisions ( par exemple, le mandat à effet posthume) et, d'autre part, de réfléchir sur des moyens juridiques innovants, notamment des moyens sociétaux, permettant d'aboutir à des buts similaires (par exemple, la fiducie).

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion