Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 15h00
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Présentation

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

C’est un fait que certains peuvent déplorer, mais qu’il est difficile de nier.

Dans ces conditions, nous pensons qu’il n’est envisageable ni de renoncer à cette capacité, ni de diminuer les options que l’existence des deux composantes offre au chef de l’État, chef des armées. Voilà le choix que nous défendons, dans le débat qu’appelle de ses voeux, notamment, M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

Protéger le territoire, assurer la dissuasion nucléaire, intervenir à l’extérieur du territoire national, pour des missions de guerre ou de gestion de crise : peu de nations dans le monde ont la capacité d’assurer simultanément ces trois missions, en engageant de tels moyens matériels et humains. Peu, de la même façon, sont en mesure de faire reposer leur force militaire sur une industrie figurant parmi les premières au monde. C’est le cas de la France, et notre démarche vise à consolider cet ensemble. Je vois, dans ce projet, une réelle continuité avec les engagements pris de manière constante sous la Ve République.

En 2019, si nous suivons cette trajectoire, non seulement nous maintiendrons nos capacités militaires effectives parmi les premières au monde, mais nous serons au premier rang stratégique en Europe.

Je tiens à le rappeler ici : les équipements et les programmes de modernisation sont au coeur de cette loi, de même que le maintien de la qualité exceptionnelle, partout reconnue, des hommes et des femmes qui servent nos armées. Les effectifs militaires prévus par cette loi placeront la France, en 2019, au premier rang européen, avec 187 000 militaires sur les 242 000 hommes et femmes que comptera alors la mission « Défense ». À cette même date, il y aura, selon les données disponibles à ce jour, un peu moins de 185 000 militaires en Allemagne et à peu près 145 000 militaires au Royaume-Uni, pour ne citer que ces exemples.

Voilà la réalité du texte que j’ai l’honneur de défendre devant vous et de la politique de défense que nous conduirons demain, grâce à vous, mesdames, messieurs les députés.

Cette autonomie stratégique fonde une capacité d’initiative sur laquelle le Président de la République n’a cessé d’insister et qui est la marque de son projet pour nos armées et notre stratégie de défense et de sécurité. Elle est également source, pour notre pays, de nouvelles responsabilités, que nous exercerons.

Être autonome, d’ailleurs, cela ne veut pas dire être seul : aussi notre stratégie intègre-t-elle également la mobilisation de nos alliances.

Il y a d’abord l’Europe, à laquelle ce projet de loi de programmation militaire s’attache, en cohérence avec les orientations prises par François Hollande dès le début de son mandat. Je souhaite y insister devant vous, à quelques jours du Conseil européen qui sera consacré, pour la première fois depuis cinq ans, grâce, notamment, à l’effort de mobilisation de la France, à la politique de défense. L’enjeu sera de donner une impulsion à la fois politique et pragmatique dans les domaines opérationnels, capacitaires et industriels de la sécurité commune.

Conformément à ma vision de l’Europe de la défense, nous avançons maintenant sur des pistes concrètes : l’adoption d’une stratégie européenne de sûreté maritime, dont les points d’application seront la corne de l’Afrique, le golfe de Guinée et la Méditerranée ; l’engagement accru de l’Union européenne au Sahel – au Mali mais aussi à l’échelle de la région –, l’accent étant placé sur le contrôle des frontières, à commencer par les frontières libyennes ; les progrès accomplis dans la mise en place d’une flotte européenne de ravitailleurs en vol et l’élargissement du commandement européen pour le transport aérien militaire, dit EATC ; le lancement d’une première étape en vue d’une solution européenne pour la prochaine génération de drones de surveillance, post 2020 ; et, au plan industriel, la mise en place d’un mécanisme d’incitation fiscale pour encourager les projets d’équipement en coopération.

Après le dernier conseil des ministres de la défense, il y a quelques jours, toutes ces avancées ont vocation à être approuvées et approfondies au niveau des chefs d’État, en décembre.

Vous aurez d’ailleurs observé que, dans ce projet de loi de programmation, nous avons conservé de manière systématique tous les programmes d’équipement menés en coopération européenne : frégates multimissions, Airbus A 400 M, hélicoptères NH 90 et TIGRE, système multinational d’imagerie spatiale pour la surveillance, système sol-air de moyenne portée terrestre. Et nous prévoyons d’en lancer deux autres : le missile antinavire léger et le système de lutte anti-mines du futur.

La mutualisation européenne est aussi un leitmotiv de la présente loi. Nous en parlerons également au Conseil européen de décembre, spécialement pour des capacités militaires clés comme le transport aérien, le ravitaillement en vol, l’action aéronavale, l’espace militaire, la logistique ou la formation.

Il y a ensuite l’alliance atlantique, et nous voyons la pleine participation de la France dans les structures de commandement comme le complément naturel de notre démarche européenne. Ce sera précisément l’occasion de développer notre vision et notre place, celle des Européens au sein de l’alliance. Comme l’a souligné le rapport de M. Hubert Védrine, qui a fait l’objet d’un large accord, nous devons développer sans complexe une présence active à tous les niveaux de l’Organisation atlantique et nous appuyer sur celle-ci pour la coopération de défense transatlantique.

Il y a enfin tous les partenariats stratégiques que la France noue à travers le monde, avec des interlocuteurs historiques mais aussi avec des puissances nouvelles de premier rang. Nous devons pouvoir aussi appuyer sur eux notre stratégie de défense.

Pour développer cette stratégie dans un cadre financier que nous avons ajusté au mieux, nous avons marqué un certain nombre de priorités, à commencer par la préparation opérationnelle et l’équipement des forces armées.

Priorité est donnée tout d’abord à l’entraînement et à l’activité de nos forces. À dire vrai, ils conditionnent la valeur de nos soldats au combat, laquelle a été illustrée par chacune des interventions dans les crises qui ont eu lieu ces derniers mois. Sans préparation opérationnelle efficace et suffisante, il n’y a pas de capacité militaire à la hauteur ni d’armée professionnelle crédible. Or, depuis 2010, à l’exception des opérations extérieures, un fléchissement préoccupant de l’activité opérationnelle a été constaté et je me suis personnellement engagé sur ce dossier très difficile.

La présente programmation vise à maîtriser puis à inverser cette évolution, en maintenant d’abord puis en redressant peu à peu le niveau de la préparation opérationnelle. Ainsi, les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels progressent en moyenne de 4,3 % par an en valeur, pour s’établir à un montant annuel moyen de 3,4 milliards en euros courants sur la période, contre 2,9 milliards d’euros sur la période précédente.

Notre préoccupation, ce n’est pas d’avoir une grande armée sur le papier mais de pouvoir disposer, chaque fois que nous devons les engager, de soldats bien entraînés et bien équipés. C’est la priorité qui justifie toutes les autres.

La priorité est ensuite donnée aux équipements. Là encore, je veux souligner l’effort important qui sera réalisé, puisque nous prévoyons que les crédits d’équipement augmenteront régulièrement au cours de la période 2014-2019. En 2013, 16 milliards d’euros ont été consacrés aux équipements. L’effort s’élèvera à 17,1 milliards d’euros en moyenne annuelle sur l’ensemble de la période, pour atteindre 18,2 milliards d’euros en 2019. Malgré la contrainte qui pèse sur le budget et en raison de l’impératif du renouvellement de nombre de nos équipements, qui vieillissent, les grands programmes déjà lancés seront tous maintenus et une vingtaine de nouveaux programmes seront lancés.

À cela s’ajoutent les précautions que nous avons prises en ce qui concerne le financement de l’entrée en programmation, que je vous ai présentées tout à l’heure. Dans ces conditions, je peux vous annoncer ce soir que le lancement, dès l’année 2013, de plusieurs nouveaux programmes marquant le début de notre programmation est bel et bien assuré, comme je m’y étais engagé devant la commission.

Seront ainsi lancés dès la fin de l’année 2013 les programmes suivants : le missile moyenne portée, le MMP, qui prendra la succession des missiles Milan et qui est essentiel à la fois pour l’armée de terre et pour notre industrie missilière ; les travaux du nouveau standard du Rafale, qui permettront d’en améliorer les capacités, en y intégrant notamment le missile Meteor et un pod de désignation laser de nouvelle génération, lequel sera d’ailleurs lancé dans quelques jours ; le missile anti-navire léger ou ANL, que nous mènerons en coopération avec nos partenaires britanniques ; les nouveaux radars du système de commandement et de conduite des opérations aériennes ou SCCOA, programme conduit par Thalès, pour protéger le territoire national ; les bateaux multi-missions destinés à l’outre-mer. Tous ces contrats seront lancés conformément au calendrier prévu.

En outre, sur l’ensemble de la période couverte par la loi de programmation militaire, un grand nombre d’équipements seront livrés. Parmi ceux-ci, en application du principe de différenciation, certains illustrent plus particulièrement notre capacité à prendre part à un conflit majeur : les prochains Rafale, bien sûr, un sous-marin Barracuda, cinq nouvelles frégates de premier rang multi-missions FREMM, seize hélicoptères Tigre. Le porte-avions Charles de Gaulle, qui va connaître un arrêt technique majeur, concourt également à cette capacité d’entrée en premier. Quant aux chars Leclerc, leur rénovation sera elle aussi programmée au cours de cette période.

D’autres livraisons viendront plus directement conforter nos capacités de gestion de crise. Je pense aux drones de surveillance – drones tactiques et drones de moyenne altitude et longue endurance ou MALE –, au programme Scorpion pour l’armée de terre, qui débutera l’an prochain, aux hélicoptères NH90 tant pour l’armée de terre que pour la marine, ou à nos capacités logistiques avec les bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers. À ces livraisons, il faut ajouter les rénovations des Mirage 2000, des frégates La Fayette et des Atlantique 2. Parmi ces équipements, bien sûr, un certain nombre sera polyvalent. Nous recevrons ainsi sur cette période les satellites du programme MUSIS ou multinational space-based system, cent cinquante MMP, les premiers avions ravitailleurs MRTT ou multirole tranport tanker et quinze Airbus A 400 M.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, nous avons fait des choix. Notre objectif est de préparer nos armées à mener les guerres de demain et à faire face aux menaces du futur.

Nous avons donc d’abord choisi d’écarter les scénarios de rupture dans nos capacités militaires et industrielles. Nous maintenons ainsi les neuf secteurs de compétence majeurs de l’industrie de défense : l’aéronautique de combat, les missiles, l’aéronautique de transport, les hélicoptères, les sous-marins, les navires armés de surface, l’armement terrestre, le renseignement et la surveillance, les communications et les réseaux. Qui serait prêt d’ailleurs à sacrifier l’un d’entre eux, alors que leur existence est l’une des clés de notre autonomie stratégique ?

Nous avons fait un deuxième choix : mettre en oeuvre des principes de mutualisation et de différenciation pour l’ensemble de ce nouveau modèle d’armée. Ces principes constituent un tournant et devraient permettre d’optimiser nos moyens.

J’ajoute un troisième choix, qui me tient particulièrement à coeur et qui concourt directement à la préparation de l’avenir : la poursuite, voire le renforcement d’un effort substantiel en recherche et technologie. C’est un objectif majeur de ce projet de loi : les crédits consacrés aux études amont sont ainsi en hausse par rapport à la période précédente et s’élèvent à plus de 730 millions d’euros en moyenne annuelle pour la période 2014-2019. Pour citer un exemple parmi d’autres, il est prévu un financement de plus de 700 millions d’euros pour le projet du futur drone de combat ou UCAV, unmanned combat aerial vehicle.

Cet effort accompli pour les équipements, qu’il s’agisse de la préservation des livraisons, du lancement de nouveaux programmes ou de l’engagement de nouvelles recherches, bénéficiera non seulement à nos forces mais aussi directement à nos industries de défense. Ces dernières, je l’ai dit, sont au coeur de l’autonomie stratégique que nous préconisons. Avec 4 000 entreprises, dont une majorité de PME et d’ETI, avec 165 000 emplois directs, hautement qualifiés et donc peu délocalisables, avec un chiffre d’affaires global d’environ 15 milliards d’euros réalisé pour 30 à 40 % à l’exportation, elles sont aussi un extraordinaire moteur pour notre économie et un formidable levier pour l’emploi et la compétitivité.

À cet égard, je voudrais rappeler certaines des inflexions majeures et marquantes attachées à ce projet, dans la droite ligne des annonces du Livre blanc approuvé par le Président de la République : l’amplification de l’effort en matière de renseignement – j’y reviendrai – et la réalisation de programmes d’équipement trop souvent retardés dans ce domaine ; l’adaptation au combat moderne, avec un effort particulier en faveur des forces spéciales, en effectifs, équipements, organisation interarmées et capacités aéromobiles, ainsi que des moyens interarmées de ciblage précis ; le développement de la cyberdéfense, que j’ai déjà évoqué ; le lancement effectif de l’acquisition des ravitailleurs en vol. Mesdames, messieurs les députés, tel est dans ses grandes lignes le renouvellement de la politique de défense que nous proposons pour les six ans à venir, renouvellement qui s’insère dans la perspective à quinze ans tracée par le Livre blanc.

Cependant, au-delà de ce renouvellement, le caractère fondamental de ce texte repose sur sa dimension normative, qui nous a beaucoup mobilisés, tant au ministère qu’au sein des commissions, et qui constitue l’autre volet de cette préparation de l’avenir.

En cohérence avec l’effort concernant nos capacités d’action, il pose en effet un cadre législatif dans trois domaines majeurs pour nos armées et, au-delà, pour la sécurité nationale : le renseignement, la cyberdéfense et les droits des personnels. Chacun de ces trois axes imprime une marque particulière au présent projet de loi.

Je commence par le renseignement, pièce essentielle de notre autonomie stratégique. Le projet de loi définit un équilibre politique clair entre, d’une part, l’accroissement des moyens techniques, humains et juridiques des services, et, d’autre part, le renforcement légitime, souhaité par le Gouvernement comme par vos commissions, du contrôle parlementaire de cette activité. Permettez-moi de saluer le fait que les différentes avancées issues de l’examen du texte par le Sénat aient été confortées par le travail mené dans cette enceinte, aussi bien par la commission de la défense que par la commission des lois, en particulier son président M. Jean-Jacques Urvoas et son rapporteur M. Patrice Verchère.

Concernant les moyens, et alors que des retards ont été accumulés ces dernières années en matière d’équipement, l’effort sera amplifié, et réparti selon quatre priorités : l’imagerie – satellites CSO ou composante spatiale optique du programme MUSIS, drones MALE, avions intelligence, surveillance, reconnaissance ou ISR légers –, le renseignement d’origine électromagnétique – système d’écoute CERES à trois satellites, charges utiles pour les aéronefs et pour les drones –, les moyens techniques mutualisés d’interception et la création nette de postes au profit de la direction centrale du renseignement intérieur, de la direction générale de la sécurité extérieure et de la direction du renseignement militaire.

Le cadre normatif s’adapte aussi pour offrir de nouvelles possibilités aux services, pour améliorer leurs moyens dans leurs missions de lutte contre les réseaux terroristes, les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ou l’espionnage ; nous aurons l’occasion d’en débattre lors de la discussion des amendements.

Permettez-moi à cet égard de souligner que le Gouvernement veille scrupuleusement au maintien de l’équilibre, fondamental dans nos démocraties, entre les moyens investis pour garantir la sécurité et le souci de préserver les libertés publiques et la vie privée. Plusieurs dispositions portent la marque de cette orientation.

De plus, en contrepartie de l’effort d’augmentation des moyens, le projet de loi organise un net renforcement du contrôle des services de renseignement. À la suite du précédent Livre blanc, qui a conforté le rôle du coordonnateur national du renseignement placé auprès du Président de la République, il prévoit en effet la mise en place d’une fonction d’inspection des services de renseignement qui pourra être actionnée par le Premier ministre et les ministres en charge du renseignement.

Surtout, instruits par les premières années d’expérience de la délégation parlementaire au renseignement, nous avons inséré dans ce projet de loi des dispositions qui entérinent un saut qualitatif important des compétences de contrôle de l’activité gouvernementale exercées par cette délégation. Elle se voit pour la première fois reconnaître explicitement cette fonction de contrôle, dans un cadre respectueux des prérogatives du pouvoir exécutif tel que le trace le Conseil constitutionnel. Bénéficiant de la protection qu’offre l’habilitation au secret de la défense nationale, la délégation aura la capacité de connaître l’ensemble de la dépense publique dans ce domaine sensible. Elle intégrera en son sein une formation spécialisée pour le contrôle des fonds spéciaux, qui se substituera à l’actuelle commission de vérification. Elle aura par ailleurs connaissance des principaux documents d’orientation gouvernantt l’activité des services. Elle pourra régulièrement dialoguer avec les directeurs des services sur la mise en oeuvre de leur mission.

J’en viens au deuxième axe d’efforts dans cet aspect normatif auquel il est consacré des développements majeurs dans le texte : la cyberdéfense. Alors que la vulnérabilité de l’appareil d’État et des entreprises croît au même rythme que la dépendance de la nation aux systèmes d’information, le cyberespace est devenu un champ de confrontation à part entière. C’est donc un enjeu absolument stratégique, dont nous devons nous saisir. Ce sera pour moi, n’en doutez pas, une priorité de premier rang, car nous n’en sommes qu’au début en la matière.

Ce projet de loi en tire toutes les conséquences en adaptant notre droit, pour la première fois dans un tel cadre, aux nouveaux défis que nous posent les cyber-menaces. Il établit ainsi la compétence du Gouvernement pour imposer des règles aux opérateurs, en explicitant, dans le code de la défense, les responsabilités du Premier ministre et les moyens de ses services en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information stratégiques. Il autorise explicitement et pour la première fois, en des termes qui ont été validés par le Conseil d’État, la neutralisation de systèmes attaquant nos infrastructures numériques.

Au-delà de ces évolutions normatives, le projet prévoit le développement de nos capacités militaires et non militaires, défensives mais aussi offensives, notamment par la mise en place d’une chaîne opérationnelle, centralisée au niveau du centre de planification et de conduite des opérations ou CPCO de l’état-major des armées, ainsi qu’un renforcement des moyens humains. Plusieurs centaines de spécialistes seront ainsi recrutés. Un effort financier significatif, enfin, permettra l’acquisition de nouveaux équipements ainsi que la réalisation d’études amont.

Le troisième axe d’efforts porte sur le dialogue social et la concertation militaire. Il s’est vu substantiellement renforcé par les travaux de la présidente de la commission de la défense, Mme Patricia Adam, et de la corapporteure, Mme Geneviève Gosselin-Fleury. L’initiative des rapporteures, à laquelle je souscris totalement, consacre en premier lieu une avancée importante pour le dialogue social bénéficiant aux personnels civils. Elle élargit en effet le périmètre des compétences du comité technique ministériel aux questions d’organisation et de fonctionnement, en abolissant une interdiction de principe propre au secteur de la défense qui figurait dans la loi de 1984. Elle respecte, pour autant, la spécificité de la défense en écartant de ce périmètre le domaine des organisations strictement militaires pour des raisons tenant aux prérogatives et au commandement opérationnels que chacun comprend bien.

Nous venons en outre de lancer à la demande du Président de la République un chantier important : la rénovation de la concertation militaire. J’ai saisi l’ensemble des chefs militaires et acteurs du dialogue dans les armées pour que des propositions soient faites lors de la quatre-vingt-dixième session du Conseil supérieur de la fonction militaire qui se tiendra le mois prochain.

Le rapport annexé à la loi conforte cette démarche et propose quelques pistes en préconisant par exemple d’étudier la mise en place d’instances de dialogue militaire complémentaires au niveau des autorités d’emploi. En sus des instances existantes, CFM et CSFM, qui ont pour vocation éminente d’examiner les sujets statutaires, ces instances nouvelles offriraient un échelon pertinent et rapproché pour aborder les questions d’organisation et de fonctionnement des services qui les emploient.

Priorités opérationnelles, capacitaires, industrielles et sociales ; adaptation de notre environnement juridique. Pour concrétiser ces orientations, tout en assumant la gamme de ses missions, le ministère de la défense doit par ailleurs consentir des économies sur le fonctionnement et sur la masse salariale. Ce sont ces économies qui garantissent l’équilibre global de la programmation militaire.

Dans un contexte marqué par plusieurs déflations successives depuis 1995, je n’ai jamais caché, ni ici, ni au Sénat, ni en commission, qu’une nouvelle diminution serait difficile à réaliser, qu’elle appellerait de notre part des efforts d’accompagnement, d’analyse et d’explications, tout particulièrement auprès des personnels. Nous nous y sommes donc préparés.

Au titre de la présente loi de programmation militaire, 23 500 emplois seront supprimés, en plus des 10 500 qui étaient déjà inscrits dans la loi précédente.

Ces déflations sont certainement difficiles à réaliser. Je comprends le trouble qui peut gagner en particulier la communauté militaire, par ailleurs sollicitée sur de nombreux théâtres d’opérations. Mais qu’en est-il vraiment ?

J’observe tout d’abord, s’agissant des effectifs strictement opérationnels, que la réorganisation des armées, aussi difficile soit-elle, est en cohérence avec les choix opérationnels que nous avons effectués. Je pense en particulier aux nouveaux contrats opérationnels des armées, précisés dans le Livre blanc et que reprend la présente loi. J’entends dire qu’il faudrait en rester aux contrats opérationnels du précédent Livre blanc. Mais le chef d’état-major des armées lui-même les jugeait irréalistes dès le début de l’année 2011, pour les raisons que j’ai précédemment indiquées. Et je rappelle ce qu’il en est du positionnement en Europe des effectifs militaires de la France aux termes de la présente loi.

Les effectifs proprement opérationnels ne devront pas représenter plus du tiers des déflations, et nous poursuivrons résolument l’effort de recrutement conduit chaque année par nos armées. Je rappelle qu’il représente de l’ordre de 17 000 jeunes chaque année. Il doit se poursuivre car nous avons besoin d’une armée jeune, c’est pour nous un impératif.

Dans leur grande majorité, les diminutions d’effectifs reposeront sur un effort important touchant l’administration au sens large et l’environnement des forces : il s’agit de réduire les coûts de fonctionnement et d’alléger une structure qui demeure encore, dans bien des domaines, complexe et non optimisée par rapport à nos besoins.

La réorganisation qu’impliquent ces diminutions d’effectifs reposera donc sur quelques principes simples, ainsi qu’un dispositif de grande ampleur que je suivrai personnellement. La priorité sera donnée, je l’ai dit, aux forces opérationnelles, pour leur garantir la capacité de remplir leurs missions. Le personnel bénéficiera des dispositions d’accompagnement social qui devront permettre aux départs, lorsqu’ils sont nécessaires, de se dérouler dans les meilleures conditions. C’est l’objet des mesures qui figurent dans le projet de loi, telles que les pécules ou la promotion fonctionnelle.

Au total, c’est un plan d’accompagnement de près d’un milliard d’euros qui est prévu au titre des outils financiers d’incitation à la mobilité et au départ.

Concernant les restructurations liées à ces déflations, mon objectif est de préserver au maximum les liens qui unissent les armées et les territoires. Mais ma démarche est aussi, pour les rares sites qui seront amenés à fermer, de permettre une transition dans les meilleures conditions possibles. Pour ce faire, un accompagnement économique est inscrit dans le projet de loi, qui tire les enseignements des précédentes restructurations. Désormais, contre la dérive de l’éparpillement, les actions de l’État seront davantage concentrées, avec 150 millions d’euros au total pour les territoires les plus affectés.

Dans un ministère dont la solidité doit être à toute épreuve, je sais que de telles évolutions, qui visent précisément à asseoir notre politique de défense sur des bases plus solides, peuvent néanmoins générer des inquiétudes et des fragilités transitoires. Ce sera pour moi une vigilance de tous les instants.

Ce projet de loi de programmation militaire répond aussi à cette interrogation, légitime, en défendant la singularité du soldat aujourd’hui. Il le fait en mettant en place, comme l’avait souhaité le Président de la République, des outils juridiques simples, qui permettent d’éviter une judiciarisation inutile de l’action des militaires, en particulier ceux qui sont engagés en opération extérieure. C’était un engagement attendu du Président de la République après plusieurs affaires que vous connaissez et qui pouvaient donner le sentiment d’une remise en cause du coeur du métier militaire et de l’acte d’engagement comme de l’acte de commandement.

L’objectif ici n’est pas de consacrer une quelconque immunité pénale au profit des militaires, encore moins de priver les familles de leurs droits d’accès à l’information, à la justice ou à la réparation. Ces droits, et notamment celui d’être dûment informé des circonstances dans lesquelles leurs proches ont pu être touchés, seront scrupuleusement respectés, voire accrus par les dispositions d’accompagnement que prennent le ministère et les armées.

Il s’agit en revanche de faire prendre en compte, par le droit pénal, la réalité de ce qu’est un conflit armé, dans lequel nos militaires sont prêts à donner leur vie comme d’ailleurs à infliger la mort. Il s’agit d’inscrire dans notre droit, tant au plan des procédures que sur le fond de la qualification des actes, les spécificités de situations d’action au combat, alors que nos sociétés voient le recours juridictionnel se développer si fortement.

Ces propositions ont été préparées en bonne intelligence avec les services de mon ministère et les services de la garde des sceaux, auxquels je veux ici rendre hommage. Je veux aussi saluer le travail de la commission de la défense. Le texte qu’elle a approuvé peut constituer la base d’un consensus politique autour de cet enjeu majeur. Je forme en tout cas le voeu que ces propositions recueillent un large soutien de la représentation nationale.

Mesdames et messieurs les députés, ce dernier enjeu le rappelle, le métier des armes est beaucoup plus qu’un métier. L’importance du texte qui vous est soumis aujourd’hui s’enracine aussi dans l’engagement de nos soldats, qui peut aller jusqu’à la mort. Sept d’entre eux ont été tués depuis le début de l’opération Serval. Ils combattaient des groupes djihadistes, dans le nord du Mali. Je me dois de leur rendre hommage, de nouveau, devant vous.

Cette lutte sans répit se poursuit au Mali, mais aussi dans le nord du Niger, le nord du Tchad, aux frontières algériennes et libyennes, et, au-delà, dans tout l’arc d’action de ces groupes djihadistes, depuis le Sénégal jusqu’à la Somalie.

La réussite de cette action de longue haleine se joue en partie aujourd’hui. Les moyens de renseignement, de projection, de frappe et de forces spéciales, mais aussi le soutien aux capacités d’intervention de nos partenaires, tout cela se trouve dans ce projet de loi de programmation militaire.

Si la communauté internationale le décide, nous nous apprêtons également à engager nos forces en République Centrafricaine. Dans ce pays ravagé depuis trop d’années par des coups d’États et des conflits, le chaos s’est aujourd’hui installé. La situation, tous les observateurs le soulignent, menace de dégénérer rapidement tandis que la dimension confessionnelle du conflit s’aggrave. Ce pays se trouve au confluent de la crise sahélienne, de celle de l’Afrique de l’Est et de celle de l’Afrique centrale et des grands lacs. Chacune d’entre elles trouve dans cette zone incontrôlée de l’Afrique un terreau favorable pour se développer, propice aux réseaux et aux trafiquants divers. Le terrorisme peut s’y installer et prendre de l’ampleur.

C’est pourquoi la communauté internationale doit aider les États africains à se protéger. Le Conseil de sécurité, à l’initiative de la France, s’est saisi de la question par sa résolution 2121. La France s’apprête donc à aider nos partenaires africains qui se mobilisent sur le terrain. Elle agira en appui et en accompagnement opérationnel de la force africaine qui monte en puissance dans le cadre que fixera le Conseil de sécurité, début décembre, par une nouvelle résolution.

Ce développement illustre notre conception de la sécurité en Afrique. Les pays africains doivent assurer eux-mêmes leur propre sécurité, mais nous ne pouvons les laisser seuls face aux risques et aux menaces qui, à terme plus ou moins rapproché, nous concerneraient directement. Nous pouvons jouer un rôle d’appui et d’accompagnement. C’est tout l’enjeu du sommet que la France organisera à la fin de l’année sur la paix et la sécurité en Afrique.

Mesdames et messieurs les députés, un texte de loi tel que celui-ci est par définition perfectible, et je sais gré à la commission de la défense de l’Assemblée nationale, spécialement ses rapporteures, d’avoir contribué à l’améliorer de façon significative, tout comme je remercie les commissions des lois et des finances du concours décisif qu’elles ont apporté dans ce débat. Soyez en tous remerciés.

Grâce à ces travaux, nous avons défini ensemble un projet équilibré. En confirmant ses choix en matière de défense, le Président de la République a souligné qu’il y avait là un effort que la nation consentait, non pas pour les armées en elles-mêmes, mais pour sa propre sécurité. Aujourd’hui, j’ai toute confiance dans la représentation nationale pour confirmer cette ambition dans l’intérêt de la France et le respect de celles et ceux qui la servent avec courage, professionnalisme et dévouement.

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